Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein IIII

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DESSEIN IIII.


Arriuee de l’Empereur en Nabadonce. Don de Seliſe. Les Princes receus du Roy. Reſponſes de l’Empereur pour les ſept Damoiſelles & auec Sarmedoxe. L’Empereur eſt introduit en l’Hermitage. Vertu du lieu ſur les penſees. Premiere ſeance au Palais de la Lune.



LA Nobleſſe arriuoit de toutes parts, tant pour faire honneur à l’Empereur que pour voir les Princes qui auoient eſté ſi longuement perdus, & par le commandement du Roy l’Empereur eſtoit conduit és bōnes villes, où il eſtoit receu auec toute magnificence, & quand il approcha d’Amerimnie le Roy vint au deuant de luy, & ſ’entreſaluerēt ces deux Monarques auec toute courtoyſie & façon de Princes, qui ſ’aimēt ſans feintiſe. Le Roy à l’arriuee honora l’Empereur de tout ce qu’vn grand peut apporter à la reception agreable d’vn autre grand qui le vient voir en amy. L’Empereur eſtant arriué il fut logé au Palais d’Amelie, & ſa chambre fut au pauillon du Querderotrofe, où toutes commoditez luy furent offertes ſelon que le Roy l’auoit ordōné : Les Ambaſſadeurs des Roys & Princes amis eurent audience en ſa preſence. La Court fut incontinant enflee de toutes ſortes de perſonnes qui venoient de toutes parts, & chacun auoit ſon departement, & ſur tout ceux qui venoient au grand Anniuerſaire eſtoient logez à Seliſe bourg prochain, dót eſtoit ſeigneur Geto ſin Apragme, ceſte ſeigneurie autrefois eſtoit nommee Hazard, mais ce nom fut châgé à cau ſe d’vne belle Dame qui en demeura heritiere, laquelle auoit nom Seliſe, & le donna aux ance ſtres de Getoſin, à condition qu’à touſiours le bourg porteroit ſon nom, ce qu’elle fit, parce qu’elle voulut viure vierge, & mourir en ceſte volonté, n’appetant autre recognoiſſance, pour tant de bien donné liberalement, qu’vne ſimple & douce memoire de ſon nom. Tout diſpoſé le Roy fit appeller ſes fils, & les ayant introduits en ſon particulier, les receut auec indices de fa ueurs paternelles, leur declarant ſon intention, à laquelle il eſtoit bien aiſe qu’ils euſſent reſpon du, & voulut les receuoirainſi. Car ce faict tou che de ſi pres qu’il n’eut ſceu faire le Roy & le pere deuant la multitude. Olocliree leur ſage ſœur eut vn de ſes bons contentemens, receuant auſſi vn aiſe particulier de ce que Lofnis luy fut commiſe pour la traicter, & conduire où il luy plairoit, & le bien fut encor plus grand en ſon cœur quand elle ſceut la part que ſon frere Fon ſtelandauoit en la belle grace de la Dame. Le Roy eſtoit fort contant de ſes fils, & ce qui plus lé contentoit & luy donnoit de ſatisfaction en ſon cœur, eſtoit l’agreable recit quel’Empereur en faiſoit, quand ils eſtoient enſemble, luy teſ moignât les merueilles de leur ſageſſe & valeur. Le iour ſ’approchoit que l’Hermitage deuoit eſtre ouuert, ainſi que l’Empereur l’auoit de mandé au Roy, qui luy auoit donné tout pouuoir ; Tout y eſtoit appreſté, & les magnificen ces y abondoient, & les ſtatuts, ordonnances & couſtumes furent proclamees, & le iour de de uant la ſouueraine enuoya vers l’Empereur les ſept Damoiſelles egales, leſquelles ſe preſente rentà luy toutes d’vne façon enſemble, & d’vne meſme grace, & luy fut dit qu’il choiſit la plus belle à † gré. Or ce fut ou par la vertu propre de ce beleſprit qui n’eſtoit point alteré, ou pour ce qu’il ne vid rien en celles-cy qui reſſemblaſt à l’air de ſa deſiree Etherine, laquelle ſeule il eſti moit belle, qu’il fit ceſte reſponce : Ie n’ay garde · de donneriugement ſur les ſujets diuins, de peur d’irriter la puiſſance qui ſ’eſt reſerué ce ſecret, & † ſi ie m’arreſtois à vne faiſant vn choix poſſi leinequitable, i’é aurois ſix ennemies, parquoy i’aime mieux gratifier chaqu’vne qu’vne parti culiere, & puisie ſuis venu icy pour eſtre iugé &. non pour iuger. Apres cela Sarmedoxe luy demanda : Sire, ſi ces belles eſtoyent en vne chambre dont elles ne peuſſent ſortir qu’vne às la