Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein II

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DESSEIN DEVXIESME.


Sarmedoxe faict paroiſtre au Roy, qu’il peut ce qu’il doit, par la demonſtration qu’il en fait d’vn nouueau Palais, lequel eſtant faict fut nommé l’hermitage d’honneur, où les Princes furent inſtituez. Le temps de leur pedagogie acheué, le Roy appelle ſes trois fils l’vn apres l’autre, & leur preſente le gouuernement du Royaume, dont ils s’excuſent ſagement : le Roy comme irrité de celà les chaſſe du pays & ils obeyſſent.



LE Roy ayant laiſſé rafraiſchir les Sages pour vn peu ſe recognoiſtre, jl appella Sarmedoxe & luy dit, Pource que ie ne veux rien faire à l’auanture, mais ſeurement, & ſur tout en affaire tant exquiſe que l’inſtruction de mes fils, ie ſerois fort content en moy, ſi par vne demonſtration euidente vous me faiſiez voir manifeſtement que vous pouuez & en peu de temps effectuer ce que ie ſouhaitte. Sarmedoxe. Sire, ce ne ſera pas de, noſtre propre perfection que nous aduancerons ſi beaux & parfaicts Princes aux excellences que vous pretendez car celà depend abſolument de la grace de Dieu, qui toutesfois a donné des moyens pour tels effects, ce ſont les hommes auſquels il a departi la ſcience pour les rendre organes de l’inſtruction des autres. Nous ſommes de ceſte qualité, & vous nous auez commandé de departir à Meſſieurs ce qui eſt gracieuſement dōné aux humains, leſquels pourtant l’obtiennent au prix du labeur. Nous auons intētion à ce ſeul but, & comme il vous plaiſt nous commander, il eſt en noſtre pouuoir, ſelon l’homme, de vous rendre la preuue que voſtre Maieſté deſire. Sire, donnez-nous ce vieil chaſteau qui eſt là bas vers Septentrion au parc de la ſolitude, c’eſt vn lieu ruiné, qui n’a de beau que l’attente de mieux, il eſt l’habitacle des chouëttes, & oyſeaux malheureux, la retraicte des ſerpens & animaux cruels, & là, s’il vous eſt agreable, nous eſtablirons les principes de noſtre labeur, & y ferons paroiſtre noſtre induſtrie, octroyez-le nous donc, & commandez que les ouuriers que nous choiſirons, nous ſeruent fidelement, & ie vous promets, que deuant que deux lunes ſoient paſſees, vous aurez certitude de noſtre diligence & affection à bien faire, auec induction de noſtre capacité par la veuë de noſtre ouurage, qui poſſible ſera vn des brins du plumage des belles aeſles qui portent voſtre nom par l’vniuers. Le Roy l’ayant ouy reſpōdre à ſon intention accorda a Sarmedoxe ce qu’il requit, & d’auantage luy ouurit ſes threſors, afin que rien ne manquat. Incontinant les ſages ſe mirent à trauailler ſous la conduicte du ſage ancien, & employerent gens & maneuures à nettoyer le vieil Donjon, dedans & dehors, deſmolir les cloiſons, abattre les planchers, boucher les feneſtres, fermer les fentes à ce qu’il n’y reſtaſt que les murailles vnies, n’y laiſſant d’ouuerture que la porte, tant qu’il en fut beſoin. Là dedans le vieillard diſpoſa vn baſtiment dont le deſſein eſtoit en ſon cœur.Et pour lequel conſtruire, il fit appareiller de la terre graſſe, de celle qui eſt verdaſtre, laquelle il fit dextrement conrroyer, l’humectant de l’eau où auoit eſté diſſout le ſel vierge, lequel eſt le premier qui ſe congele és marais, & emprunte l’odeur des violettes : dans ceſte terre il meſla la limaille de fer, dont on a oſté la teinture par ebulition en vinaigre, & ceſte teinture