Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein XIX

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DESSEIN DIXNEVFIESME.


Le Roy enſeigne ſon ſecret à vn ſien mignon, dont il ſe trouue mal car il le trompa & ſe mit en ſon corps. Le Roy eſt long temps en vne biſche, d'ou apres pluſieurs fortunes ſe met en vn paroquet. Iugement du paroquet. Il eſt donné à la Royne.



IL y auoit deſia quelques annees que le Roy auoit acquis ceſte ſapience, & qu'il la practiquoit. Et quand les Fortunez arriuerent en ceſte iſle, il n'y auoit pas plus de quinze iours qu'il luy en eſtoit eſcheu vn terrible ſuccés, au raport duquel les Rois apprendront à choiſir ceux qu'ils voudront aymer, & à diſpoſer ſagement de leurs ſecrets. Ce Roy ſ'eſtoit adōné à vouloir du bien à Spanios gentilhōme de belle apparēce, & tenu pour ſage en ſes opinions, & ſ'affectionna tant de luy qu'il le fit ſon intime amy, grād chābellan & premier de ſon conſeil : Il ne pouuoit viure ſans lui, pource que ſon cœur s'eſtoit ſi viuement & vniquement incliné à lui, qu'il n'aymoit & ne faiſoit cas que de ce cheualier, lequel ſe rendoit ſi complaiſant au Roy, qu'il n'auoit fiance qu'en lui ſeul. Ce perſonnage ſ'appuiant ſur l'amitié de ſon maiſtre qui ne lui celoit rien, ſ'auantura de lui tenir propos de ſon ſecret, & le remerciant de ſes biens faits, luy diſoit qu'il eut deſiré d'eſtre capable de telle ſcience, pour auec l'vſage d’icelle le ſeruir plus dignement : Le Roy trop violentement eſpris de cet homme, lui enſeigna liberalement ce qu’il en ſcauoit, & le tançant de ce que pluſtoſt il ne l’auoit demandé, lui fit tellement practiquer qu’il le ſceut du tout, & parfaittement. Spanios tres-aiſe de ſi bonne & grande fortune, tout confit de contentement en ſon cœur, ſ’eſleuoit par deſſus toute bonne auāture, & faiſoit des deſſeins de non petite conſequence. Ce mignon du Roy ſe voyant auancé en tant de felicitez, ſe mit en la fantaiſie de nouueaux deſirs, & pretendant aux ſouueraines voluptez, ſe debanda du deuoir, pour vaquer à la recherche, des occaſiōs, pour venir à bout de ſon entrepriſe. Qui a-il au monde que la fureur de concupiſence ne face tenter à celui qu’elle domine ? il auint que le Roy eſtant à la chaſſe, Spanios qui iamais ne l’abandonnoit, trouua moyen de le diſtraire, & le deſtourner ſi loin de toute compagnie, que ſ’auiſans ils ſe trouuerēt égarez, & qu’ils n’auoient pas bien ſuyui les alleures du cerf ains auoyent pris le change. Donques retournans au petit pas pour ouïr & ſe r’alier & reprendre leurs briſees, voila que deux belles ieunes biches ſe preſenterent leuans la teſte, & dreſſans les oreilles, Spanios qui vid que la fortune lui ſuggeroit vn beau moyen, dit au Roy qui n’auoit garde de le deſdire, Sire, vous plairoit-il que nous allaſſions en ces Biches, faire deux ou trois paſſades de plaiſir ? LeRoy s’y accordāt en tire vne qui tōbe morte, & Spanios de meſme en met vne à bas, apres quoy ils mettent pied à terre & attachent leurs cheuaux chacun à vn arbre le Roy va vers vne biche, & Spanios auſſi vers vne, incontinent celle du Roy ſe leue & ſe met à tirer païs ; ce que conſiderant Spanios va droit au corps du Roy, qu’il