Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein I

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DESSEIN PREMIER.


Le Roy de Nabadonce vertueux & accompli, voulant que ſes enfans fuſſent biē inſtruits, fait aſſembler les Sages, qui d’entr’eux en eſleurent ſept pour precepteurs des trois fils du Roy.



ENtre les termes de la grande iſle de Moſo, laquelle eſt comme vn autre continant, eſt le ſpacieux Royaume de Nabadonce, qui par vn bout eſt contigu au grād Empire de Glindicee ; En ce Royaume cōmande le plus ſage de tous les Rois, & qui eſt tel que la grandeur & magnanimité des autres, eſt sō appuy, & ſon eſtat poſé ſur la vertu, ſe maintient en l’aſſeurance de la vertu de tous ceux qui y pretendent ; il eſt en parfaite concorde auec tous ceux qui le cognoiſſent, auſſi vit-il ſans auarice, ſans enuie, & ſans inimitié : Ce Roy eſt magnifique en pieté, modeſte chez ſoy, fidele à ſes amis, & l’innocence eſt le comble de ſes grandeurs. Et pource que la parole eſt le pourtrait de l’ame, on reconoiſt l’integrité de la ſienne en ſes propos, car ſ’il diſcourt, ſes paroles ſont autant de traits parfaits de ſapience, emplies de la loüange des vaillans ſans aucun meſlange de ſes merites ; ſon ambition eſt d’eſteindre toute vanité ; Et l’ample deſir d’augmenter ſa domination eſt l’entretien des loix, & la conſeruation des peuples, leſquels à ſon exemple, viuent en l’ombre de leur deuoir ſans autres ſouhaits ou ambition, que de ſ’vnir à l’honneur, qui eſt l’vnique biē auquel ils aſpirent : car l’eſtime qu’ils en font, les fait croire que ceux qui viuent ſans honneur, ſont ſi pauures, qu’il ne leur reſte rien qu’vne ame miſerable. Ainſi que ce Roy paroiſt entre les Princes vertueux, eſtant vne lumiere parmi les potentats, auſſi ſes pretentions ont eſté de faire ſi bien, que ſes enfans tres-accomplis, ne fuſſent ſecondez d’aucun en ce qui eſt de la vertu. Parquoy il a mis toute peine de les rendre dignes heritiers de la loüange qui lui eſt deuë, Ce Roy a trois fils, Princes extremement auantagez des dōs de Nature, & pource que ſon amour paternelle eſtoit bandee au bien de ſes enfans, il les voulut rendre accōplis pour à quoy paruenir, ayāt fait eſtat de tout ce qu’vn grād Monarque peut, il propoſa de ſe gouuerner en cet affaire, cōme ſ’il n’eut eſté qu’vn ſimple poſſeſſeur de biens & non Roy. En ce beau zele d’adiouſter par art, ce qui deffaut aux beaux eſprits, il fit vne aſſemblee generale de tous les ſages & ſuffiſans qu’il luy fut poſſible de trouuer, pour d’iceux tirer l’élite, & es faire precepteurs de ſes fils. Tous les plus habiles eurent à honneur de ſ’y trouuer. Ceſte congregation fut libre, plus deſiree qu’aportant contrainte, plus ſouhaitee que commandee, & plus honorable que commode, l’alechement du denier furtiuement pratiqué ne fut point cauſe que le bel eſprit ſ’y trouua, l’eſpoir d’obtenir vn degré ſouhetté pour paroiſtre n’y attira pas le Philoſophe, car le curieuxy veint pour voir, & pour raſſaſier ſa fidele penſee, le billet de recommendations n’y courut point, les procurations pour faire vne election iniuſte ny furent pas cognues, la ſeule bonne & libre volonté, y conduiſit ceux qui voulurent faire eſſayer leur capacité à l’honneur de la ſcience, au bien de celuy qui plus meriteroit, & à la gloire commune des gens de bien, qui comparurent icy d’vn meſme courage. Les pris eſcheurent à chaſqu’vn ſelon ſa valeur, ſans que l’enuie y ſuruint, & ſelon cet ordre il y en eut ſept qui furent trouuez exceller, entre leſquels du conſentement de tous, Sarmedoxe obtint d’eſtre le premier : ſon humilité ſçauante fit qu’il s’excuſa, mais l’authorité de la cōpagnie & l’aueu du Roy, le mirent en ce degré, & luy firent receuoir. Ceſte bonne election faicte, le Roy receuant ces ſages de la main de tant de grands hommes, en fut fort edifié, & les acceptant dit : Ie ſuis treſ-aiſe de l’honneur que vous acquerez par l’eſtime qu’en font de vous les capables iuges de vos merites & me plaiſt vous retenir pour vous donner le gouuernement de ce qui n’eſt le plus cher, à ce que par voſtre ſoin & diligence mes enfans puiſſent acquerir tant de perfections, que lon les croye dignes reiectons de leurs anceſtres qui ont gouuerné ce Royaume, auec telle prudence que la benediction du peuple a eſté la preuue de leur bonté. Ie ne deſire pas que vous les gouuerniez auec le reſpect que vous pourriez y apporter, en conſideration de ma grandeur, & de leur qualité : Ie veux que ceſte maggificence naturelle ſoit miſe à part, à ce qu’ils ſoient inſtruicts & inſtituez nō en Princes, ains comme hommes, afin qu’ils apprennent à ſe cognoiſtre, car ils ne ſçauront que trop l’vſage de ſe glorifier de leur naiſſance, & puis eſtans rendus dociles, vous les rendrez tels que ie les ſouhaitte, vous y aduiſerez ſelon voſtre prudence. Demain Dieu aydant, nous diſpoſerons nos affaires. Apres il donna congé aux autres qu’il accompagna de preſens, courtoiſies & faueurs les laiſſant à leur liberté.