eſt ſouuerain remede aux mauuaiſes couleurs des Dames, & ce corps mort de fer il le fit incorporer auec du verre pillé y adiouſtant de la terre blanche, ſelon la proportion conuenable à ce que le tout fut bien & deuëment lié. De ceſte compoſition dont il y auoit vne immenſe quantité, il forma les parois, les cloiſons, les planchers en voulte, remplis par deſſus, & le toict de ſon edifice enduiſant dedans & dehors la ſuperficie d’vne glaire, où il auoit fait tremper la pierre ſerpentine : auec ceſte criſtaline verte qui ſe trouue és forges où l’on rafine le fer & l’acier. Par ce moyen les ſales, chambres, cabinets & autres pieces furent conſtruites ſelon leur propre ſymmetrie, puis il laiſſa tout bien ſecher : En apres dedans & dehors il emplit le vuide de bois, & fermant l’entree & les autres œrs incommodes, ainſi que font les potiers qui cuiſent leurs ouurages, il mit le feu au vieil donjon, afin que ſon œuure cuiſit, le feu eſtant eſteint, & le tout refroidit, il y entra & fit oſter les cendres, & reuifita tout, qu’il trouua fort bien, excepté vn petit endroit vers le couchant, où il ſe trouua vne fente laquelle il boucha proprement auec ce ſouffre congelé en brillant qui ſe trouue és ardoiſieres d’Angers, & l’a ſi bien approprié, qu’il ſemble que ceſte ſoudure ſoit d’or : En apres il fit poſer les portes, les feneſtres & chaſſis, dont l’eſtoffe eſtoit eleué entre les meilleures. Celà fait, il fit deſmolir la grande muraille exterieure, laquelle oſtee, parut le domicile Philoſophique, conſtruit ainſi que d’vne piece, & tant accomply & beau qu’il peut eſtre dit le miracle du monde, & vnique merueille des pays, où le Soleil s’ayme, en outre il y mit des meubles conuenables, & neceſſaires auec les propres ornemens. Apres que le Roy eut veu ceſte preuue d’induſtrie il preſuma que Sarmedoxe ayant d’vn lieu ſans ordre & ruyné, abominable & deteſtable fait vne place elegante & polie, deſirable & delectable, que facilement il pourroit informer vne ſubſtance ſuſceptible de toutes belles formes : Parquoy receuant l’ouurage qu’il approuua fort, il y eſtablit les Sages, & leur mit és mains ſes trois fils pour les inſtruire en pieté, doctrine, arts & prudence. Ce lieu fut par l’aduis des Sages, & conſentement du Roy nommé l’hermitage d’honneur, auquel tout ce qui eſt neceſſaire à vn lieu de plaiſir ſe trouue, ioinct que toutes honneſtes commoditez, auec infinies ſingularitez, y ont eſté aſſemblees tant par la liberalité du Roy, que par l’induſtrie des Sages, & rencontres qui s’y ſont addonnees, ſoit par le reſte des baſtimens qui y a eſté adiouſté, qu’aux appartenances que le Roy y a adiointes, auec iardins, boys, eſtangs, & clos qu’il y a faict tellement approprier, que l’ō peut eſtimer ce lieu entre les plus ſuperbes de tous ceux qui ſont paruenus au terme de l’excellence. Les trois Princes furent eſleuez ſoigneuſement en ce palais (auſſi le premier petit baſtiment eſt dit le Palais du cœur,) & les ſages y prirent la douce peine, qui auec le temps eſclot le contentement, conduiſant ces beaux eſprits aux ſciences ſelon toutes les lieſſes de cœur que le ſoin doucement ordonné peut conceder. La malheureuſe contrainte, la rouge feſſerie, qui eſt le deſgouſtement des eſprits, ne s’y eſt point trouuee : mais toute iuſte liberté, fourniſſant de loiſir & d’occaſions, à ces beaux aſtres leuans de s’accomplir en lumieres parfaites. Ce qui