Le Tour de la France par deux enfants/109
I. Le plus grand ministre de Louis XIV et l’un des plus grands hommes qui aient gouverné la France, ce fut COLBERT, le fils d’un simple marchand de laines de Reims qui avait pour enseigne un homme vêtu d’un long vêtement de drap avec ces mots : Au long-vêtu. Colbert avait pris dans le commerce des habitudes d’ordre et d’intègre probité, qu’il apporta plus tard dans les affaires publiques. Le cardinal Mazarin dit à son lit de mort à Louis XIV : « Sire, je vous dois beaucoup, mais je crois m’acquitter en quelque sorte avec Votre Majesté en vous donnant Colbert. » Les prévisions de Mazarin ne furent pas trompées, et c’est à Colbert qu’est due pour la plus grande partie la gloire du siècle de Louis XIV.
A cette époque, une foule de gens prenaient dans le trésor public et gaspillaient l’argent de la France. Colbert, par sa fermeté et sa sévérité, réprima tous ces abus. On l’appelait « l’homme de marbre », parce qu’il ne donnait à chacun que ce qui lui était dû, sans se laisser fléchir par les menaces ou par les promesses.
« Sire, écrivait-il au roi, un repas inutile de mille écus me fait une peine incroyable ; et lorsque au contraire il est question de millions d’or pour la Pologne, je vendrais tout mon bien et j’irais à pied pour y fournir, si cela était nécessaire. » Car c’était alors l’époque où les nations qui entouraient la Pologne commençaient à s’en disputer les provinces.
Colbert fit plus que de donner tout son bien pour la France : il lui donna tout son temps, toutes ses forces, toute sa vie. Il travaillait seize heures par jour, soutenu par l’idée qu’il travaillait au bonheur du peuple et à la gloire de la France.
Malheureusement, ce labeur perpétuel ruinait sa santé. En outre les courtisans le haïssaient, car il n’aimait point à leur accorder des faveurs injustes. Le roi Louis XIV finit par méconnaître ses services, et par le disgracier au moment où il allait mourir épuisé par ses travaux.
Mais Colbert laissait en mourant de grandes œuvres, et le bien qu’il avait fait à la France ne fut point perdu. Maintenant encore, dans l’état florissant où nous sommes, on pourrait retrouver la trace des efforts de Colbert. On comprend à peine comment ce grand ministre put suffire à accomplir à la fois tant de travaux et de réformes diverses.
— Mon Dieu, dit Julien en lui-même, voilà un homme qui a été bien utile à la France ; et pourtant c’était le fils d’un simple marchand de draps, ce Colbert. Mais ce n’était pas un paresseux seize heures de travail par jour, comme il prenait de la peine ! Allons, je vois que, pour arriver à faire bien des choses et à les bien faire, il faut travailler sans cesse.
II. PHILIPPE LEBON naquit dans un village de la Haute-Marne. Devenu ingénieur des ponts et chaussées, il était à la campagne, chez son père, lorsqu’il fit une des plus importantes découvertes de notre siècle. Il était occupé à des expériences de physique et de chimie, et chauffait sur le feu une fiole remplie de sciure de bois : le feu s’étant communiqué à la fumée et au gaz qui s’échappaient de la fiole, ce gaz se mit à brûler d’un vif éclat. Aussitôt, Philippe Lebon conçut la pensée d’éclairer les maisons et les villes au moyen du gaz qui sort du bois ou du charbon de terre quand on les chauffe fortement. Il était tellement enthousiasmé de sa découverte, qu’il disait aux habitants de son village :
— Je retourne à Paris, et de là je puis, si vous voulez, vous chauffer et vous éclairer avec du gaz que je vous enverrai par des tuyaux.
On le traita de fou, mais son invention, loin d’être une folie, est une des plus utiles applications de la science.
Philippe Lebon eut bien de la peine pour faire accepter en France son idée, et même il n’y put réussir. C’est en Angleterre qu’on adopta d’abord sa découverte.
Au milieu de ses efforts et de ses courageux essais, Philippe Lebon rencontra une mort tragique. Il fut assassiné, en 1804, à Paris, dans les Champs-Élysées, sans qu’on ait jamais pu découvrir ni son meurtrier ni le motif de cet assassinat. Une pension fut accordée par l’État à la veuve de Philippe Lebon.
III. Outre ces inventeurs célèbres, la Champagne a produit un de nos plus grands poètes.
A Château-Thierry, dans l’Aisne, vivait au dix-septième siècle un excellent homme de mœurs fort simples, qui était chargé d’inspecter les eaux et forêts. Il passait en effet une grande partie de son temps dans les bois. Il restait tout songeur sous un arbre pendant des heures entières, oubliant souvent le moment de dîner, ne s’apercevant pas parfois de la pluie qui tombait. Il jouissait du plaisir d’être dans la campagne, il regardait et observait tous les animaux ; il s’intéressait aux allées et venues de toutes les bêtes des champs, grandes ou petites. Et les animaux lui faisaient penser aux hommes ; il retrouvait dans le renard la ruse, dans le loup la férocité, dans le chien la fidélité, dans le pigeon la tendresse. Il composait alors dans sa tête de petits récits dont les personnages étaient des animaux, des fables où parlaient le corbeau, le renard, la cigale et la fourmi.
Vous avez reconnu, enfants, ce grand poète dont vous apprenez les fables par cœur, LA FONTAINE. C’est un des écrivains qui ont immortalisé notre langue : ses fables ont fait le tour du monde ; on les lit partout, on les traduit partout, on les apprend partout. Elles sont pleines d’esprit, de grâce, de naturel, et en même temps elles montrent aux hommes les défauts dont ils devraient se corriger.