Le Vagabond des étoiles/VII

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Traduction par Paul Gruyer et Louis Postif.
G. Crès (p. 70-80).

CHAPITRE VII

LA CAMISOLE DE FORCE[1]

Telle était ma situation irritante, dont je ne parvenais pas à sortir.

Je savais qu’il existait en moi une Golconde de souvenirs latents d’autres existences. Mais j’étais impuissant à fouiller et à extérioriser ces trésors. En dépit de tous mes efforts, je ne parvenais qu’à voltiger à tort et à travers parmi ces souvenirs.

Je comparais mon cas avec celui du pasteur Stainton Moses, qui affirmait avoir antérieurement incarné saint Hippolyte, Plotin, Athénodore et, plus près de nous, Grocyn, qui fut un des amis d’Erasme[2]. Et je ne doutais pas que les déclarations de Stainton Moses ne fussent véridiques. Il avait réellement-personnifié tous ces hommes, dans la longue chaîne de ses incarnations.

Les expériences du Français, le colonel de Rochas, me confirmaient dans ces pensées et m’attiraient plus particulièrement. J’en avais lu le récit, fort novice encore en ces matières, pendant les quelques loisirs que me laissaient mes anciennes occupations. Il racontait qu’en employant des « sujets » idoines, il avait, au cours du sommeil hypnotique, pénétré leurs anciennes personnalités.

Tel avait été le cas d’une nommée Joséphine, qui habitait Voiron, dans le département de l’Isère. Il lui avait fait revivre sa vie et ses aventures d’adolescente, puis son enfance, l’époque où elle tétait encore sa mère, et celle même où elle était enclose au sein qui l’avait engendrée. Remontant plus outre, il avait pénétré dans ses incarnations antérieures, notamment dans celle où son être, mélangeant les sexes, avait animé un vieillard acariâtre et grossier, un certain Jean-Claude Bourdon, longtemps soldat au 7° régiment d’artillerie, à Besançon, où il était mort à l’âge de soixante-dix ans, paralysé et alité depuis longtemps déjà. — Oui, oui, parfaitement…

Et le colonel de Rochas, interrogeant à son tour le fantôme hypnotisé de ce Jean-Claude Bourdon, l’avait suivi, lui aussi, jusqu’au germe de sa vie, palpitant aux ténèbres du sein maternel. En sorte qu’il avait ultérieurement retrouvé une autre vieille femme, nommée Philomène Carteron[3].

Mais, en dépit de mon bout de paille, luisant dans le rais de lumière au mur de ma cellule, je n’arrivais pas à réaliser de semblables précisions de mes personnalités passées. Découragé, je finis par me persuader que la mort seule mettrait un peu de lumière et de cohérence dans le chaos où je me débattais.

Pourtant le flux de la vie ne cessait pas de couler en moi, avec énergie. Malgré ses souffrances abominables, Darrell Standing se refusait à mourir encore. Il déniait au gouverneur Atherton et au capitaine Jamie le droit de le tuer.

J’ai toujours aimé la vie et la résistance vitale qu’il y a en moi m’avait seule pu donner la force d’exister encore. Par elle seule j’étais dans cette cellule, à manger et boire quand même, à penser et à rêver, et à écrire ces lignes, en attendant l’inévitable corde qui mettra fin à l’actuel et éphémère chaînon de mes existences.

L’heure n’était pas éloignée, cependant, où je pénétrerais ce mystère qui me tourmentait, où je connaîtrais comment je devais agir, pour voir et savoir. Je vous conterai cela tout à l’heure…

Le gouverneur Atherton et le capitaine Jamie en furent la cause première, et voici comment.

Sans doute avaient-ils éprouvé une recrudescence de panique, à la pensée de la dynamite qu’ils croyaient toujours fermement avoir été cachée. Bref, je les vis reparaître, certain jour, dans mon obscure cellule, et ils me signifièrent sans ambages qu’il fallait parler, ou que, sinon, je serais mis en camisole jusqu’à ce que j’en meure. Ils ajoutèrent qu’ils agissaient ainsi parce que tel était leur bon plaisir et qu’officiellement ils ne courraient pas le moindre risque, du plus léger blâme. Ma mort serait inscrite sur les registres de la prison, comme due à des causes naturelles, et leurs chefs diraient : Amen.