a tant bien ſuccedé à ces perſonnages, chacun y ayant employé ce en quoy il excelloit, qu’ils mirent ces nouueaux cœurs en eſtat de ſe pouuoir eſgaler àux plus accords, ſi qu’outre l’addreſſe qu’ils auoient aux armes, & autres exercices communs aux Princes, ils paroiſſoient ſages, de belles mœurs, & doctes, non de la doctrine de ces arracheurs de paroles, qui fueillettent les liures pour y trouuer pluſtoſt vn mot pour s’emplir la bouche, qu’vne bonne ſentence qui ayt efficace à leur faire oublier l’auarice & le reſte des villennies pedagogiques. Et ce qui fut le plus recommendable, eſt qu’en peu de temps ont en vit tant de ſignes que la foy de l’effet ſurmontoit l’opinion, auſſi ce n’eſt rien d’eſtre vaillant, heureux & ſçauant, il conuient eſtre ſage. La ſageſſe eſt l’vnique fruict des labeurs, elle eſt le remede à tous mauuais accidens, l’ornement de la bonne Fortune, & le bien accomply de toutes ſinceres actions, comme but parfait des ames genereuſes, organe de leurs en trepriſes & conduicte de tous leurs deſſeins. Le temps eſcheu, & que Sarmedoxe auoit faict entendre au Roy, que les Princes eſtoient capables de ſuiure les erres de Fortune, il fut treſ-aiſe, & gratifia les ſages à leur deſir, leur commandant de continuer & de demeurer touſiours en l’hermitage pour y receuoir ſes commandemens. Or ce Roy qui a le iugement grand, & qui ne ſe borne pas à la ſimple apparence, deſira par eſ ſay notable ſçauoir, ſi l’interieur de ſes fils reſſembloit à ce qui paroiſſoit, & voulut luy-meſmes eſprouuer la ſageſſe de ſes fils. Parquoy ſur l’aduis pris au cabinet de ſon cœur, il enuoya appeller ſon fils aiſné, lequel ayant introduit en ſon particulier, il luy dit, Vous ſçauez, Caualiree mon fils, le ſoin que i’ay pris pour vous rendre tel que vous peuſſiez atteindre au rang des plus accomplis, & ie croy que vous auez le iugement de cognoiſtre le fruict que vous en deuez rapporter, qui premierement doit tendre à l’honneur de Dieu, puis au ſoulagement de mon âge, & plaifir de mon eſprit, vous pouuez § la peine du trauail continuel auquel i’ay eſté bandé tout le plus aiſé de mes ans, pour gouuerner mon Royaume en paix, & maintenir mes ſubiects en toute douceur & iuſtice, maintenant que le tēps m’a rendu peſant, il eſt heure que ie iouyſſe de quelque repos pour ſauourer le peu de vie qui me reſte, & que le reſſente la lieſſe de tranquilité attenduë par le bien que i’auray de vous veoir, ſelon mon deſir, partant afin que i’aye l’heur d’acheuer ma vie en patience, ie delibere me retirer des affaires, & vous mettre en main la charge du Royaume, afin que ce pendant que ie me donne ray quelque recreation, & que i’accompliſſe mes iours en mes maiſons de plaiſance, ſans aucun mauuais ſoin, i’aye le bien de vous voir conduire ſagement l’Eſtat, pour y continuer heureuſemēt apres mon decés. Ie veux doncques vous commettre tout mon ſoin, & vous communiquer ma couronne, comme à mon aiſné ainſi que ie le feray tantoſt paroiſtre aſſemblant mes eſtats, & vo° mettant le ſceptre en main : Et pource que ie tiēs celà ainſi que ſi deſia il eſtoit, ie vous recommande vos freres, ſur leſquels vous aurez l’œil pour leur diſtribuer les charges, & les aymer parfaitement, car ils ſont voſtre ſang : Ie vous enioints de rendre la iuſtice eſgale à chacun, ſans acception de perſonnes, & vous propoſant touſiours deuant les yeux la iuſtice diuine, gouuernez vos