Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle/Chapitre 2

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CHAPITRE II

LA PRODUCTION CAPITALISTIQUE DANS L’INDUSTRIE ET LE COMMERCE MODERNES


  1. Les grandes fortunes d’autrefois et les fortunes industrielles modernes.
  2. La création de la richesse par l’invention scientifique et par la capacité économique.
  3. Le contrat d’entreprise et son développement.
  4. Le rôle croissant de l’outillage et du capital dans l’industrie.
  5. La genèse de la formation du capital selon Karl Marx et la réalité des faits.
  6. Le capital circulant ou l’argent.
  7. Le développement contemporain du commerce et de l’industrie par l’emploi du crédit.

I. — Dans les anciennes sociétés, les grandes fortunes avaient en réalité bien plus d’importance, eu égard à la masse de la richesse nationale, que celles d’aujourd’hui. Pour reprendre la comparaison du chapitre précédent, la pyramide était d’autant plus aiguë que sa base était moins large.

Au temps des Césars, sept propriétaires se partageaient la province d’Afrique. Trois siècles plus tard, en Gaule, au temps de Sidoine Apollinaire et de saint Avit, un petit nombre de patriciens possédaient d’immenses étendues territoriales et pouvaient lever de véritables corps de troupes sur leurs terres.

Si nous franchissons le moyen âge, nous voyons, au xve et au xvie siècle, des fortunes féodales, en petit nombre d’ailleurs, qui déployaient un luxe dépassant de beaucoup celui de nos financiers. Le camp du drap d’or est resté légendaire. Leber a montré que les objets de luxe, comparativement aux choses nécessaires à la vie, coûtaient beaucoup plus à cette époque que de nos jours et que par conséquent les dépenses de la vie somptuaire pour ceux que leur condition y soumettait étaient très supérieures à celles des existences similaires de notre temps[1].

Ces fortunes étaient souvent le résultat des faveurs dont les princes comblaient leurs courtisans. Fréquemment aussi la confiscation les transférait à d’autres. Telles furent les fortunes du cardinal Woolsey, le favori d’Henri VIII, en Angleterre, et de Mazarin en France.

Les apanages des princes du sang avant 1789 comprenaient un septième du territoire. Les domaines des ducs de Bouillon, d’Aiguillon et de quelques autres occupaient des lieues entières[2].

Ces fortunes-là étaient sans doute sympathiques à leurs contemporains par la prodigalité de leurs possesseurs ; mais là, comme dans bien d’autres cas, le peuple est victime d’un mirage. Les gens qui épargnent et constituent des capitaux lui sont en dernière analyse plus bienfaisants que ceux qui en détruisent par des dépenses exagérées. La preuve en est dans la misère des masses, qui, à cette époque, coïncidait trop souvent avec le luxe déraisonnable des grands seigneurs.

Il faut tenir compte néanmoins de deux faits pour apprécier sainement la distribution de la richesse à ces époques comparativement à la nôtre et les conséquences sociales des grandes agglomérations territoriales de l’ancienne société.

Les possessions des églises et des abbayes étaient les plus importantes. Jusqu’à une certaine époque du moyen âge, on avait pu évaluer l’étendue de la mainmorte ecclésiastique au tiers du territoire de l’Europe occidentale. Or des services publics et des subventions considérables aux classes pauvres étaient dispensés par la grande propriété ecclésiastique. Puis ces grands domaines, laïques ou ecclésiastiques, étaient pour la plupart fractionnés en petites et moyennes exploitations ; le système des tenures ou baux à long terme attribuait aux exploitants du sol une partie des avantages de la propriété. La substitution du fermage temporaire aux tenures, qui, dans certaines provinces, notamment en Normandie, remontait jusqu’au xiie siècle et qui, à partir du xvie siècle, se généralisa, rendit plus sensibles ces concentrations du sol par grandes masses. En Allemagne, en Angleterre, en Italie, surtout, les substitutions ou fidéicommis de famille empêchaient le jeu de la liberté économique de rétablir incessamment l’équilibre, qui tend à se produire aujourd’hui entre la grande et la petite propriété. La situation agraire de l’ancien royaume de Naples, où des causes politiques ont jusqu’à nos jours empêché cet équilibre de se réaliser, peut donner une idée de ce qu’était la répartition de la richesse dans les pays où une certaine activité industrielle et la faveur de la royauté pour les classes populaires n’avaient pas donné l’impulsion au progrès social comme en France.