Ô vous, mes chers concitoyens, qui vous dorlotez dans le coton, il faut me croire, je vous prie, quand je vous affirme que l’on tue des hommes dans les prisons aujourd’hui comme il a toujours été fait depuis que les prisons existent !

Je n’ignorais pas ce qu’était la camisole et tout ce que ce mot contenait d’effroi, de souffrance et d’agonie. J’avais vu les plus robustes y être mis à bas, certains d’entre eux y être estropiés pour la vie, et ceux mêmes dont la sève physique avait résisté, jusque-là aux atteintes de la tuberculose dépérir ensuite, et mourir en six mois, de cette même tuberculose.

J’ai connu Wilson, dit l’Homme-aux-yeux-de-travers, qui était sujet à des faiblesses de cœur et qui, au bout d’une heure seulement, mourut dans la camisole, tandis que le stupide médecin de la prison l’observait en souriant. J’en ai connu un autre qui, après une demi-heure, avoua tout ce qu’on voulait lui faire dire, le faux comme le vrai, ce qui lui valut estime et confiance et, durant des années, toutes les faveurs qui s’ensuivirent.

Enfin, j’ai ma propre expérience. Tandis que j’écris ces lignes, près d’un millier de cicatrices marquent mon corps. Elles me suivront à la potence. Et si je devais vivre encore cent ans, cent ans je les conserverais, sans qu’elles s’effacent.

Ô mes concitoyens, ô vous qui tolérez tous ces chiens pendeurs, vous qui les payez et leur permettez de lacer en votre nom des malheureux dans la camisole de force, laissez-moi vous expliquer un peu de quoi il s’agit, car vous l’ignorez sans doute. Alors vous comprendrez comment, à force de souffrances, je me suis, vivant, enfui de cette vie et, devenu maître de l’espace et du temps, j’ai pu m’envoler hors des murs de ma géhenne, jusqu’aux étoiles.

Vous avez déjà vu, je suppose, de ces bâches en grosse toile ou en caoutchouc, dont les bords sont garnis de solides œillets de cuivre ? Imaginez, avec ses œillets, une de ces toiles, longue de quatre pieds et demi environ. Sa largeur n’atteint pas entièrement le tour complet d’un corps humain, dont l’étoffe suit à peu près le dessin. C’est ainsi qu’elle est plus large aux épaules et au bassin, plus étroite à la taille et aux jambes.

Cette toile est étendue par terre. L’homme qui doit être puni, ou torturé pour qu’il avoue, reçoit l’ordre de s’allonger dessus, le visage contre terre. S’il refuse, on le frappe. Alors, il s’exécute.

L’homme est donc à plat ventre sur le sol. Les bords de la camisole sont ramenés l’un vers l’autre, de façon à venir se rejoindre le long de son échine. Une corde, qui fait l’effet d’un lacet de bottine, est alors passée à travers les œillets et, toujours selon le même principe, l’homme est lacé dans la toile.

Seulement on le lace plus étroitement que vous, ni personne, ne faites certainement de votre pied. C’est ce qu’on appelle, dans le langage des prisons, le ficelage. Parfois, si les geôliers sont naturellement cruels et vindicatifs, ou quand l’ordre en vient d’en haut, ils assurent un ficelage plus serré, en mettant leur pied sur le dos de l’homme et en s’y arc-boutant, à mesure qu’ils lacent.

Si vous avez parfois, par inadvertance, serré trop fort le lacet de votre soulier, vous n’avez pas manqué éprouver bientôt une vive douleur, au cou-de-pied, où la circulation du sang est arrêtée. Si vous persistez, la douleur devient rapidement insupportable, à ce point qu’il vous faut absolument donner du jeu au lacet et détendre la pression. Parfait.

Supposez maintenant, essayez d’imaginer que c’est votre corps tout entier qui subit cette pression, votre torse surtout, où sont votre cœur, vos poumons, tous les organes vitaux, enserrés si terriblement qu’ils vous semblent cesser de fonctionner.

Je me souviens encore de la première fois où je subis le supplice de la camisole. C’était au début de mon incorrigibilité, peu de temps après mon entrée dans la prison, alors que, dans toute ma vigueur, je tissais à l’atelier mes cent yards de jute par jour, et terminais mon ouvrage avec une avance moyenne de deux heures sur le délai fixé. Oui, je fabriquais mes sacs de jute en quantité bien supérieure à ce qu’on exigeait de moi.