fois, à laquelle eſt-ce qu’il appartiendroit de ſortir la premiere ? LEMPEREvR. Celle qui ſor-— tiroit la premiere ſeroit vne belle. SARME DoxE, Sire, ſi vous n’auiez point d’affection la mettriez vous en ceſte là ? L’EMPERE vR, A ceſte heure, qu’elles ne ſont plus icy, ie vous dy que i’aurois lame auſſi capable de les dedaigner toutes que de m’addonner à vne. SA R M E D. Qu’eſtimez Vous d’elles, Sire. L’EMPEREvR. Egalement : ºar n’ayant point d’emotion particuliere pour aucune d’elles, i’en eſtimerois le tout comme i "ºreiſt ſans m’y obliger. Et de faicts ce qui ne touche point eſt ainſi qu’vne peinture où nous voyons du droict, du courbe, la figure du ioyeux & du triſte, & telles differences qui ne nous eſ mouuent point à les gratifier ou plaindre.Apres quelques autres diſcours Sarmedoxe ſe retira pour faire ſon rapport à la Souueraine. Le iour de l’ouuerture du grand Anniuerſaire d’Amour l’Empereur fut introduit en l’Hermitage d’hon neur où il contempla auec quelque admiration les magnifiques ornements du lieu qui eſtoit pa ré de tout ce qui eſt requis à l’accompliſſement d’vne maiſon heureuſe. Eſtant en la ſale du Donjon deuant la Souueraine ( car par bien ſeance il obſeruoit les loix du lieu)il luy fit en tendre la cauſe de ſa venuë, apres quoy il fut ar reſté que ſa maieſté logeroit au palais de laLune. Cependant l’Empereur ſe promena és lieux li bres, remarquant les ſept palais autour du Pa lais des ſecrets, & Sarmedoxe l’entretenant luy dit : Sire, qu’eſtimez-vous des belles raretez que vous auez deſia veues ceans ? L’E M P E R E v R. Si i’auois l’ame en la tranquillité que ie ſuisvenu chercher icy, ie vous dirois poſſible des expoſi tions que parauanture pluſieurs courages ne pourroient ſupporter. Mais eſtant enl’eſtat di minué où ie me trouue, i’attés à parler au temps que i’auray barre ſur mes conceptions. Toute foisie vous diray en paſſant (non pour vous, car c’eſt le cötraire que vos actions&mon diſcours) que ie m’eſtonne comment chacun eſt actif à faire des figures & peintures reſſemblantes aux perſonnes, & on ne ſ’addonne point à faire tant que l’on puiſle taſcher à ne reſſembler pas aux figures. SA R M E D ox E. Sire, quelle differen ce penſez vous qu’il y ait entre le ſemblable & le reſſemblé. L’EMr. Celle que le temps, le lieu, & la diſpoſition y apportent. Ils deuiſoient de plus en plus entrant profondement ſur les ſujets plus notables, au moyen dequoy l’Empereur apprit le principal ſecret de l’Hermitage, lequel eſtoit de l’inuention de la Souueraine, à ſçauoir que quand vn amât ou amâte eſtoit dâs le palais où les cauſes ſe plaidoient, & que ſeparé ou en · compagnie on deduiſoit ſon affaire, on enttoit en la meſme humeur, ſemblable eſprit, pareil les penſees, & diſcours egaux aux precedens, on eſtoit poſſedé de telle ſorte, que quand l’Amour. agitoit le cœur ſuyuant les rencontres, deuis, re cherches, propos & actions amoureuſes comme au fort de la paſſion, & penſoit-on eſtre tout ne plus ne moins qu’en tel temps. Or pour faire honneur à l’Empereur, le Roy & la Souueraine auoient auiſé enſemble que l’Empereur preſide roit iuſques au iour qui le concernoit, que la Souueraine rentreroit en ſon ſiege pour pronö cer les derniers arreſts. L’Empereur fut fort contant de cela, & ſe diſpoſa de bien faire. Au iour ordonné que l’Hermitage fut ouuert, enſui uant les ſtatuts & bonnes loix, l’Empereur fut conduit en la ſale de l’Audience du Palais de la Lune, oùil entraveſtu d’vn riche accouſtrement de toile d’argent, accompagné de toute l’ordon nance, † qu’il conuenoit à ſa maieſté. Les meubles du Palais eſtoient tout releuez d’argent & les fermetures des huis & feneſtres en eſtoiët * n’y auoit vtenſile qui ne fuſt de fin argent, ou en eut autant qu’il eſtoit neceſſaire. L’Em pereur ayant fait vn tour§ la ſale vint à la fene ſtre pour regarder la conſtruction du lieu, & re cognoiſtre où il eſtoit ; de là il conſidera & re marqua les autres Palais bien diſtinguez, & de