Au moyen âge, cependant, quelques fortunes se constituaient par le commerce. L’histoire a conservé le souvenir, au xive siècle, d’un bourgeois de Paris, Nicolas Flamel, le plus riche homme en or et en argent qui fût de son temps. Aux yeux de ses contemporains, il était quelque peu alchimiste, absolument comme nos boutiquiers parisiens sont persuadés que le Bon Marché est la propriété des jésuites de la rue de Sèvres. Tel fut encore Jacques Cœur, qui est chargé à la fois des fournitures de la cour et de l’entreprise de la monnaie, qui exploite les mines de cuivre du Lyonnais et du Beaujolais et qui fait en grand, avec la protection du Pape, le commerce entre l’Égypte et les ports de France. A un moment, trois cents facteurs obéissaient à ses ordres[3].

Mais de grandes fortunes industrielles, on n’en connaissait point alors, toute l’industrie consistant dans les métiers, les fabriques rurales de tissus et les forges seigneuriales. Tout au plus à Florence, à Venise, à Milan, la fabrication des draps et des soieries servait-elle de base à des fortunes que le grand commerce et la banque développaient ensuite. Les Bardi et les Peruzzi étaient devenus assez riches par le commerce des draps et la banque pour prêter à Édouard III d’Angleterre jusqu’à 1.500.000 florins d’or, somme énorme pour l’époque et dont il leur fit banqueroute.

Au commencement de ce siècle, une ère nouvelle s’est ouverte avec la vapeur, la houille, les procédés chimiques. L’industrie manufacturière a pris son essor et a été la source des grandes fortunes contemporaines.

C’est en Angleterre que l’on peut le mieux suivre le mouvement économique qui fait que la terre, après avoir été presque la seule richesse, est devenue seulement une part de la richesse nationale. A la fin du xviie siècle, sir William Petty évaluait, avec assez de vraisemblance, à 250 millions de livres le capital de l’Angleterre, sur lesquels 144 millions représentaient la terre, 30 millions les maisons, 36 millions le capital agricole et le reste la richesse mobilière. En 1885, M. Robert Giffen estime le capital total de l’Angleterre (déduction faite de l’Ecosse et de l’Irlande) à 8.617 millions de livres, sur lesquels 1.332 millions, soit le 6e seulement, sont attribués à la terre. Les maisons sont comptées pour 1.700 millions, plus du 5e ; tout le reste est représenté par la richesse industrielle et commerciale et par les valeurs mobilières.

En France, nous n’avons pas des calculs aussi exacts ; mais si l’on estime la richesse nationale à 200 milliards de francs, la terre figurerait dans ce total pour 80 milliards, les constructions pour 40, les valeurs mobilières de toute sorte pour 80.

En Italie, où les anciennes conditions économiques se sont davantage conservées, M. Bodio et M. Pantaleoni estiment la richesse privée, déduction faite des dettes, à 32 milliards de francs pour les terres, à 6 pour les constructions, à 16 pour les valeurs mobilières.

M. de Varigny a esquissé dans un intéressant volume l’histoire des grandes fortunes des États-Unis et de l’Angleterre : la majeure partie ont été faites dans la construction des chemins de fer, les fabriques textiles, les industries sidérurgiques. M. Gladstone racontait récemment celle de M. Carneggie, qui, jeune émigrant en Amérique, sans le sou, y a acquis une fortune colossale dans l’industrie du fer[4].

L’histoire de l’industrie en France, telle qu’on peut la lire dans les Grandes usines de Turgan, est pleine de faits de ce genre. Nous n’en relevons qu’un exemple. Sur les bords du Rhône, on 1830, les carrières de chaux du Theil, connues cependant pour leur qualité supérieure dès le moyen âge, alimentaient seulement deux petits fours à feu continu qui étaient amodiés à raison de 300 fr. par an. En 1889, avec ses 45 fours et ses 700 chevaux-vapeur, l’usine de Lafarge pouvait fournir en 300 jours de travail, sans effort extraordinaire, 265.000 tonnes de chaux et de ciment.

