Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein XI

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DESSEIN XI.


Les effects du Miroir de Iuſtice. Qui eſt l’aiſné des Beſſons. Entrepriſe pour rauoir le miroir. La Main fatale perſecute ceux de Sobare. Lofnis monſtre à Fonſteland le Fœnix artificiel. L’adieu des amants. La Biche a deux cœurs.



APres que par beaucoup de preuues manifeſtes, l’Empereur eut eſté abondamment aſſeuré de la ſuffiſance des Fortunez (qui ne faiſoiét rien l’vn ſans l’autre, encor qu’ils dǒnaſſent la gloire de chaque effect à celuy qui l’auoit propoſé ; car ils eſtoient vnis en amitié parfaicte, ſans enuie & ialouſie, qui ſont la mort qui occit les amitiez neceſſaires) & qu’il eut remarqué en eux plus de prudence que d’âge, les ayant remerciez par honneurs, preſens & promeſſes, les pria de continuer en l’affection qu’ils luy portoient. Ce que les Fortunez luy promirent faire tres-affectionnément, & tres-humblement, requerans toutefois ſa maieſté de leur donner congé de voir d’autres regions. L’Em † pria d’auoir vn peu de patience, eur declarant que dans peu de iours il les li centieroit à leur gré, d’aller & de venir com me en leur propre terre, ou les employeroit en vne affaire qui luy importoit grandement, à quoy ils pouuoient, ſ’ils vouloient y enten dre, luy apporter du contentement. L’Em pereur eſtant à part ſoy, & ſe repreſentant les perfections de ces trois freres, ſ’auiſa que poſſible ils le pourroient mettre au repos que de long temps il deſiroit, & creut qu’ils luy eſtoient enuoyez du ciel pour le rendre com · plet en ſon eſtat : parquoy ſ’eſtant conſeillé auec ſes penſees, & aſſis ſeurté ſur ce qu’il pre tendoit, il fit appeller les Fortunez en ſon ca binet, & les ayant ſalüez il leur dit : I’ay re cognu par demonſtrations veritables la gran deur de vos eſprits, le pouuoir de vos intel ligences, & la force de ce que vous pouuez : cauſe que i’ay tel eſpoir en vous, que ie m’aſ ſeure que Dieu aydant, ſi vous mettez la main à vne affaire d’importance qui me touche, vous en viendrez aiſément à bout, & accomplirez ma felicité. Les Fortunezayans ſur ceſte ouuer ture vſé de belles & modeſtes reparties, ſ’offrirët du tout à ce qu’il luy plairoit leur commander, çomme touts diſpoſez au bien de ſon ſeruice. L’EMP. Puis que vous m’auezaſſeuré de ma vie, par voſtre preuoyance & conſeii, i’ay beaucoup d’aſſeurance en vous.Ie vous dirai donc l’affaire. Mes anceſtres Empereurs de ceſte Monarchie, ont touſiours fait grand eſtat des ſages qu’ils ont gratifiez de leur pouuoir, & retenu pres d’eux le plus qu’ils ont peu, les fauoriſans en toutes choſes, ce qui a tant eſté apparent, que cet Em pire en eſt la pepiniere, comme vous auez peu voir en l’aſſemblee generale pour l’interpreta tion de mon ſonge, où il ſe trouua des Philoſo phes de toutes nations, habitans en mes terres, ou y paſſans, ou y conuerſans : mais tous ceux là n’ont point encor veu les deſtroits que vous auez paſſez. Ce bon accueil faict à tant de gens de bien par mes predeceſſeurs, eſmeuſt entre autresvn ſage Druyde ancien ſcrutateur de tous ſecrets, auſquels il eſtoit expert, & en ſçauoit tant qu’il en eſtoit nommé le Pere. Ce perſon nage en vertu des aſpects des aſtres, circonuolu—. tions des natures, complexions des meſlanges, &proportion des compoſitions ſuiuant la ſciéce des Taliſmans, forma & polit vn miroir qu’il donna à l’Empereur mon grand pere, le priant de le conſeruer ſoigneuſement, & quant & quät, luy declara la proprieté & vtilité du miroir, dont la vcrtu eſtoittelle, que par luy tous procez pou uoient eſtre vuidez