ſuiects en amour & charité. Ayez pitié des pauures, ſoulagez les oppreſſez, ne meſpriſez point la voix des ſupplians, recompenſez ceux qui auront employé leurs corps & leurs biens pour voſtre ſeruice : Ne donnez qu’aux gens de merite, & iamais on ne murmurera contre vous. Ne faites point de dons immenſes, ſur tout à ceux qui peuuent nuire, ou mal conſeiller. Tenez aupres de vous gens ſçauans & ſages, vous ſeruant de perſonnes non contemptibles, mais venerables. Ne pardōnez point aux meſchans. Ne permettez iamais que l’on viole les loix de voſtre Royaume, & reſpectez inceſſamment ceux qui enſeignent la pieté, Soyez religieux, non addonné aux vices, ayant ſur tout ſoin que l’on ne puiſſe remarquer que vous ayez aduancé quelqu’vn qui vous ayt aydé ou conſeillé en quelque action vicieuſe. Le Roy ayant par ces diſcours diuerſemēt manié le cœur de ce ieune Prince que la ſageſſe moderoit durant les combats que ces propos luy faiſoient, l’entendit ainſi reſpondre Monſieur, vous m’auez donné des enſeignemens qui ne doiuent iamais tomber de la memoire des Princes, & vous ayant ouy parler ſelon la puiſſance que vous auez ſur moy, ie me diſpoſe entierement à mon deuoir, qui me fait recognoiſtre qu il n’y a point de lumiere au monde égale à celle du Soleil, & qu’vn poil de la paupiere de l’œil eſt moindre que le ſourcil : ce qu eſtāt cōſideré, on doit touſiours s’arreſter à ce qui eſt plus grand pour ſe cōtenir en ſes termes. Ie ne ſeray iamais ſi temeraire de preſumer qu’ē voſtre preſence ie puiſſe eſtre capable d’aucun commādement ſouuerain, vous eſtes le Soleil de vottre Royaume, & le ſourcil de l’œil qui veille ſur vos peuples, & pourtant cognoiſſant l’heur que nous auons tous de voſtre preſence & grandeur, ie ſupplie auec tous vos ſuiects le Souuerain, qu’il luy plaiſe vous raſſaſier de iours, continuant voſtre bonne vie, meſmes au delà de la mienne, fut-elle autant aduancee que celle des plus anciens. Et ie vous ſupplie treſ-humblement me pardonner, ſi ie ſemble perdre l’aſſeurance, vous oyant entrer pour moy en des conditions qui me ſont inſuportables, par donnez, s’il vous plaiſt, à mon deffault, & ayez agreable que ie viue en l’obeiſſance treſ humble que ie vous doy, ſans que i’accepte ceſte charge, à laquelle ie n’oferois meſme penſer. Le Roy le trouua emerneillé & conſolé de cette reſponſe, & diſſimulant ſon contentement, iugea de la prudence de ſon fis, par ceſte modeſtie, & lans luv faire autre ſemblant le reruoya, puis vn peu apres il commanda, qu’on luy fit venir le ſecond, auquel l’ayant pris a part, il dict, Fonſteland, i’ay deiieeré de vous prouuoir auant que ie paſſe les derniers ſoupirs de ma vieiileſſe : par quoy ayant aduiſé à la fortune de voſtre frere aiſné, que i’eſtabliray fort bien par l’aliance que ie feray de luy auec l’heritiere d’vn plus grand Royaume que ceſtuy-cy, ie vous veux mettre durant ma vie en poſſeſſion de mon Eſtat, ce que ie deſire executer tout maintenant, tant pour vous inſtaler, que pour me ſoulager des charges publiques leſquelles à cauſe de mon aage commencent à m’eſtre importunes. Ie ſuis vieil, vous eſtes ieune, vous pourrez aiſément porter ce faix pour moy : penſez doncques à vous diſpoſer à ce qu’en pleine aſſemblee des Eſtats, ie vous conſtituë Roy : Apres ce diſcours il adiouſta les remonſtrances & regles, les preceptes, ſtatuts & iuſtice qu’il auoit propoſé à l’autre, ce que