Quand on étudie les causes de la formation de cette catégorie des grandes fortunes modernes, on voit qu’elles se ramènent à l’invention scientifique, à la combinaison et à la concentration de forces économiques sous une direction intelligente, enfin au rôle prépondérant que les capitaux ont dans les entreprises manufacturières par suite du développement de l’outillage. Nous allons examiner séparément chacun de ces trois éléments, quoiqu’en fait ils soient la plupart du temps réunis.

II. — L’invention scientifique d’un procédé, qui met définitivement l’humanité en possession de nouvelles forces naturelles, doit enrichir d’abord celui qui l’a réalisée. Les quelques millions amassés par H. Bessemer, par exemple, sont insignifiants en comparaison du développement qu’il a donné à l’industrie sidérurgique et de la baisse définitive du coût des transports terrestres et maritimes qui en est la conséquence. Bass, qui a rendu transportable la bière anglaise, a développé les exportations de son pays dans des proportions considérables. En une seule année, dit-on, il paya 5 millions de francs aux chemins de fer et aux bateaux qui transportaient ses produits. Ce qu’il a fait gagner aux autres est bien plus considérable que ce qu’il a gagné lui-même.

Ces progrès ne sont généralement acquis qu’au prix de dépenses considérables. John Brown, le roi du fer en Angleterre, ne dépensa pas moins de cinq millions de francs en essais avant d’arriver à fabriquer des plaques d’acier capables de résister aux projectiles. M. J. Holden, l’un des plus grands tisseurs de l’Angleterre, l’inventeur d’un procédé perfectionné de peignage de la laine, qui substitue le jeu régulier de la machine au travail irrégulier de l’ouvrier, déposa devant une commission d’enquête, que l’on n’avait pas dépensé en 1889, moins de deux millions de livres st. en tâtonnements : lui-même avait sacrifié plus d’un million et quart avant de découvrir un système satisfaisant de peignage, et, à sa connaissance, M. Lister à lui seul avait consacré une somme plus considérable encore aux mêmes recherches[5]. Si l’on considère les sommes dépensées en essais par les inventeurs qui n’ont pas réussi, on se convaincra que les fortunes des inventeurs heureux sont peu de chose par rapport à la masse des produits créés et des salaires distribués aux ouvriers sous l’influence de l’esprit d’invention et grâce à la reconnaissance légale de ses droits.

III. — Mais la richesse n’est pas produite seulement chez les peuples modernes par l’invention scientifique proprement dite ; elle l’est encore par les hommes qui ont la conception de nouveaux rapports économiques et qui réalisent cette conception en groupant, sous leur direction, les éléments dont le concours est nécessaire. C’est là le rôle propre de ceux que la langue scientifique appelle les entrepreneurs et que l’on a nommés d’une façon plus expressive les captains of industry.

Van der Bilt, qui a établi aux États-Unis les grandes lignes de navigation, puis les premières voies ferrées, M. Brassey, le grand constructeur des chemins de fer européens au milieu de ce siècle, Gordon Bennett, le fondateur du journalisme d’informations, n’ont-ils pas été, eux aussi, des créateurs de la richesse ?

Un chevalier du travail s’élevait à bon droit, dans un meeting public, contre l’envie que soulevait la grande fortune faite par le premier des Vander Bilt, celui qu’on appela le commodore :

De quel droit prodigue-t-on à cet homme des épithètes offensantes ? Les dix millions d’ouvriers auxquels il amenait de Chicago les blés nécessaires à leur subsistance, les centaines de millions de voyageurs qu’il transportait sur ses bateaux à vapeur et ses chemins de fer, ont tous bénéficié de son esprit d’entreprise. Pas un sur cent mille ne l’a vu, ne le connaît, ne saurait juger l’homme privé, ses qualités ou ses défauts. Nous parlons des capitalistes comme si leur fortune ne profitait qu’à eux ; mais que faisait Van der Bilt des sommes énormes que marchandises et voyageurs accumulaient dans ses caisses ? Il salariait des milliers d’ouvriers et d’employés, construisait une voie ferrée de New-York à Chicago, réduisait le prix des transports. Il édifiait un palais, dites-vous, et l’ornait d’œuvres d’art ? Mais cela représentait une bien minime fraction des sommes employées par lui pour créer de nouveaux moyens de communication, construire des bateaux plus solides et plus vastes. S’il ne l’eût pas entrepris, un autre l’eût fait ; soit ; mais, comme lui, cet autre en eût retiré les mêmes avantages. Souhaitons plutôt que le pays continue à produire de pareils hommes. Il en faut pour perfectionner notre outillage commercial et l’amener à un point tel que nous puissions nous procurer au taux le plus minime possible les nécessités et le comfort de la vie[6].