en vn inſtant : car ceux qui auoient tort ſ’y mirans deuenoiét noirs, & d’vn noir ſi honteux, que meſmes il eut eſpouuanté les Mores : Et ſi ceux qui auoient droict ſ’y pre ſentoient, ils demeuroient en leur couleur na turelle, & meſmes l’augmentoient d’vne douce viuacité que le miroiry infuſoit, par ceſte prom pte demonſtration on deſpechoit les parties ſur le champ ; & partant ce ioyau fut nommé le Miroir de iuſtice, par l’vſage duquel il n’eſtoit point beſoin de ſe raporter aux teſmoins, & ainſi § informations & autres troubles de procedu res eſtoienteſteintes, & tant de gens qui mangent les autres & les rongent § n’auoyët point de lieu : Et s’ilyabien plus, c’eſt que la par tie noircie receuoit ceſte tache tant viuement. emprainte qu’elle ne ſe pouuoit effacer que par vne iuſte penitence.Ilyavn puits plein au fonds d’vne eau ſtygiéne, auquelil faut baigner le coul pable, & là aupres eſt vn petit cauereau,’où il ſe repoſe, & n’a par iour que trois onces de pain qui luy eſt diſtribué à midy, durant ſept iours philo ſophiques & iudiciairs, apres ceux-cy on luy en donne ſix iours durant deux fois, à chaque fois deux onces, puis cinqiours de ſuite on luy en dö ne trois fois le iour, à chaque fois vne once & de mie, en apres quatre iours, à chaque fois deux onces, celà faict, & s’eſtant laué tous les iours deux fois auec repentance, il eſt tiré de ceſte mi ſere, & paſſé par vne ſallette pleine d’vn feu vif, quille reſiouyt, que s’il ne § repenty, il en de uient pire, & on le chaſſe au loin, ou ſelon l’enor mité du fait on leiette au gouffre.S’eſtant repéti, il paroiſt en ſon naturel, & encore plus beau, & ayant fait naifuement confeſſion de ſa faute paſ ſee, & on le reſtablit en ſa dignité : que ſi ſon for fait ne requeroit l’extreme punition, on le laiſ ſoit aller, & de honte il ſe tenoit muet & com me diſgracié ne comparoiſſoit plus. Auſſi ſi le malfaicteur n’auoit commis qu’vn ſiniple mal, & ne vouloit ſubir la penitence, illuy eſtoit permis, maisildemeuroit toute ſa vie honteux & infame, Cecy formoit le peuple à vne grande obeiſſance & accord, perſonne n’oſoit outrager ſon pro chain.Il eſt vray que ſi parignorance & ſans ma lice on tomboit en quelque default nô premedi té, & que l’actionné le confeſlaſt librement on en voyoit la verité par le miroir, car le viſagé miré deuenoit rouge, &d’vn rouge honteux qui duroit trois iours, puis celà ſe palloit & le iuge en co gnoiſſoit pour y apporter l’intereſt ſelon l’exigé ce du cas.Par ce moyen le monde eſtoit tenu en bride, ſi que chacun ſe contentoit de ſa fortune, ſans enuie manifeſte, & ſans entreprendre ſur au truy. L’heureux Empereur poſſeſſeur de ce mi roir apres longaage raſſaſié deiours, laiſſa ce mö de, & l’Empereur mon pere fut ſon heritier. Or l’Empereur mon pere auoitvn frere beſſon, qui euſt bien voulu que le partage euſt autremêt eſté faict, & s’y attendoit, auſſi eſtoit-il entreprenät, hazardeux & de menee, & ſi mon grand pere & les Eſtats n’y euſſent prouueu, il ſe fuſt emparé de la Couronne, car il y auoit quelques flatteurs, qui l’aſſiſtoient, ayant des Conſeillers qui luy fai ſoient entendre : ainſi que diſent quelques pre tendus Iuriſconſultes, le ſemans ſottement : que le dernier venu eſt l’aiſné : en quoy leur ignorance paroiſt manifeſte, ne fuſt-ce qu’à la conſideration des autres animaux, qui ont luſieurs petits, & à la ſuperfetation, ce qui eſt † decidé par les ſages, & les ſaincts decrets, attendu que le premier venu eſt l’aiſné, & com me le dit le vulgaire, Qui premier naiſt premier paiſt. L’Empereur doncques ſuyuant la verité, ayant diſpoſé de ſa