releue & laiſſe le ſiē giſant en bas, puis mōte ſur le cheual royal & donne les champs au ſien, en cet eſtat ayant laiſſé ſon propre corps, & celui de la Biche, il tire où il penſe trouuer la troupe. Il fut rencontré par les Gentilshommes & autres qui cherchoyent le Roy, & il retourna auec eux. Sur le ſoir qu’il eſtoit au Palais, on apporta le corps de Spanios qu’on auoit trouué mort aupres de la foreſt, la plainte en fut faite, & les obſeques ordonnees pour les iours ſuyuans. Or eſt-il que la nuict precedent cet acte, le Roy n’auoit pas couché auec la Royne, & ceſtui-cy eſtant retourné veint à la chambre de la Royne, où il y auoit force Dames, & veint l’entretenir preſque à la façon qu’auoit accouftumé le Roy, elle qui eſtoit ſage & accorte, & des plus auiſees du monde, auec ce qu’elle auoit de doctrine acquiſe, l’oyant diſcourir : & puis ſachant la mort de Spanios, entra en quelque ſoupçon, ioinct qu’elle ſçauoit bien que le Roy auoit apris ſon ſecret à Spanios, elle voyoit bien le corps aymé de ſon Roy, mais elle n’y apperçoit point les effects de ce bel eſprit, le preſent n’auoit pas les belles pointes de ſon ſeigneur, ſon ame iuge qu’il y a de la fraude en ceſte ame. Bien eſt-il que chacun voyoit ce Roy tout morne, mais on eſtimoit que c’eſtoit à cauſe de la perte de ſon mignon, & luy n’eſtant aſſeuré en ce corps, eſcoutoit & peu à peu ſ’arraiſonnoit pour ſous la feinte de dueil, s’eſtablir en ce qu’il deſiroit. Vn petit apres que la nouuelle de la mort de Spanios fut venue, & que ce Roy eſtoit ſorty pour en or donner, la Royne mit ordre à ſon affaire, telle ment que quand ce Roy r’entra où elle eſtoit, elle feignit auoir mal au cœur, & comme il la conſoloit & l’enqueſtoit de ſon mal, lui dit. Ha Monſieur, ie n’ay peu diſner auiourd’huy, tantie me ſuis trouuee mal, & de fait, ie me ſuis iettee ſur mon lit, où au lieu d’auoir reposie me ſuis endormie, & ay ſongévn ſonge qui m’a fort af fligee : ie croy que quand vous eſtes entré la pre miere fois, vous auez peu iuger de mon altera tion d’eſprit : car voſtre preſence m’a eſmeuë, pource que ie me ſuis ſouuenue qu’il y a vn mois, † vous fiſtes pareille entree, que i’auois fait auſſi vn sêblable ſonge queievous conté, & vous m’entenſaſtes vn petit. Ie vous iure que la reiteration m’a vn peu troublee, & ie craignois de vous en parler, à cauſe de ce que m’en auiez dit.Diſant cela, elle le regardoit attentiuement, & luy croyant qu’elle ditvray, ne faiſoit point autre ſemblant & ſetaiſoit en reſuant, à cela elle iugea qu’elleauoitbié penſé, parquoy elle pour ſuiuit : helas ! il m’eſtoit auis à ceſte fois qu’vn lyon vous pourſuiuoit, & toute enſurſautie me ſuis reueillee : ſans doute ſi Gaze n’eut eſté au res de moyie fuſſe deffaillie. Lors Gaze faite à † de ſa Dame, adiouſta, Naman, Sire, ſi nous ne luy euſſions donné vn peu d’eau celeſte, ie croy qu’elle fut paſſeetant elle eſtoit tranſie ; LaRoyne pourſuiuit.Si toſt que i’ay eſté allegee, metrouuant mieux (cari’ay eſté bien taſtee de, crainte & de deſplaiſir) i’ay propoſé en mon cœur que quädie vous reuerrois, ievous requera rois d’vn don. LE RoY. Quel don deſirez vous pour voſtre ſanté & reſiouiſſance ? il n’y