Il faut l’ajouter aussi, ce sont ces créations industrielles et commerciales nouvelles qui, sans violence et sans porter atteinte à la justice, débarrassent l’humanité des valeurs représentées par les capitaux anciennement engagés et qui font marcher l’œuvre du progrès général (chap. iii, § 5).

Que de fortunes moyennes se sont élevées autour de ces grands innovateurs, quel emploi n’ont-ils pas donné aux capacités des hommes de valeur placés sous leur direction ! [fin page52-53]

Les entreprises de grands travaux publics, avec leur hiérarchie de sous-contrats, sont le type le plus saillant de ce dégagement de forces économiques latentes.

Les Grecs et les Romains avaient connu la puissance de l’entreprise pour l’exécution des travaux publics et l’approvisionnement des villes. La facilité pour les entrepreneurs d’avoir de la main-d’œuvre à bon marché en achetant des esclaves rendait leur action très efficace et leur industrie très lucrative. L’usage de ce contrat disparut au milieu de l’effondrement du monde ancien et les législations des siècles suivants empêchèrent longtemps sa réapparition.

Les corporations, jalouses de maintenir leur monopole et la délimitation des métiers, qui en était la conséquence, poursuivaient tous les hommes qui auraient frayé des voies nouvelles, ne fût-ce qu’en groupant les travailleurs de divers corps de métier nécessaires pour produire une œuvre industrielle de quelque importance. Des arrêts du Conseil et du Parlement pendant tout le xviiie siècle défendaient encore aux charpentiers et aux maçons d’entreprendre de faire des bâtiments la clef à la main[7] !

Toutefois l’État ne s’astreignait pas à ces entraves, et dès cette époque les travaux exécutés pour son compte étaient l’objet d’adjudications et d’entreprises ; de là la juridiction administrative spéciale à laquelle cette catégorie d’industriels a été depuis lors soumise, peut-être pas pour la plus grande moralité de leurs affaires. Les entreprises par concession ou par adjudication n’en constituent pas moins une forme infiniment supérieure au système des corvées pour l’exécution des travaux publics et à celui des réquisitions pour l’entretien des armées. Ici encore l’intérêt public concorde avec l’essor des intérêts privés[8].

Le rôle utile et la fonction de l’entrepreneur s’étaient déjà manifestés au moyen âge, quand certaines fabrications locales de textiles arrivèrent à un point de perfection qui leur ouvrit des débouchés lointains. Le marchand, qui avait des relations sur les marchés étrangers, centralisait les produits de ces fabriques collectives pour les transporter là où ils trouvaient un débouché ; souvent il fournissait en même temps aux fabricants locaux les matières premières. Il acquit par là une situation supérieure à celle de l’artisan chef de métier et les variations de prix, qui se produisaient entre des marchés éloignés et qui s’accentuèrent aux époques de révolution monétaire comme le xvie siècle, furent pour lui une source de fortune. M. Cunningham a fort bien signalé la formation de cette classe en Angleterre au XVe siècle[9] ; on peut la suivre également dans l’histoire industrielle et commerciale de Florence, deux siècles plus tôt. Ce passé est utile à rappeler en présence des vœux puérils des conservateurs autrichiens et allemands, qui réclament des épreuves et des examens garantissant la capacité professionnelle des directeurs d’usine et des chefs d’entreprise. C’est méconnaître le rôle de l’intelligence créatrice et ordonnatrice dans les grandes affaires. Elle est plus importante pour le succès que l’habileté technique elle-même ; car les chefs d’entreprise peuvent s’assurer le bénéfice de celle-ci en s’attachant de bons collaborateurs.