Couronne entre les mains de mon grand pere, & mon oncle ſe voyant fru ſtré de ſon attente inique, ne laiſſa pas d’y perſi ſter, ayant gens quil’aſſiſtoient à debattre la ſuc ceſſion. Il eſtoit Prince vaillant & de belle gra ce, grand maiſtre à voller les cœurs, ſi qu’il auoit des † qui ouuertement ſuiuirent ſon par ty, parquoy vne grande guerre ciuile s’eſmeut, es armes furent leuees par tout, & tant de mu tins firent vne ſi groſſe leuee, que mon pere fut contraint de dreſſer vne grande armee, & aller au deuant de mon oncle, & luy liurer bataille, où il le vainquit, trop de ſuiets y perirert, & enco res que la victoire eſcheut à mon pere, ſi ne fut elle pas entiere, car mon oncle eſchappa, ayant deſtourné le Miroir par la trahiſon de deux po teſtats qui luy liurerent & s’enfuyrent auec §, quiauec ceioyau ſe retira au Royaume de Soba re, où pour lors regnoit Sobarebelle& ſage Prin ceſſe, laquelle portoit meſme nom que ſon Roy aume & que ſa ville metropolitaine. Le Prince eſtant là, afin d’auoir la bonne grace de la Roine, &retraicte aſſeuree, fit preſentduMiroir à laRoy ne, qui en auoit ouy parler autresfois & des mer ueilles de ſon eſfet, mais il luy fut inutile, à cauſe qu’il auoit eſté fabriqué pour ce climat, & meri dien, auquel ſeulil peut ſeruir. Orilya quelque temps que pres la ville de Sobare, qui eſt ſur le bord de la mer, il parut vne choſe eſtrange : C’eſt qu’au leuer du Soleil quelques cent toiſes loing du haure, il ſe leua vne grande main eſtendue, aduantageuſe & eſpouuantable, quitout le iour demeura ſtable, & au Soleil couchât s’eſlança ſur le bord, & empoigna vn homme qu’elle rauit en la preſence de tout le peuple, & le coula au fonds de la mer, ce qu’elle a depuis continué iournellement au dommage de quelqu’vn, de quoy le peuple ſe trouua fort eſtonné, chacun craignant ceſte rencontre, car meſmes la main s’eſtan teſleuee haut, s’eſlançoit ésiardins, courts, & autres lieux où il y auoit des perſonnes, & en attrapoit. La Royne, les ſages & le vulgaire mirent tout ſoin, diligence, & peine, de remedier à ce dan ger : mais ce fut en vain, les coups de canon, les armes offenſiuesy eſtoient employees, mais pour neant, rien ne ſe trouua capable pour reſiſter à cet inconuenient, ny fort § pour l’abattre : l’af fliction en duroit touſiours. Les Sages, les Philo ſophes & toutes ſortes de gens qui ſe cognoiſſent à tout, y ont eſté employez, mais ce qu’ils y ont taſché n’y a peu profiter : à la fin la prudente Roy ne, qui eſtoitl’vnique entre les Dames accom plies, s’aduiſa du Miroir, ſe perſuadant qu’il au roit quelque efficace, & en l’aſſemblee du Con ſeil, où les Sages eſtoient, propoſa ce qu’elle en auoit premedité, qui fut trouué fort à propos, ſi que dés l’heure il fut eſſayé en ſa preſence, & de tous les Princes, & du peuple. Le Miroir doncques preſenté à la main, on vid vn effet merueilleux, car incontinant comme par hu milité elle s’enclina, ainſi que ſi elle ſe fuſt plon. gee de ſon long en la mer, puis ayant eſté vn peu nageant ſur les ondes, elle ſe releua & remit en on eſtat accouſtumé. Tout le monde fut eſ meu de ce geſte : On oſta le miroir puis on le repreſenta, mais ſans fruict : tellement qu’on delibera d’attendre, & aduint qu’à l’heure couſtumiere du couchant, la main s’eſleua & ſe ietta ſur vne beſte qu’elle empoigna & rauit, & depuis a touſiours continué : tellement que l’incommodité n’en eſt pas tant calamiteuſe. Depuis ce temps là ils n’ont ſçeu que faire à ceſte playe, car tous les iours quelque cheual, quelque mouton, chien, veau, bœuf, chat, ou autre animal domeſtique irraiſonnable eſt em