deſſous le Donjon il recognut vne petite ſour ce qui ſurjonnoit doucement, rendant vn beau ruiſſeau aſſez limpide, dont les foſſez du Palais de la Lune eſtoient pleins, & l’eau en eſtoit reſ ſemblante à la bruniſſeure de ſon metal, apresil ſ’aſſit ſur le riche lit d’argent, & autour en leurs ſieges ſe mirent les Conſeillers, les maiſtres des ceremonies & officiers d’Amour, puis on ap pellales Amans. Adonc il entra vne belle Da moiſelle, ieune & bien paree, qui ayant hum blement ſalué l’Empereur, ſ’alla aſſeoir ſur vn carreau qui luy auoit eſté ordonné, vn peu apres il entra auſſi vn Gentilhomme qui à ſa façon paroiſſoit auoir eſté bien nourri. Ces deux ſont deux Amans qui ont faict le voyage pour plai der leur cauſe, en intention d’auoir iſſuë agrea ble de leurs peines. Vn peu apres entra la Souueraine, accompagnee de ſes Dames, & vint ſ’aſſeoir au coſté droit de l’Empereur à ſes pieds ſur vn troſne d’argent qui luy eſtoit repare. Eſtant aſſiſe vn petit, elle ſe leua & dict à l’Empereur : Sire, à voſtre commandement chacun ſe mettra en deuoir. Puis ſe remit en ſon ſiege Alors l’Empereur dit : Que don—. ques ces belles Ames facent paroiſtre ce qu’elles ont eſté, & quel fut, & eſt l’eſtat de leurs deſirs. L’Amant ſ’aprochât de la Belle cötre la barre où les paſſionnés parloient, baiſe la main & luy ten dit, & elle ſe leua & illuy dit : Vous ſçauez belle Proſine, que i’eſtois franc de ſoing, & que ie n’auois aucune apprehenſion lors que ie fis ren contre de voſtre beauté, qui m’apparut comme vn aſtre de bon-heur, & ie ne veux que vous ſeule pour eſtre iuge de mes actions, depuis que ie vous eu preſenté mon ſeruice, & que pour vous ie formé en mon cœur l’inquietude & le ſouci d’amour, vous ne vous eſtes iamais plaint de moy pour auoir fait faute au ſeruice que ie vous doy. Auſſi ayant fait mon deuoir ie ſuis venu icy, non pour vous accuſer, ains pour de mander recompenſe de mes ſainctes affections, & faut mettre en euidence ce qui eſt paſſé entre nous, afin qu’il en ſoit memoire en lavie des bös amans, vous ſçauez auſſi que i’ay eu le cœur net, & que quelque diſcours que ie vous aye fait pra étiquant vos belles graces, mes paroles ne ſouſ piroient que ce que ie vous repreſenteray. Ma fidelité fera paroiſtre que ie ſuis tellement con ſtant, que difficulté aucune ne peut me deſtour ner de mes deſſeins, ie ſuis tant reſolu à la perſe uerançe, que iamais il ne paroiſtra de tache à mon honneur : auſſi mes humeurs ſont ſi bien diſpoſez au proiect de mes premieres volontez, que ie ne fieſchiray point, & quand meſmes ce ſeroit ma ruine que m’arreſter au ſuiect où ma pieté m’oblige, ſi ne laiſſeray-ie dy continuer à cauſe de ma ropre valeur. Dauantage mon ſu ject eſt de tant de merite, que ie ne peux rien Penſer de plus deſirable. Soyez aſſeuree de ceſte’erité, & que mes paroles ſont touſiours l’image de ma penſee. Ie cognoy bien que ie ſuis trop eſloigné de toutes graces pour meriter que vous me croyez, ou que vous me voulez du bien, toutefois i’eſtime tant de moy, veu la belle impreſſion que i’ay en l’ame, qu’il m’eſt auis qu’il faut que vous ſoyez certaine que ie ſuis veritable & conſtant à vous ſeruir, & par cela ie me perſuade que voſtre eſprit tout accompli, reçoit quelque gloire de triompher de moy. Ces paroles ſont le ſuiet de mon ordinaire entretien, ce que ie profere eſt le pied où ie me ſuis reglé en vous ſeruant. Ie ſçay bien, & vous ne l’ignorez pas, que ie me ſuis inceſſamment conformé à voſtre humeur, que ie voyois galante & releuee, & qui vous tiroit du commun ordre des Dames, par quoy en la proteſtation de mon ſeruice, ie chanté deuant vos yeux l’hymne de ma fidelité que — ſelon la couſtume de ceans, ie feray ſouſpirer à ceſte lyre, le repetant deuant ce grand Empereur, & ie vous prie d’y ioindre voſtre voix, comme iadis nos volontez eſtoient vnies, quand noſtre bonne fortune nous allectoit ſous les aiſles d’Amour. La Belle y conſentant, ſouſpira les accens de ce bel air.