C’est une opinion assez vraisemblable qu’après la mise en valeur des territoires de l’Europe et de l’Amérique du Nord accomplie en ce siècle et la constitution de la grande industrie telle que nous la voyons aujourd’hui, les profits d’entreprise diminueront et que les fortunes extraordinaires par leur importance et leur rapidité deviendront de plus en plus rares. Ce n’est guère que dans les branches nouvelles du commerce et de l’industrie que les profits d’entreprise sont considérables. Quand un genre de manufactures ou de commerce, est connu, la concurrence, qui s’y produit, amène la réduction des profits au minimum. De plus, il semble y avoir une relation entre le taux des profits et le taux de l’intérêt. Celui-ci baissant sans cesse, il en est de même des profits dans les branches d’industrie anciennement exploitées[10]. Il est toutefois à croire que l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Extrême-Orient réservent des champs nouveaux non moins féconds aux conceptions hardies et aux volontés qui savent les réaliser. Mais cette question est étrangère à notre sujet. Nous avons à étudier surtout le rôle croissant du capital dans les entreprises manufacturières.

IV. — Ce que visent surtout les récriminations contre la production capitalistique et la féodalité industrielle, c’est la part prélevée sur les produits des mines et des manufactures par les entrepreneurs et les capitalistes. Ici les laudatores temporis acti s’unissent aux collectivistes pour célébrer le temps où l’ouvrier n’avait point de tribut à payer au capital, où, au lieu de dépendre de la machine, il avait un salaire équivalent au prix du produit et réalisait ainsi sans luttes la fameuse théorie du produit intégral au travailleur.

Si l’on va au fond des choses, on voit qu’à toutes les époques le capital a manifesté l’importance de son rôle par la part qu’il a prélevée sur les produits auxquels il avait concouru. C’est dans le métayage romain la moitié des fruits recueillie par le propriétaire du fundus instructus ; dans les pays celtiques et germaniques la moitié du croît du troupeau perçue par celui qui a donné des vaches en cheptel ; — toute la hiérarchie sociale découle de ces rapports dans la société irlandaise primitive ; — c’est, dans les coutumes les plus anciennes de la pêche, la part du poisson attribuée à la barque et aux filets[11] ; c’est, au moyen âge, la société commerciale où l’un apporte son industrie, l’autre sa marchandise et où l’on partage le gain par moitié[12] ; c’est, de nos jours encore, dans la marine grecque, qui a conservé les plus anciens usages de la mer, les parts reconnues au corps du navire et au gréement[13].

Et comme la civilisation repasse toujours par les mêmes chemins, à cause de la permanence de la nature morale de l’homme, actuellement, dans le Far-West américain, les deux contrats dans lesquels au moyen âge le capital révélait son action, le cheptel de bestiaux et le métayage, jouent un rôle très important dans la colonisation. Le premier de ces contrats attire des capitaux sur des espaces où la terre n’a aucune valeur et où le travail humain en a seul ; le second aide au prolétaire qui n’a que ses bras et ceux de sa famille à devenir sûrement propriétaire foncier[14].

Dans les métiers, il est vrai, quand l’outillage consistait uniquement en quelques outils dont l’artisan pouvait être facilement propriétaire, l’intérêt et l’entretien de ce capital rudimentaire se confondaient avec son salaire et réalisaient l’équation chère aux économistes de sentiment[15]. Ils peuvent retrouver encore de nos jours cet état de choses dans l’industrie des peintres en bâtiment. Dans un mètre de peinture, la main-d’œuvre entre pour 95 p. 100 ; le capital, — un pinceau, un peu de couleur et un pot de colle, — représente tout au plus 5 p. 100. Transportez-vous au contraire dans une de nos grandes usines et vous verrez combien est important le rôle joué par les machines, par la direction technique, par la combinaison des approvisionnements et des débouchés : la main-d’œuvre ne contribue au produit que pour une proportion bien moindre ; par conséquent la valeur intégrale du produit ne peut revenir aux ouvriers. La majeure partie du prix de la locomotive montée au Creusot ou du canon fondu aux Aciéries de France devra reconstituer et rémunérer le capital.

Voilà en deux mots la raison pour laquelle l’ouvrier ne peut avec le prix de sa journée racheter le produit, nous ne disons pas qu’il a créé, mais à la création duquel il a concouru. Cette faculté de rachat ne pourrait exister que pour les produits de la chasse ou de la pêche du sauvage.