porté, & les affaires ſont demeurees en tel e ſtat. L’Empereur ayant perdu ſon Miroir, e ſtoit fort faſché, & en portoit à cauſe de la iu ſtice, vn ennuy notable, toutesfois il eut quel que eſpoir ayant entendu qu’il eſtoit en Sobare. parquoy il enuoya vers la Royne pour le re couurement de ceioyau, luy offrant de grands preſens, s’illuy plaiſoit luy reſtituer, à quoy elle n’a pas voulu entendre, mettant en auant quelques excuſes receuables. De l’auoir par force, il n’y a point de moyen, car le pays eſtinacceſſible, & l’auons recogneu tel : d’yal lèr par mer, il faudra ronger les rochers, ou forcer vn havre, où il n’entre à la fois qu’vn ſeul vaiſſeau, par l’Iſthme il n’y peut entrer que deux hommes enſemble : ſi que l’eſperance par telle voye eſt nulle : La force n’y peut ob tenir, tellement qu’il faut y paruenir par dou ceur, ou par ſtratageme. Or la playe dont ie vous ay parlé eſtant ſuruenuë, & moy comme heritier de l’Empereur mon pere, ayant en uoyé à la nouuelle Royne de § qui vit au iourd’huy, qui eſt belle, ieune & ſage, la prier de me reſtituer le Miroir : Elle m’a mandé que il eſtoit à elle de droict de guerre, & de ſucceſſion, & que toutesfois elle me le mettroit entre les mains, ſi ie luy enuoyois quelqu’vn d’entre les Sages qui viuent aupres de moy, qui la peuſt deliurer de la main fatale, & ceſt ar § de Conſeil fut eſtably comme vne des loix fondamentales du Royaume de Sobare. Voi là comme tout eſt paſſé, & l’eſtat auquel nous ſommes demeurez depuis cinq ans, & ne s’eſt trouué aucun qui ayt peu remedier à ce mal, ny deliurer ceſte contree là de telle perſecution. Maintenant que ie n’y penſois preſques plus, tenant le tout comme deſeſperé, ie ſuis r’en tré en eſperance de recouurer le Miroir par voſtre moyen, & par ainſi faire du bien à ce ſte iſle tant moleſtee, & auoir du contente ment en recouurant mon bien tant deſiré. Ie vous prie d’y aduiſer : car ſi vous † & que me faeiez vn ſeruice tant ſignalé, ou tre la gloire qui vous en aduiendra, vous obli gerez vn Empereur qui ſera tout à vous. Les Fortunez ayans ouy ceſte affaire, reſpon dirent à l’Empereur, que deſia ils eſtoient preſts de le ſeruir en tout & partout, mais qu’il y falloit penſer meurement : & partant luy de manderent temps pour yaduiſer : ce qu’il eut agreable. Ils y penſerent doncques, & s’eſtans reſolus auec ſa Maieſté, leur voyage en Sobare. fut conclud à la prochaine ſemaine, & cepen dantils ſe preparerent. Cecy fut le vray moyen aux Fortunez de faire rencontre, ainſi que le ſuc cez le fera paroiſtre. Fonſteland auoit faict · entendre à Lofnis ce qui ſe paſſoit, à ce que rien ne fuſt fait ſans ſon ſçeu & bonnevolonté : & elle accorte amante manda à la Fee, qu’elle priaſt les Fortunez de ſe trouuer à la Fontaine, à fin de les voir auant que partir : quelque choſe qu’elle peuſt feindre, ſi ſentoit-elle en ſon cœur vn certain deſplaiſir de leur eſlongnement : tou tesfois cognoiſſant que c’eſtoitvn moyen de les faire cognoiſtre, & d’entrer en lagrace parfaite du Roy leur pere : elle en eſtoit treſ-aiſe, ioint que ſon particulier eſtoit la principale fin qui l’excitoit à bien eſperer de leurs entrepriſes. La Fee leur ayant enuoyé le meſſage de Lofnis, ils ne tarderent à venir à la Fontaine. Eſtans là, la Fee & les deux freres donnerent occaſion aux amans de conferer enſemble. Lofnis monſtra à Fonſtelandvnioyau, qu’vn Philoſophe Occi dental luy auoit faict recouurer par grande ex cellence, l’aſſeurant qu’il auoit telle vertu és fi gures & lettres § contenoit, que nul ne pourroit les deſchiffrer que celuy qui luy eſtoit deſtiné adioint de fortune