a rien que ie puiſſe, que vous n’obteniez de moy. LA RoYNE. Qu’il vous plaiſe que ie puiſſe accôplir vn veu que i’ay fait, & qu’il vous ſoit agreable que ie detneure icy en ma châbre auec mes fem mes, ſans qu’hôme aucû y entre, ny autres dames & ce par l’eſpace de quarante iours, que ie deſire paſſer en meditations & prieres, & que me faciés cét honneur, de vouloir auſſi vous tenir de vous approcher de moy, à ce que plus deuotement, & d’vn cœur plus pur & tout à moy, ie puiſſe medi ter és deuotions que i’ay pour-penſees, pour voſtre proſperité, vous me l’auez deſia † mis deux autres fois, vous ſcauez le contentemët quinous en eſt reuſſi, & combien vous m’auez loiiee de cezele ardent, pretendant aux ferueurs deuotes qui conſolent les eſprits, en ce que ie me priuois de mon propre ſoulas, pour le deſir que i’ay qu’il vous ſoit bié, en quoy giſt mon conten-. tement.Ce Roy eſtoit en peine, car il ne deſiroit plus que la iouïſſance de Piroſe, dont de long temps ſon ame eſtoit affligee, toutesfois il ſe re ſolut à la requeſte de la Royne, & la lui accorda, moyénant qu’il eut quelquesfois les apres-diſ nees libres, de venir diſcourir vn peu auecelle. La Royne fut tres-aiſe d’auoir ainſi rencontré, & fut aſſeuree encor plus de ce qu’elle preſumoit par ſa derniere feinte.Cliambe & les Dames, cö me auſſi les Princes & Seigneurs furent eſbahis de ce qui ſe paſſoit, &ce Roy qui n’oſoit trop ſ’a— uancer, faignoit des affaires tout autres qu’il n’ auoit, eſperant que le temps & l’opportunité le dreſſeroit aux eſfaits de ſes pretétions.La Royne cömença ſesiours de douleur, & deiour en iour recognoiſſoit la fraude commiſe en l’ame de ſon ſeigneur.Cependätle Roy deſolé qui eſt enuirö né du corps d’vne craintiue Biche, venant de s’é— gayer, ſur l intentió commune de lui & de Spa nios, veint pour ſe reioindre à ſon corps, mais ar riuant au lieu où ill’alaiſſé il ne le trouue point, ains celui de ſon deſloyalvaſſal quil’a volé & de ceu, ceſte Ame royale, qui de ſa volonté ſ’èſtad donnee au paſſetemps, en a bien choiſi le ſujet, & innocemment eſt entree en vn corps irraiſonna ble, au domicile où n’ont point accouſtumé de loger les ames humaines : Mais ſe voyant trópee, dedaigne entrer au corps d’vn traiſtre, elle ay me mieux aller miſerable, ſuyuant ſes peureuſes erres, que ſe cótaminer en vn corps pollu de per fidie, & comme il eſt à raiſonner ſur ce differend, il void & oit ſes gens qui courent à ſa queſte : Au bruit, ilauiſe ce qu’il doit faire, ſa raisölegouuer | ne, il fuit où le † le peut emporter : choiſiſ ſant les voyes qui le retirent du danger. Le pau uret eſt contraint d’aller gemiſſant pour la fau te commiſe d’auoir eſté trop liberal à deſcou urir ſes ſecrets.Mais dequoy † ſert la repentan ce à ceſte heure, il faut qu’il continue ſes peines, auec infinis ſoucis & multitude de craintes ordi naires : combien de fois les chiens lui ont-ils dö né l’eſpouuante, lors qu’il penſoit que courant, ils lui pendoient aux trouſſes, quelque animal furieux le faiſoit ſouuent fremir, & aucunesfois vn grand cerf l’alloit importunant en rut bramant apres elle, que l’on pouuoit ouïr rére en ſe plaignant non de ſoif : ains de deſir de