Le prétexte invoqué, ainsi qu’en font foi les registres de la prison, fut qu’il se trouvait dans le tissu des sautes et des brisés, en un mot que mon ouvrage ne valait rien. C’était idiot, bien entendu.

La raison réelle qui me fit faire cette première connaissance avec la camisole fut que, nouveau venu dans la prison, je m’indignai, expert comme je l’étais en l’art d’éliminer le travail inutile, du gâchage de temps et d’efforts dont j’étais témoin. J’en fis quelques observations à l’inepte chef du tissage, qui ignorait tout de son métier.

Furieux, il me fit appeler, lors d’une tournée d’inspection du capitaine Jamie, et exhiba à celui-ci, comme étant mon œuvre, des pièces d’étoffe ignobles. J’eus beau nier, je ne fus pas cru. Trois fois, la même exhibition se renouvela. Le troisième appel devait être puni selon les règlements. La punition se traduisit par vingt-quatre heures de camisole.

On me fit descendre aux cachots et je reçus l’ordre de m’étendre sur la toile, la face vers le sol. Je refusai. Alors, pour me faire céder, un des geôliers nommé Morrisson, m’enfonça ses pouces dans la gorge. Un autre, nommé Mobins, convict lui-même, mais passé homme de confiance, me frappa des poings, à plusieurs reprises. Finalement, je cédai et fis ce qu’on me demandait. Ma résistance avait déplu à mes bourreaux et, pour cela, ils serrèrent le lacet d’un cran de plus. Puis ils me roulèrent sur le dos, comme ils eussent fait d’une souche de bois.

La première impression ne me sembla pas bien terrible. Ils refermèrent, en s’en allant, la porte de mon cachot, firent basculer les leviers des verrous, en grand fracas et cliquetis, et me laissèrent dans l’obscurité complète. Il était onze heures du matin.

Pendant quelques minutes, je n’éprouvai rien d’autre qu’une incommode constriction de tout le corps, laquelle me parut devoir se calmer lorsque je m’y serais habitué.

Mais ce fut le contraire qui arriva. Mon cœur se mit à battre violemment et il me sembla que mes poumons étaient soudain, devenus impuissants à absorber une quantité d’air suffisante pour me permettre de respirer. Cette sensation d’étouffement que j’éprouvais était terrifiante. À chaque battement de mon cœur, il me semblait que celui-ci était près d’éclater et, à chaque aspiration, que mes poumons allaient se rompre.

Au bout d’une demi-heure (je n’avais pas encore l’expérience de la camisole et cette demi-heure fut estimée par moi à plusieurs heures), je me pris à crier, à pousser des hurlements d’effroi, à rugir, en une véritable démence d’agonisant. De sourde d’abord, la douleur avait passé à l’état aigu. Je me croyais en proie à une pleurésie artificielle, et je recevais dans le cœur une série de coups de poignard.

Mourir nettement n’est rien. Mais cette mort lente et raffinée était affolante. Comme une bête sauvage, prise dans un piège, j’éprouvais des frénésies d’épouvante et j’éclatais, après de courts répits de silence, en nouveaux hurlements et rugissements. Jusqu’à ce que je me rendisse compte que ces exercices vocaux ne faisaient qu’aggraver les coups de poignard au cœur et consommer encore plus de l’air raréfié de mes poumons.

Je me tus et m’imposai de me tenir désormais tranquille. J’y parvins, à force de volonté, durant un temps qui me parut éternel et qui certainement ne dépassa pas un quart d’heure. Alors je fus saisi d’un vertige, mon cœur battit à faire éclater la toile et, à demi asphyxié, je perdis tout contrôle de moi-même. Cris et hurlements reprirent de plus belle, et j’appelai au secours.

Au beau milieu de cette crise, j’entendis une voix qui sortait du cachot voisin. Elle filtrait à travers l’épaisseur des murs et me parvenait à peine.

— Ferme ta gueule ! disait-elle. Tu m’embêtes, sais-tu ?

— Je me meurs… criai-je.

— Ça n’est rien… T’en occupe pas ! fut la réponse.

— Je suis en train de mourir… réitérai-je.