ceſtuy-cy oyant & coniecturant la merueilleuſe eſpreuue par laquelle le Roy le tentoit, ſe conſeillant à la raiſon, que la ſageſſe luy auoit practiquee, reſpondit, Monſieur, ie vous supplie de propoſer à mon eſprit, ce dont il eſt capable pour exercer à voſtre ſeruice, afin que vous ayez le plaiſir de conſiderer comme ie m’y occuperay, & que I’aye le contentement de vacquer à mon deuoir, ſelon ma puiſſance quand à l’adminiſtratiō que vous me preſentez, ie ne vous ſupplie point de m’en excuſer, car vous ſçauez que ceſte charge me fuyt autant que le gouuernement des Lyons eſt eſloigné de l’Empire du Fourmis, parquoy pardonnez-moy, ſi ie penſe que ce n’eſt point à moy que vous en ayez parlé. Et puis ie recognoy auec tout le mōde que la felicité de ce Royaume eſt voſtre preſence & ſoin ordinaire, & d’auantage, quoy qu’il vous ſoit agreable de m’en dire, l'œil de vos penſees eſt ſur mon aiſné, quand voſtre decez aduiendroit, & ie prie Dieu auec tous vos ſubiects, qu’il ſoit perpetuellement reculé : & pour ce ie ſeray treſ-heureux que voſtre bon plaifir ſoit que ie demeure en l’eſtat conuenable a ma petiteſſe, & lequel me ſera bien ſeant au rang que ie dois tenir. Le Roy ne faiſant aucun ſemblant de ce qu’il penſoit de ceſte reſponſe, le renuoya faiſant de meſme venir le troiſieſme, qu’il tenta ainſi. Viuarambe deſirant me donner vn peu de repos, & me recueillir auecvn petit de patience, pour recreer mes forces abatuës du trauail ordinaire, & m’eſiouyr de quelque tranquilité, ie veux vous donner ma lieutenance, afin que vous vous façonniez aux affaires ce pendant que i’enuoye vos freres à la conqueſte de l’iſle d’Ofir, que i’ay enuie dés lōgtemps de ioindre à ma domination : Aduiſez doncques à me ſoulager dignement, & vous y diſpoſer tant pour voſtre aduancement, que pour mon repos : ayant ceſte entree, vous fet rez des amis & aurez de grands ſupports, tellemēque vous pourrez vous eſtablir & empeſcher la violence § vos freres, s’ils vouloient vn iour vo° opprimer, tellement que le credit que vous acquerrer vous maintiendra. Apres ceſte propoſition, il luy declara les inſtitutions & ordonnances legitimes qu’il faut qu’obſerue exactement vn bon Lieutenant, luy parlant en façon tant ſerieuſe, que celà pouuoit induire aiſément vn ieune cœur, qui ne doit point eſtre ſans ambition. Mais ce Prince ſentant en ſoy la reſolution que fournit la ſapience, liſoit és intentions du Roy, auquel il fit ceſte reſponſe. Monſieur, ces aduantages ſortent de voſtre bouche ainſi que de la ſource affluente de bonté, & toutesfois ils me ſont vn torrent qui m’emporte ſi loin, que s’ils continuent, ils me pouſſeront en vn precipice ineuitable, ie vous ſupplie treſ-humblement de me conſeruer en ma petiteſſe, ordonnant ce peſant fardeau à mes freres, qui en ſont capables, & bien que i’aye l’honneur d’eſtre iſſu de vous, ſi ne ſuis-ie encore qu’vn petit ſurjon d’eau viue, ne pouuant ſeulement arrouſer le moindre ſillon d’vn des infinis parterres que la moindre vague de la mer de vos vertus abreuue iournellement. Ce grand Roy trouuant ceſte repartie à ſon gré le renuoya. Par les apparences que le Roy auoit euës que ſes fils auoient acquis de la ſageſſe, ſe ſentit fort ſatisfait en cœur : mais pourtant il eſtima qu’il falloit d’auantage, parquoy ayant plus aduantageuſement conſideré à part ſoy, que ceſte ſimple preuue, où il n’y a que des paroles ſans effets