ſor tir de ceſte irraiſonnable maiſon : le iugement luy donnoit vne viteſſe plus grande, & des ruſes plus excellentes : Quelquesfois la triſte biſche tomboit en danger d’eſtre tuee par les foreſtiers, & puis eſtanteſchapee, recheoit ſoudain en d’au tres calamitez, dontl’abiſme eſtoit deuant elle : la moindre de ces miſereseſt aſſez capable de fai re entendre aux Rois, qu’ils doiuent eſtre pru dents à l’endroit de ceux qu’ils eſleuent, leſquels quelquesfois deuiennent pires que les beſtes, qui font § à ceſte pauurette, döt l’hoſte doü loureux zard qui l’accompaigne d’vne mordante melan cholie, Ainſi tranſporté, ce languiſſant eſprit agité de ſes peines, trauerſant ſous quelques ar bres, pour donner paſture à ce corps emprunté, r’encontra de fortune au pied d’vn noyer, le corps d’vn parroquet mort, mais tout chauden cor, & n’y auoit gueres qu’vn paſſant l’auoit tué par meſgarde : Ilyauoit ſur cet arbre vn grand corbeau, auquel il prit ſa viſee, mais comme il laſchoit, le mal-heureux oyſeau ſ’enuola, & le trait porta dans le corps du parroquet qui eſtoit § plus haut, ce perſonnage eut ce coup à deſdain, tellement que reprenant ſon trait laiſſa là le corps del’oiſeau, que la biſcherencontrant à propos, eſleut pour moyenner ſon bien : L’E— ſprit royal s’auiſant qu’il auroit plus de conten tement dans ce bel organe, & que les mali nes fortunes ne talonnent pas tant ces eſpeces, e laiſſa couler tout lentement par la longue haleine dont il inſpirale corps du parroquet, & ſ’inſinua dedans, ainſi la biſche cheut morte & l’oiſeau ſ’eſleua plein de vie. Ceſte ame Royale, ayant quitté le corpsde laBiche, ſe recueillit pru demment dans celui de l’oiſeau, qu’auſſitoſt ſ’eſ leua ſur les aers, & nouueau parroquet, ſ’enuola, ſe guindant où ſes belles fantaiſies le tranſpor toyent pour ſe cöſoler, &en cet eſtat pronöceant ſes doleances meſlees du chaſte ſouuenir de ſa Pyroſe, propoſoit de mettre fin à ſes ingratesde ſtinees. Vniour qu’il auoit eſpié toutes ſortes d’occaſions pour retourner en ſon † domi cile s’il y auoit moyen, vidvn oiſeleur quiauoit preparé ſes toiles, & deſia tenoit phuſieurs oi ſeaux de toutes ſortes : Il ſe hazarde d’y aller & ſe faire prendre, il donne donc en la place & l’oiſe leur le couure, & voyant vn ſi bon coup ſe diii gente, il eſt bien aiſe de prendre, l’oiſeau eſt con tant d’eſtre attrapé. Il met la main deſſus & il ſe laiſſe traiter côme domeſtique.L’oiſeleur le met en vne grande cage où eſtoiët les autres oiſeaux de ſa priſe, & retourne à ſa beſongne. Le parro quetindigné de tant de côpaignons ouure la ca ge, & döne les aersaux autres oiſeaux : le maiſtre reuenant auec d’autres oiſeaux, pour mettre en cor en ſa cage la voidouuerte, parquoyil ſe dili † de peur de perdre ſon parroquet, & referma a cage, & bien qu’il fut faſché, ſi ſe met-ilà car reſſer söbeloiſeau, & cöme s’eſt la couſtume lui diſoit, Parroquet mignon, parroquet royal, l’oi ſeau reſpondoit les meſmes paroles : hoho parro quet, ditl’höme, vous parlez, Ouy, dit le parro quet, ie ſuis parroquet royal. Le perſonnage fut bien contant de ſi bonne rencontre, & precieuſe priſe, laiſle la ce qu’il a commencé, & trouſſant ſon equipage ſ’en