Eſleuez voſtre cœur ſur les formes plus belles,
Paſſez outre le ciel en vos conceptions,
Afin de vous vnir aux beautez eternelles,
Qui ſont le ſaint obiect de vos affections.
Auſſi permettez moy d’auoir l’ame eſlancee
De ces belles ardeurs qui vont vous releuant,
Que vous ayant pour guide en ſi belle penſee,
Comme vn aſtre ſacréie vous aille ſuyuant,

Vous m’auez retiré des obiects periſſables,
Seule m’ayant fait voir les images d’honneur,
Par vous i’ay recognu les ſuiects deſirables,
Seuls dignes d’eſmouuoir les ſecrets de mon cœur.
Je renonce à iamais aux vanitez paſſantes,
Ie ne veux plus rien voir qui ne ſoit iuſte & ſaint,
Des erreurs de iadis deſſus moy dominantes
Pour ne plus ſ’allumer, le deſir eſt eſteint.
Qu’vne douce beauté par les vertus conduite,
A ſur les volontez d’equitable pouuoir !
Belle, conſiderez voſtre vnique merite,
Comme prince abſolu me renger au deuoir,
Que ie ſuis glorieux de ſi belle fortune,
Que mon cœur eſt contant d’admirer ces beaux yeux !
Mon ame vou ſuyuat d’vne ardeur non cōmune,
En ſouhaits accomplis, ſ’eſlene iuſqu’aux cieux.
Seule vous cognoiſſant digne d’eſtre eſtimee,
Ie mets icy le terme à mes ambitions,
Mon ame ne ſera cyapres animee
D’autres feux, d’autre Amour, d’autres deuotions.