Voilà aussi l’explication de ce mirage mathématique d’après lequel le tant pour cent, la proportion prélevée par les salaires sur les produits industriels, va en diminuant plus l’outillage se développe. L’essentiel est que la quantité des salaires distribués et le salaire effectif de chaque ouvrier s’élèvent ; or, il en est ainsi, comme le prouvent les millions d’êtres humains vivant en Europe du travail des mines, des usines, des manufactures sans que le total des individus vivant de l’agriculture ait beaucoup diminué dans l’ensemble.

Un forgeron qui, en ayant seulement 33 pour 100 du produit, gagne 4 francs par jour, n’est-il pas dans une meilleure situation que le barbouilleur qui touche l’intégralité du produit, soit 3 francs ?

Non seulement la production est en raison de la somme des capitaux qui y a été engagée ; mais l’ouvrier bénéficie sur sa part de leur collaboration. C’est pourquoi il est proportionnellement mieux payé dans les industries les plus productrices. La statistique minérale allemande pour 1885 en donne un exemple décisif en montrant comment la puissance d’extraction d’une mine influe à la fois sur la production par homme et par an qui fait le bénéfice de l’entreprise, et sur le gain annuel de l’ouvrier.

Dans sept grandes exploitations houillères de la Westphalie, qui produisent l’une dans l’autre 836.000 tonnes et occupent chacune en moyenne 2.600 ouvriers, la production moyenne par homme et par an est de 320 tonnes : cette production descend à 297, 270, 255, 254, 240, 222 tonnes au fur et à mesure que l’importance de l’exploitation décroît ; elle est finalement de 173 tonnes par homme et par an dans 15 mines qui produisent seulement de 3.000 à 64.000 tonnes et n’occupent chacune en moyenne que 230 ouvriers. Or, la proportion du salaire annuel par homme, comparativement à la production totale, va en s’élevant plus la production est grande : de 100 dans les petites exploitations, elle monte successivement à 105, 110 et 114 dans les grandes, toujours en proportion de leur importance[16].

V. — Selon Karl Marx, le capital se constitue au moyen de l’absorption continue d’une partie de la force des travailleurs par les entrepreneurs d’industrie. Un ouvrier, dit-il, produit en six heures l’équivalent de son entretien ; l’industriel le fait travailler douze heures et ne lui donne qu’un salaire équivalant à cet entretien : donc, le produit de six heures de travail va à l’industriel, qui transforme en capital cette plus-value et la multiplie indéfiniment, selon la formule de l’intérêt composé, par une production incessamment continuée dans ces conditions et par la circulation de la valeur en argent des produits[17].

Tout est, dans ce sophisme, arrangé à plaisir pour exaspérer l’ouvrier : douze heures de travail ; six pour lui, six pour le patron. Est-ce la réalité des faits ?Voyez plutôt comment se répartissent les bénéfices entre le capital et le travail dans l’industrie des mines, où les constatations statistiques sont fort exactes.

En 1888, dans une année assez prospère, toutes les houillères françaises ont gagné 33.362.109 francs (dividendes et réserves), ce qui fait ressortir le bénéfice moyen du capital à 1 fr. 47 par tonne, tandis que le salaire de l’ouvrier a été de 5 fr. 04 par tonne. Partagée entre les 104. 959 mineurs, cette somme leur eût donné un salaire supplémentaire de 318 francs par an, soit sur 292 journées de travail une augmentation de 1 fr. 09, ce qui eût élevé le salaire de l’ensemble des mineurs de 3 fr. 89 à 4 fr. 98, soit de 21 pour 100. Mais dans cette moyenne on réunit les 127 mines en perte aux 166 mines qui étaient en gain ; de plus, le salaire moyen de l’ouvrier est fortement relevé au-dessus de cette moyenne par les subventions de toute sorte que les compagnies faisant des bénéfices attribuent à leurs ouvriers. Enfin, dans les prélèvements faits par le capital sur le produit des mines, sont compris non seulement les dividendes, mais encore les réserves affectées aux travaux d’avenir destinés à permettre de continuer l’exploitation pendant les années mauvaises. Si l’on compare seulement les dividendes touchés par les actionnaires avec les salaires, le résultat est bien plus saillant.