va en deliberation d’aller ven dre ſon parroquet : Il retourne en ſa maiſon puis diligemment ſe met en chemin auec ſon cher oyſeau : auançant chemin vers la ville, & le par roquetvoyât ſon deſlein, car ill’auoit raconté à ſa femme, incitoit ſon maiſtre à parler à luy, ce † faiſoit, & il trouuoit qu’il eſtoit excellent l Ir tous les autres, excedāt le cômun entédemët : de tels oiſeaux, & encor plus par vne belle auan ture qui ſuruint en chemin : L’oiſeleur entrant en vne bourgade où il auoit deliberé de giſter, il auint que deux gentils-hommes diſputoyent contre deux baſteleurs, auſquels ils auoyent fait faire quelques farces, pour döner † quel ques Dames, & Demoyſelles de là enuiron, & la beſongne faite, les jongleurs qui n’auoyent eſté payez qu’à demy, demandoyent encor cent eſcus, & la diſpute ſ’en faiſoit à l’hoſtelerie où eſtoitl’oiſeleur, ſi que le parroquet entédit tout, & que l’affaire ſe deuoit terminer le lendemain au matin. Quand le parroquet vid ſon maiſtre ·.. ſeulili’apella, & lui † ſi ces gentils-hom mes & les farceurs le vouloyent croire, qu’il les mettroit d’accord, & les iugeroit.Ceſte ameRo yale, encor qu’elle futindignement priſonniere, ne laiſſoit de pretendre à ce qui eſtoit de ſa char’ge, tant la iuſtice viuement emprainte en elle, la faiſoit penſer au ſujet pour lequel elle eſtoit or donnee : L’Oiſeleur ayât ouy ſon parroquet, fut cötät, & le matin venu que les parties debatoiët, il veint à eux & leur dit qu’il auoitvn parroquet qui les iugeroit s’ils vouloyent, les ioueurs qui l’auoyent veu en l’hoſtellerie, dirent tout haut qu’ils lé vouloyent bien, les gentils-hommes ſ’y accorderent auſſi, & ſe mirent les mains les vns dans celles des autres, & iurerët qu’ils tiendroiët à fait ce qui en auiendroit. Au bruit de ce qui ſe deuoit paſſer, le peuple accourut ſe mocquant des vns & des autres qui ſe ſubmettoyent à la fantaiſie d’vn oiſeau, & toutesfois en vouloit auoir le paſſe-temps. Lesioueurs quiauoyêt veu le parroquet, eſtimoyent que l’oiſeleur fut de leurs gés, & qu’il feroit quelque trait de ſoupleſ ſe en leur faueur, ce fut ce qui les fit haſter &preſ ſer leurs parties de ſe ſubmettre à la ſentence de l’oiſeau.L’heure venue & le peuple aſſemblé, les arties preſentes le pa1roquet fut # & mis § ſa cage ſur le haut de laquelle eſtantil cö manda qu’on apportaſtvnetable, ce qui fut fait, puis eſtant dreſſee au milieu de la ruë, il ſe prou mena deſſus quelques tours en grauité d’oi ſeau, apresil commanda que les cent eſcus fuſ ſent contez ſur la table & mis d’ordre, de dix en dix, cela fait, il dit qu’on apportaſt vn mirouer, uifut dreſſé au milieu de la table, les farceurs # reſiouïſſoyent de voir à deſcouuert la belle monnoye, & les gentils-hommes ſe repen toyent de s’eſtre ſubmis à ce iugement, mais il falloit attendre l’iſſue. Tout diſpoſé, ceſte ame qui ne tend qu’à faire iuſtice, ditaux ioueurs : En fansilvous faut payer à raiſon de voſtre exerci ce, & vous bailler le payement pareil à voſtre marchandiſe ; partant laiſſant ces centeſcus que ces gentils-hommes ont depoſéicy, vous aurés pour voſtre ſalaire & contentement ce qui eſt dans ce miroir : C’eſt ce que merite l’ouurage que