— Alors, de quoi te plains-tu ? riposta la voix. Quand tu seras crevé, tu ne souffriras plus… Et puis, croasse si ça t’amuse, mais pas si fort ! Tout ce que je demande, c’est que tu ne troubles pas mon beau sommeil…

Cette sèche indifférence de mes souffrances m’irrita et je repris la maîtrise de moi. Je n’articulai plus que des grognements étouffés. Cette nouvelle phase dura un temps infini. Dix minutes peut-être. Et mes tortures prirent une autre forme.

C’étaient maintenant des aiguilles et des épingles qui foisonnaient dans tout mon être, et le transperçaient de part en part, de leurs innombrables et imperceptibles piqûres. Je tins bon et demeurai calme. Puis les picotements cessèrent et firent place à un engourdissement général, qui me parut mille fois plus effrayant. Je recommençai à crier.

Mon voisin recommença à se plaindre.

— Impossible, bon Dieu ! de fermer l’œil… Dis donc, camarade, je ne suis pas plus heureux que toi… Ma camisole est aussi étriquée que la tienne ! C’est pourquoi je veux dormir et oublier…

— Depuis combien de temps es-tu dedans ? interrogeai-je.

Je croyais, en mon for intérieur, et songeant aux siècles de souffrance qui semblaient s’être écoulés pour moi, que cet homme si calme était là depuis quelque cinq minutes.

Il répondit :

— Depuis avant-hier.

— Depuis avant-hier dans la camisole ?

— Parfaitement, frère.

Je m’exclamai :

— Oh ! mon Dieu !

— Mais oui, frère. Depuis cinquante heures sans discontinuer. Et tu ne m’entends pas piailler et hurler. Ils m’ont ficelé, leurs pieds dans mon dos. Je suis boudiné, tu peux m’en croire… Tu n’es point le seul, tu vois, à ne pas être à ton aise. Tu te plains, et il n’y a pas une heure qu’on te l’a mise…

Je protestai :

— Tu fais erreur. On me l’a mise depuis bien des heures et bien des heures.

— Frère, c’est de l’imagination. Tu le crois de bonne foi, mais il n’en est rien. Je t’assure qu’il n’y a pas une heure. Je les ai entendus qui te laçaient.

Cela me paraissait incroyable. En moins d’une heure, j’avais déjà subi mille morts. Et mon voisin, si maître de lui, dont la voix était si équilibrée, l’esprit si calme qu’en dépit de ma mauvaise impression première j’en ressentais comme un bienfaisant apaisement, était en camisole depuis cinquante heures !

Je demandai :

— Pendant combien de temps encore vont-ils te garder ici ?

— Le Seigneur seul le sait. Le capitaine Jamie a une dent contre moi. Il ne me relâchera pas avant que je ne sois sur le point de tourner de l’œil. Maintenant, frère, je vais te donner un bon tuyau. Le mieux à faire, comme je le disais, est de fermer les yeux et d’oublier. Crier et hurler ne valent rien. Tâche, par exemple, de te souvenir successivement de toutes les femmes que tu as connues. En voilà pour un bon bout de temps. Il se peut que tu sentes ta tête tourner. Laisse-la tourner. Ce sera encore du temps dévoré. Et quand tu auras fini de penser à tes femmes, songe à tous les bougres qui ont tenté de te les souiller. Réfléchis à ce que tu leur aurais fait, s’ils étaient tombés sous ta main, à ce que tu leur feras un jour, si jamais tu les retrouves.

L’homme qui me parlait ainsi s’appelait Philadelphie Red. C’était un récidiviste qui purgeait cinquante ans de réclusion, pour vol à main armée, en pleine rue d’Alameda. Il avait accompli déjà douze ans. Il fut du nombre des quarante conjurés que vendit Cecil Winwood. Sa position, qui s’améliorait, en fut reperdue du coup. C’est un homme d’âge mûr, et il est toujours à San Quentin. S’il survit, il sera un vieillard, le jour où on lui rendra la liberté.

Je vécus, sans en mourir, mes vingt-quatre heures de camisole. Mais jamais, depuis, je ne me suis retrouvé le même homme. Je ne parle pas tant de mon état physique. Encore que, le lendemain matin, quand on me délaça, j’étais à demi paralysé et me trouvais dans un tel état de prostration que les gardiens durent m’envoyer des coups de pied dans les côtes, pour me faire relever et mettre à quatre pattes. C’est moralement et mentalement que j’étais surtout transformé.