En 1881, les 20.701 ouvriers des houillères du département du Nord ont reçu en salaires 20.529.406 francs et les actionnaires 2.751.914 francs. La journée moyenne de chaque ouvrier, en réunissant ensemble toutes les catégories d’ouvriers, ressort à 3 fr. 306. Les dividendes perçus par les actionnaires ne grèvent chaque journée que de 0 fr. 443, soit de la valeur d’une heure et quart de travail, moyennant quoi ils ont l’usage de l’énorme outillage, des travaux de fonds, de toute la direction technique, qui font la productivité de ces grandes entreprises. Prenons une exploitation particulièrement prospère, — c’est toujours dans celles-là que le salaire est proportionnellement le plus haut, — les mines d’Anzin. En 1884, les actionnaires ont touché 1.200.000 fr. de dividendes pour un personnel de 14.000 ouvriers, ce qui réduit le prélèvement sur chaque journée d’ouvrier à 0 fr. 28, soit la valeur de trois quarts d’heure de travail. Nous voilà bien loin des six heures où se trouve, d’après Karl Marx, le fameux secret de l’accumulation capitalistique.

Veut-on savoir ce que rendent les chemins de fer français d’intérêt général dans leur ensemble ? 5 pour 100 seulement, si l’on déduit les subventions de l’État du chiffre total de 12 milliards trois quarts que la constitution du réseau avait coûtés à la fin de 1885. La productivité extraordinaire de ces nouvelles voies de communication a en réalité profité surtout au public et à l’État, qui en retire des impôts et des services gratuits pour des sommes bien supérieures aux dividendes des actionnaires[18]. Les capitaux employés à la construction des chemins de fer anglais n’obtiennent pas plus de 4 pour 100, année moyenne.

Le même fait s’est produit pour les capitaux engagés dans les chemins de fer des États-Unis. En 1888, le total des capitaux employés à construire les 156.080 milles existant à cette époque montait à 9.607 millions de dollars, savoir 4.624 millions de dollars pour les actions, 4.624 millions de dollars pour les obligations et le reste pour la dette flottante et les comptes courants. Or, les recettes brutes de l’exploitation s’étaient élevées seulement à 960 millions de dollars, en sorte qu’en en déduisant les frais d’exploitation il est resté un revenu moyen de 4,67 p. 100 pour les obligations et de 1,77 p. 100 pour les actions[19].

En 1889, les chemins de fer des États-Unis n’ont encore distribué à leurs actionnaires et obligataires que 82.110.198 dollars et porté aux réserves que 19.278.538 dollars. Le nombre de leurs employés et agents monte à 704.743. En calculant seulement à 500 dollars leur salaire moyen, on arrive à une somme de 352.371.500 dollars distribués en salaires, quatre fois le montant des dividendes et des intérêts distribués au capital[20].

On voit par là ce qu’il faut penser de la belle idée d’un philosophe bien intentionné, mais étranger complètement aux faits, qui recommande « le partage par moitié des produits entre les propriétaires, et les capitalistes d’une part, et les travailleurs de l’autre, pour empêcher le capital d’excéder sa juste part » et qui voudrait que « l’autorité publique ramenât par des lois justes et protectrices le capital à son juste rôle[21]  »  ! L’auteur qui a eu cette imagination croit améliorer la position des travailleurs ; en réalité il l’aggraverait effroyablement et les ramènerait bien en arrière de la situation actuelle. En effet, comme l’a montré M. de Foville, en France « les gains du capital sont loin d’égaler maintenant les salaires du travail, même non compris les salaires implicites des petits capitalistes, tels que propriétaires cultivateurs et des petits entrepreneurs, tels que fermiers et métayers[22] ».