vous auez fait, retirez vous tous, & vous gentils-hommes donnez dix eſqus aux pauures, & que ceſte amende vous ramentoiue voſtre deuoir, & qu’il faut ſ’employer à choſes ſerieu ſes, & à vous pipeurs, baſteleurs, qui deuriez trauailler en bonnes choſes, cecy vous ſera vne inſtruction & induction à ſuiure vne bonneva cation & legitime, pour ſans fraude & deception paſſer commodément voſtre vie, allez & pour vos feintes, receués des ſemblances.Cela dit, le parroquet s’eſleua fort haut & prit vne grande. volee, puis retourna apportant autant de conſo lation à ſon maiſtre qu’il lui auoit dôné de crain te, pource qu’il le penſoit perdu. Le monde aſſiſtant eſmeu de ce prodige, de voir vn oiſeau tant plein de diſcours & de iugement, fit vne grande exclamation, diſant qu’il auoit bien iu gé, parquoy les parties ſe retirerent, l’oiſelleur partit de là & ſuiuit ſon chemin, & ainſi qu’il eſtoitaux champs auec ſon parroquet, il l’arrai ſonna & le parroquet lui dit, que s’il le vouloit croire qu’ille rendroit heureux & riche, l’oiſe leur luy promit de le croire du tout, adonc illuy dit, Il faut que prudemment & ſans faire ſem blant de vous vouloir deffaire de moy, que vous aliez parler à la Royne, pour yauoir entree, de mandez vne demoiſelle qui ſe nöme Gaſe, & lui dites, ſans lui deſcouurir que cela viene de moy, quevousauez quelque choſe de cöſequéce à dire à la Royne, elle vous fera parler à elle, adonc l’a— yant ſaluee vous luy offrirez voſtre parroquet, la priant de le garder & l’eſſayer, & ſ’il ſe trouue à on gré qu’elle vous en donnera ce qu’illuy plai ra, ne faites autre choſe, carapresie trouueray le moyen de vous faire auoir du bien à bon eſcient, & tant que n’aurez que faire de tendre aux oy · ſeaux. L’Oiſeleur croyant ce conſeil ſe delibera de le ſuyure, & dés lors il penſa que ſon oyſeau fut quelqueFee, ſelon ce qu’on en conte parmi le vulgaire qui eut ſoin de lui.Eſtant arriué à la vil † droit au chaſteau, & demandale logis de laRoyne quel’on luimonſtra eſtant là il deman da à parler à madame Gaſe, laquelle on fit venir · & apresauoir parlé enſemble, elle l’introduiſit deuant la Royne, qui lui demanda qu’il vouloit & quelil eſtoit. L’o 1 s E L E v R. Madame ie ſuis vn pauure oiſeleur qui ay pris vn excellent par roquet que voila, que ie vous preſente ſ’il vous eſt agreable, vous m’en donnerez ce qu’il plai ra à voſtre majeſté. Ayant dit cela, il tire de deſſous ſaiuppevne petite cage couuerte de drap gris qu’il leua, & la Royne vid ce parroquet, puis il dit, Madame, ſi dans quinze iours il ne vous duit, ie leviendray querir : mais, Madame, ie vous aſſeure qu’il n’ya rien d’égal au monde : Il luy raconta les actes de cet oyſeau, & le luy laiſſa, & la Royne luy baillavne bague, luy di ſant qu’il la raportaſt quand il viendroit pour r’auoir ſon parroquet ou le prix d’icelui, adiou ſtant que ſelon l’eſſay & ce qu’elle en trouue roit, qu’elle luy payeroit, & ſi ce qu’il diſoite ſtoit vray, qu’elle le recompenſeroit. L’oiſeleur ſortilaRoyne fut touchee en ſon cœur, & ne ſca’uoit ſ’il y auoit en cecy quelque artifice, toutesfois remettāt tout au temps fit mettre le parroquet aupres de la cheminee contre ſa chaire.