Le traitement brutal et odieux, que j’avais subi, m’humiliait et me révoltait à la fois. J’en avais perdu le sens de la justice. Une telle façon d’agir n’adoucit pas un homme. L’amertume et la haine avaient germé dans mon cœur et elles se sont, depuis, sans cesse accrues avec les années.

Quand je songe, mon Dieu ! à tout ce que les hommes m’ont fait ! j’étais loin de penser, ce matin-là, quand je fus relevé à coups de pied, qu’une époque viendrait, ou vingt-quatre heures de camisole de force ne seraient rien pour moi ; que, terminées, cent heures de cette même camisole me trouveraient souriant ; que deux cent cinquante heures du même supplice amèneraient encore le même sourire sur mes lèvres !

Oui, durant deux cent quarante heures. Cher et douillet concitoyen, sais-tu que ces deux cent quarante heures équivalent à dix jours et dix nuits ? Tu hausses les épaules, en déclarant que, nulle part dans le monde civilisé, dix-neuf cents ans après la venue du Christ, n’ont lieu de pareilles horreurs. Je ne te demande pas de le croire. Je ne le crois pas moi-même. Je sais seulement que je les ai subies à San Quentin et que je leur ai survécu pour me gausser de mes bourreaux et les contraindre à se débarrasser de moi, à l’aide d’une corde et d’une potence, sous prétexte que j’ai, d’un coup de poing, fait saigner le nez de l’un d’eux. J’écris ces lignes en l’an de grâce 1913, et, en ce même an de grâce 1913, il y a, dans les cachots de San Quentin, d’autres hommes, couchés et ficelés, comme je le fus, dans des camisoles de force.

Jamais je n’oublierai, ni dans cette vie, ni dans celles qui lui succéderont, l’adieu de Philadelphie Red, quand on le délivra, ce matin-là, en même temps que moi, après soixante-quatorze heures de camisole.

Tandis qu’on me poussait, tout chancelant, dans les corridors, il me jeta :

— Eh bien, frère, tu le vois, que tu n’en es point mort et que tu remues encore.

— Toi, Red, ferme ça ! grogna le sergent.

— Oublie ce mauvais quart d’heure ! reprit Red.

Le sergent se fâcha. Il menaça :

— Red ! J’aurai raison de toi !

— Crois-tu ? riposta Philadelphie Red, avec douceur.

Puis sa voix soudain se fit rauque et sauvage :

— Tu n’es qu’un propre à rien, abruti ! Livré à toi-même, tu aurais été incapable, dans la vie, de te gagner jamais un déjeuner, et encore moins d’obtenir la place que tu occupes ici. C’est ton père qui t’a poussé. Et l’on sait par quels procédés infects ton père a lui-même fait sa situation !

La scène était grandiose. L’homme torturé s’élevant au-dessus de son bourreau et bravant les coups auxquels il s’exposait.

Puis, se retournant vers moi :

— Au revoir, frère ! dit Philadelphie Red. Au revoir et conduis-toi bien désormais. Aime bien notre gouverneur. Si tu as l’occasion de le rencontrer, ne manque pas de lui conter que tu m’as vu et que, dans la camisole, je n’ai pas flanché…

Le sergent était pourpre de rage et ce fut moi qui payai, de plusieurs horions et coups de pied, pour les quolibets de Philadelphie Red.


  1. Titre donné arbitrairement à ce roman, par les éditeurs anglais, et sous lequel il parait outre-Manche. C’est sur le désir instant de Mrs Jack London que les traducteurs ont rétabli, pour l’édition française, le titre du volume américain : Le Vagabond des Étoiles, que Jack London affectionnait tout particulièrement.
  2. Saint Hippolyte, évêque grec, martyrisé en 240. Plotin, philosophe néo-platonicien, né en Égypte vers 205, mort en Campanie en 270 ; il suivit en Perse l’empereur Gordien et se fixa à Rome, sous l’empereur Philippe. Athénodore, philosophe stoïcien, né à Tarse, en Asie Mineure. Erasme, célèbre érudit, poète, philosophes stoïcien, né à Rotterdam en 1467, mort à Bâle en 1536.
  3. Albert de Rochas : Les Vies successives, pages 66 à 89. (Chacornac, éditeur).