n’eſtoit pas ſuffiſant examen de cœurs parfaits, voulut paſſer outre, afin de contraindre ſes fils à ſe preualoir plus de ſapience & valleur que de grandeurs, & l’ayant meurement remué en ſon ame, les fit tous trois venir parler à luy Et cōme ils eſtoiēt en l’ humilité decente, attendant la volonté du Roy, ils’ouyrent de la bouche Royale ceſte reproche & arreſt, Vous eſtes enfans ingrats, preſomptueux & ſans amour, & qui ne pouuez eſtre perſuadez par le deuoir, ie vous ay remonſtré mon inconmmodité, & meſmes priez de me ſoulager en ma vieilleſſe, & vous l’auez refuſé : penſez-vous que ie ne cognoiſſe pas bien voſtre cœur, & que ce n’eſt point humilité ny la biēſeance qui vous a fait parler, & n’accepter les offres que ie vous ay faites, mais vn mauuais ſoin de croupir en eſcoliers pareſſeux, au lieu d’eſtre Princes releués ſelon l’excellente opinion que i’auois de vous ? Parquoy ie vous cōmāde, car ie le veux, & vous enioints treſ-expreſſemēt ſans chercher excuſes en ſorte quelconque, ou pardon, ou grace, ou congé, que vous ayez dés maintenant à vous retirer de ma preſence, & ſortir de mon Royaume, pays & terres de mō obeyſſance, prenant garde ſur vos teſtes d’y eſtre rencontrez : que ſi dix & neuf iours eſtans paſſez on vous y trouue, ie vous feray ſentir les effets de l’ire d’vn Roy iuſtemēt indigné. Ce leur fut vn trait d’extreme douleur, d’entēdre ainſi parler leur Seigneur, leur pere, leur Roy, prononçāt contre leur innocence la plus criminelle iniure de toutes, adiouſtant vn arreſt autant douloureux qu’angoiſſe aucune : toutesfois ayans le cœur muni de patience & de reſolution, qui ſont les principaux fruits de la ſageſſe, ils ne chercherēt autre remede à leur calamité, que d’obeir : donques prenans quelques, commoditez, & ce que leur donna leur ſage ſœur Olocliree, ſe mirent en chemin. Le Roy aduerty de ce prompt depart & ſoudaine obeyfſance, iointe à la diſcretion, iugea qu’il ne ſeroit point fruſtré de ſes penſees, & que ſon deſſein premedité apporteroit du fruict. La grande prudence des Princes fut, qu’ils ne declarerent à perſonne le commandement du Roy, & faignoient d’aller cōme ſe deſrobans, auſſi on en aduertit le Roy, qui dit qu’il les falloit laiſſer faire, & que s’ils eſtoiēt bien ſages, ils ne feroiēt rien mal à propos, & n’attendroient qu’on les allaſt querir. On l’aduertit que veritablement ils auoient pris la voye de la mer, & qu’ils s’eſtoient embarquez, dont il fit ſemblant d’eſtre eſtonné, & marry, & pource il enuoya appeller les Sages qu’il conſola, & les prenant ſecrettement leur declara ce qui s’eſtoit paſſé, leur remonſtrant que ce qu’il en a fait, eſt pour cognoiſtre ſi l’obeiſſance de ſes enfans eſt vraye, ou feinte, afin que voyant ce que la ſageſſe leur profitera, il donne aſſeuré iugemēt du profit qu’ils ont faict : Car ce n’eſt pas tout d’eſtre ſcauant, il faut eſtre ſage, & de ſage vertueux par effect : puis les ayans recompenſez de beaux & riches preſens & dons honorables, leur commanda de demeurer en l’hermitage qu’il vouloit acheuer de rendre parfait du tout. Les Sages eurent beaucoup de regret de l’abſence des Princes, toutesfois ils s’y reſolurēt meſmes par la preſence du Roy qui les viſitoit ſouuent, les induiſant en toutes ſortes à augmenter ce beau lieu de toutes ſingularitez, & l’enrichir de belles ordonnances, pour exercer les eſprits curieux qui ſont ſectateurs de la vertu,