commune, parquoy elle luy dit : Me fiant en voſtre eſprit, non pour douter de voſtreaffection, mais pour en eſtre plus aſſeuree en vous certifiant que i’en ſuis treſſeure, & auoir ceſte conſolation & reſiouyſ ſance devoir de plus en plus des fruicts de voſtre ſageſſe, iele vous veux monſtrer à ce que vous en iugiez. Elle tira d’vne boëte d’or vne deui ſe faicte de pierres excellentes : c’eſtoitvn Phœ · nix bruſlé dans ſon nid qui eſtoit oppoſé au So leil, & de ceſte § eſtoit latine, Si formam dederis formosvs ero, ce qui ne ſe pouuoit traduire en autre langue mot à mot en meſme ſignification de rencontre de arole procedante de l’autre. Le Phœnix eſt § de l’eſprit del’or calciné par la propre odeur de ſon eauë claire & interieure. Le Nid eſtoit de petites broches de diamans entrelacez d’au tres pierres de toutes couleurs, en guiſe d’é— mail, le tout enrichy d’vn ouurage d’or com mun, laborieuſement exquis, bordé de groſ ſes perles, & aſſis ſur vne branche de coral le plus vermeil qui fuſt oncques veu, ayant la ra cine plus noire que gez. Le Soleil eſtoit vn grand rubis rayonné de hyacinthes eſclatantes, & au milieu du rubis eſtoit fort induſtrieuſe ment poſé vn diamant rond, ayant cinq li gnes de diametre. Le Fortuné ayant veu ce ioyau tant exquis, & precieux, dit, Madame, ſi le bon — heur conſiſte en l’interpretation de toute la deuiſe, ie ſeray bien toſt le plus heu reux du monde. Mais il y a vn ſuiect plus no table, dont le conſentement eſt neceſſaire pour ma felicité : C’eſt vous qui pouuez me mettre en tel heur ayant mon ſeruice agreable, & que ſuyuant l’ame de ce ioyau, ie deuienne excel lent & beau par vous. Vous ſçauez l’hiſtoire du Phœnix, que le Soleil fait reuenir : auſſi il luy dit, Si l’on me donne la forme, ie ſeray formé en beauté. Voilà le mot dont la ſigni fication m’eſtant attribuee, ie vous diray, que ſi Vous conſentez à mes deſirs, me fauoriſant com mei’eſpere, de l’influence de voſtre belle lumie re, mon ame deuiendra toute excellente : auſſi je ne deſire point faire d’actes vertueux, & ne le puis, que ce ne ſoit à voſtre gloire : acceptez donques mon deuoir, comme de celui qui eſt tout à vous, & qu’il vous a pleu eſlire, le choi ſiſſant de voſtre particuliere grace, ſans conſide ration d’aucun ſien merite. LoFNIs. Ne vous aneantiſſez pas tant, quãd ce ne ſeroit que pour ce que vous eſtes à moy, qui ne penſe rien poſſe der de petit, au reſte que nos diſcours ſoyent courts & noſtreamitié longue, retournons aux autres, & ſoyez telie vous prie, en la conſerua tion de ce que vous me deuez, que ie ne me re pente point de l’election quei’ay faite.FoNsT.Ie vous le laiſſeray à iuger : carie n’aurayiamais au tre forme que celle que vous me donnez. Afin qu’en mon abſence, ie vous puiſſe communi quer mon petit ſecret, ce que les diſtances des lieux, nous refuſeront ie vous prie de voir cét adieu qui parlera pour moy.

Mon Soleil ie ne ſcay ſii’aurayl’affeurance
De ſupporter l’excés de mon affliction,
Car ie ſens tät d’ennuy, pèſant en voſtre abſence,
Qu’il n’eſt point de douleur comme ma paſſion.
Ie coule tout en pleurs, & iem’exale en plaintes.
Me ſeparant ſiloin de l’obiet deſiré,
Mes lamentations ne ſont point larmes feintes,
Car mon cœur eſt d’ennuy viuement vlceré.
Eſloignant les baux yeux de ma belle lumiere,
I’entre ès ombres confus de toute ohſcurité,
Et mon œil deſtourné de ſa gloire premiere,
Se diſtille és torrens de ſa calamité.
Trop loin demon soleil, ie ſeray ſans courage,
Tout eſteint de valeur, tout deſcheu de pouuoir,
Ie ſeray le fuiet de triomfeau dommage,
Mort au contentement, tout eſteint à l’eſpoir.