Le chant acheué, la Belle dit à cet Amant Prodile ; Ie n’ay iamais douté de voſtre affection, auſſi nous ne nous ſommes point ſeparez l’vn de l’autre pour frauder l’Amour. Quand vous m’auez faict des proteſtations veritables ie les ay creuës, vous certifiant mon amitié : Si vous m’auez eſcrit, ie vous ay fait reſponce ; auſſi noſtre amour eſtoit ſimple, reciproque & fidele, auquel il n’y auoit rien meſlé d’eſtrange, la raiſon la conduit, & la vertu l’a continué tant que le deuoir nous l’a permis, Si le ciel l’eut ordonné, nous euſſions eſté l’vn pour l’autre, ioinct que ce n’a pas eſté le plaiſir de ceux qui ont pouuoir ſur nous : parquoy ayans eſté vnis d’amitié, nous l’auons eſté de conſeil. Il vous ſouuient bien que pour dénoüer doucement noſtre familia rité, ie n’vſé d’aucune violence, ny d’artifice dedaigneux, en ceſte faſcheuſe neceſſité i’ouuris ainſi mon cœur deuant vous : Puis que le pou uoir ſouuerain qui dreſſe les ſainctes volontez & ordonne toutes nos auantures, a deſtourné le ſuccez de nos ſinceres eſperances, & que mon malheur ſ’eſt oppoſé à l’effect delicieux que ie m’eſtois propoſé en la mutuelle fruition du but de nos deſirs ; & que par la reſolution de ceux — dont nous dependons, leſquels nous deuons re uerer, & croire, toutel’apparéce de noſtre eſpoir eſt euanoüye, & qu’il n’y a plus moyen de reſta blir ce que la fortune a ruiné, que nous ne pou uons refaire ce que les mauuais accidens ont de ſtruit, que nous ne ſauriös renoiier ce que noſtre diſgrace § iamais deſlié : Ie vous prie, vous quiauez eſté mon cœur, viuant des douceurs de • moname, qui eſtoit la vcſtre, & vous ſupplie par voſtre fidelité qui m’a eſté apparête lors que no" diſpoſions nos ames à meſme but, de vous ſou uenir d’vne promeſſe que vous m’auez faicte. Ceſte promeſſe fut ſuppoſee ſur la crainte d’vn auenir, elle fut conditionnee ſur ce qui ſe pour roit offrir de contraire à nos pretentions ſ’ilaue noit ; y penſant i’ay la penſee pleine de regrets, — & ie gemis la rememorant, car nous nous † mutuellement de mettre peine d’ou lier l’excez de nos affections, ſi la fortune ſe changeoit, adiuſtant à ceſte promeſſe toutes autres conditions. Or eſt-il que noſtre crainte a ſentil’effect que nous redoutions, puis que ce | | que nous craignons eſt auenu : & pourtant ie | vous requiers de la ſouuenance de noſtre reci : — proque foy, pour l’occaſi5 qu’il faut que ie vous declare, & auec celaie vous coniure d’obtempe rer à ma demande, en m’ottroyât ce que ie veux, deſia vous y eſtes obligé par la priere que ie vous en ay faite, & que m’auez iuré d’effectuer ſon ſujet, quand ie vous manifeſté qu’il eſtoit que ſtion de ſe deporter pour iamais del’eſpoir qui nous auoit ſi doucement animez : vous me fe rez donques l’honneur de me remettre és mains | les mignons teſmoignages de nos ſecrettes & honneſtes amours, ce ſont les lettres que ie vous ay eſcrites, vous le ferez, puis qu’il eſt paſſé entre nous ſous conditiös veritables. Et croy veu l’in tegrité de voſtre ame, que vous n’en ferez point # de difficulté. M’obeiſſant, ie le veux ainſi dire à cauſe de ma qualité & de voſtre reſpect, vous I’e— ſtituerez à mon ame l’aſſeurance entiere de ſa pleine liberté, laquelle luy eſt acquiſe par noſtre ſeparation. Et vous demonſtrant touſiours ve ritable, vous m’obligerez à faire cas de vous ſur tous ceux qui tiennent leur parole entre les chä pions d’Amour, m’attédant à ce que i’en † ie vous ſupplieray de croire que tout ainſi que moname vous eſtoit fidelementvnie quãd nous courrions meſme fin de felicité amoureuſe, que de meſme mon affection ſera entiere vers vous, Pour vous eſtimer & tenir le premier&plus cher de mes plus ſinguliers amis, & ie deſire de vous le ſemblable en pareil courage d’amitié : car nos premiers deſſeins n’eſtans plus, il nous faut oublier nos amours, nō pour les tourner en haine, mais en vne affection officieuſe, telle que ſera celle dont ie vous aimeray, pourueu que ie re cognoiſſe que vous ne me deceurez pas. Prodile. Ce que vous dites eſt vray, & i’y obtemperé, mais ie ne ſçaurois effacer l’amour, parquoi ie requiers ou que vous me recompenſiez de pareille penſee, ou que vous me donniez moyen de vous aimer ſans paſſion.

L’Empereur confere auec la Souueraine & les Seigneurs & Dames du Conſeil, & apres pluſieurs auis demelez chacun retourné en ſa place, il fut conclud & ſa maieſté prononça l’arreſt.

L’vnité de vos volontez ſ’eſtant trouuee en voſtre auanture, il eſt ordonné que vous changerez d’affections ſi vous pouuez, ſinon vous vous reduirez à cc que la commodité vous offrira comme l’honneur le permet.

Apres ceſte cy pluſieurs cauſes d’Amour furēt plaidees & iugees, au contentement de ceux auſ quels il eſcheoit. Mais vous petits eſprits, qui aboyez les courages nez à la reputation, c’eſt icy que ie prepare le glaiue qui tranchera voſtre envie, ce qui ſera gracieux aux cœurs debonnaires, deuiendra le venin qui vous fera mourir en voſtre malice, retirez vos yeux de deſſus ces pour traicts du ſouuerain bien : Vous les autres qui eſtes ces belles ames qui fauoriſez les courages d’Amour, approchez vous, leuez le voile de ces mignons diſcours, & raſſaſiez vous des bonnes delices que ceſte pellicule de paroles enuelope. Si le deſir d’eſtre parfaictement heureux alleche quelqu’vn, qu’il ſe diſpoſe de nous ſuiure aux endroits de l’accompliſſement de tous ſouhaits equitables, & venant gayement icy on rencontrera toute conſolation à la confuſion des profanes.