Mon cœur s'eſcoulera preſsé de ſa triſteſſe,
Mon ame periſſant n'aura plu de deſirs :
Et ne reuoyant point ceſte belle Maiſtreſſe,
Mes eſprits defaudront troublé de deplaiſirs,
Mais quelle triſte humeur veut ſeduire mon ame,
La faiſant reuolter de ſa propre grandeur ?
Non ! ie ſuis alumé d vne ſi belle flame,
Que ie ne feraypoint d'outrages à mon cœur.
Bien que ie ſois abſent du ſurjon de ma vie,
Que s'eſloigne tant loin la ſource de mes feux,
Si eſt-ce que mon ame à ma lumiere vnie,
Ne s'en eſloignera ſeulement que des yeux.
Ie ne m'eſpandraypoint en indignes detreſſes,
Bien que ie ſois preſſé de trop greues douleurs,
Mais des cœurs releuez imitant les addreſſes,
Plus ie m'eſloigneray tat plus i'auray d'ardeurs.
Le ſouuenir heureux qui touſîours m'eſpoinconne
Plus parfaite qu'a l'œil ma belle me fait voir,
Et les diuers deſſeins que ſa beauté m'ordonne,
Mettent deuant mes yeux l'eſtat de mon deuoir.
Ainſi faut ſe parer contre la deſiinee,
Quad elle veut troubler le bôheur de nos cœurs,
Et l'eſperance eſtant en vne ame bien nee,
Elleſent en plaiſirs tranſmuerſes malheurs.
Jamais # n'eſt abſent de ſa Belle,
Car l'ayant dans le cœur, il la reſſent touſiours :
Il la uoid, il la ſert, é d'une ame fidelle,
Il luy rend meſmes vœux & les meſmes amours.
Ie n'eſloigne donc point voſtre belle preſence,
I'y ſuis par trop vni par mes fidelitez,
Mes deſirs ayans pris ſi parfaite naiſſance
Pour obiet eternel, ont touſiours vos beautez,
Telle ſera ma foy que ie vous l'ay iurcee,

Pour la vous conſeruer en toute verité,
Et d’vn ſemblable ſoin vous ſerès honoree,
De mon ame qui eſt toute fidelité.
Vous en ferés eſtat, car voſtre grand merite
Recognoiſtra l’effet de mes intentions,
Et bien que ma puiſſance apparoiſſe petite,
Si la verrés vous grande en mes affections.

Au departir de la fontaine, Lofnis pria les For tunez de mettre toute leur induſtrie au recou urement du Miroir, à quoy ils aquerroyent vne gloire infinie, & obligeroyent l’Empe reur & pour les gratifier leur donna à chacun vne faueur, à Caualiree vn diamant ſans deuiſe, à Fonſteland vn ſoleil de rubis, & à Viuarambe vne eſtoile d’emeraudes, (ces trois bagues eſtoyent des plus riches) & pria les Fortunez de les porter pour l’amour d’elle, & ainſi cha cun la ſienne, en ſouuenance de ſa maiſtreſſe, & de l’analogie qu’elle auoit de celle qui la donnoit a celuy qui la receuoit. Le iour venu du depart des Fortunez, ils ſe mirent en che · min, & l’Empereur monta à cheual pour de tant plus honorer leur ambaſſade, à ce qu’auſſi ceux qui les ſuiuoyent en fiſſent plus d’eſtat, & les conduiſit vne lieuë, les priant non com me ſimples gens, mais autant que s’il les eut tenus des plus grands, & les incitant d’af fection à faire ſi bien en ceſte affaire, qu’il en ait vne preuue excellente de leurs valeurs. L’Empereur retournant auecl’élite de ſes Che ualiers, eut vne plaiſante rencontre, il veint au deuant de luy vne beſte mal menee par ſon grand veneur, laquelle tomba à ſes pieds rendant les abois, luy & tous les preſens, penſoyent que ce fut vn cerf, & il ſe trouua que c’eſtoit vne biſche portant vne belle teſte : Il la voulut reſeruer viue, mais elle auoit vne fleche au trauers du corps qui la fit mourir : auſſitoſt qu’elle fut ouuerte on deſploya les entrailles, & on y trouua deux cœurs. Les Sages du païs ont eſté appellez pour en dire, mais ils ſ’en ſont teus, il faut at tendre les Fortunez, & cependant l’Empereur ſuyura ſes plaiſirs & ſes deſtinees, & Lofnis me ditera en ses amours.