Le bureau des statistiques du travail du Massachussetts, un des plus sérieusement organisés, s’est livré en 1890 à une série d’enquêtes et de calculs sur le taux des profits industriels, d’où il résulte que les manufacturiers de cet État font sur 100 dollars de marchandises vendues un profit de 3 dollars 90, ce qui constitue un intérêt de 4,83 p. 100 du capital engagé. Ces chiffres assez bas proviennent de ce que 7,61 p. 100 des établissements et 18,78 p. 100 du capital engagé ne réalisent aucun profit, travaillent à perte. En moyenne, les 257.656 ouvriers de tout sexe et de tout âge employés par des patrons individuels (private firms) gagnent chacun 362,23 dollars par an, tandis que leurs 12.558 employeurs reçoivent en moyenne, à titre d’intérêts, de profits et de salaires, chacun 517 dollars. Dans les usines exploitées par des compagnies par actions, 162.310 ouvriers gagnent en moyenne 333,22 dollars ; ce chiffre, plus bas que celui des ouvriers des usines privées et des métiers en général, s’explique parce que les filatures et les tissages, qui sont tous exploités par des sociétés par actions, emploient proportionnellement davantage de femmes et d’enfants. Les actionnaires reçoivent en moyenne 379 dollars par tête pour leurs placements.

Si l’on faisait une répartition égale par tête entre les ouvriers d’une part et les employeurs et les actionnaires de l’autre, le résultat serait celui-ci : dans les établissements particuliers, chacun aurait seulement 360 dollars 15 cents ; les ouvriers perdraient donc un dollar et demi, comparativement à leurs salaires actuels ; ce sont les patrons et les commanditaires des établissements en perte qui bénéficieraient de ce mode de répartition ; dans les établissements exploités par des sociétés anonymes, chaque ouvrier ou actionnaire recevrait 334 dollars 57 cents, soit un gain net, pour l’ouvrier, de 1 dollar 35 par an !

Si l’on voulait augmenter sensiblement la part des ouvriers, il faudrait priver de toute rémunération les capitalistes pour leurs capitaux et les entrepreneurs pour leur travail personnel et partager entre les travailleurs manuels exclusivement les produits bruts, c’est-à-dire ne plus faire aucune déduction pour l’amortissement de l’outillage, les frais commerciaux, les mauvaises créances, les travaux nouveaux ! La part des ouvriers ne serait encore augmentée que de 54,37 pour 100 dans l’ensemble.

On voit par là quels seraient les résultats de l’application des théories collectivistes de la mine au mineur, de l’usine à l’ouvrier. Ou bien la condition des travailleurs manuels ne serait pas améliorée, et il ne vaudrait pas la peine d’avoir changé de régime économique ; ou bien ils recevraient une part plus forte, et alors ils tueraient toute industrie et détruiraient en moins de deux ans toutes les accumulations du capital qui rendent le travail possible.

Un écrivain socialiste prétendait que les manufacturiers du Massachussetts, l’un dans l’autre, pouvaient reconstituer tous les quatre ans leur capital en accumulant leurs profits : en réalité, ils ne pourraient le reconstituer ainsi qu’au bout de vingt et un ans, en supposant qu’ils se privassent d’en dépenser la moindre part pour leur usage personnel.

Quelques établissements prospères pourraient sans doute beaucoup plus faire pour leurs ouvriers et c’est ici que les notions morales interviennent ; mais si la loi prétendait imposer à tous les établissements une augmentation appréciable des salaires actuels, elle tuerait absolument l’industrie.

De pareilles statistiques, avec leurs moyennes, sont fort approximatives ; mais celle-ci acquiert un assez grand degré de vraisemblance, si on la rapproche des statistiques sur les profits dans les sociétés par actions allemandes.

D’après un travail fait par M. Van den Borght, sur 243-254 établissements industriels existant en Allemagne pendant les cinq années 1881 à 1885, les quatre cinquièmes seulement ont fait des bénéfices et ont distribué des dividendes, qui sur l’ensemble de leur capital sont montés à 3,44 p. 100 en 1881, à 4,22 p. 100 en 1882, à 5,01 p. 100 en 1883, à 4,80 p. 100 en 1884, à 4,37 p. 100 en 1885[23].

Les bénéfices industriels, sous le régime de la production en grand et de la machine, loin de sucer comme un vampire le travail vivant, ainsi que le prétend Karl Marx, sont donc si peu élevés dans l’ensemble qu’à eux seuls ils ne fourniraient pas un aliment suffisant à la formation continue des capitaux qui se produit à notre époque. Une grande partie de ces capitaux sont formés par les économies que réalisent sur leurs salaires les ouvriers, les employés, les artisans, les domestiques, les gens voués aux professions libérales qui sont eux aussi des salariés (chap. i, § 13).

Assurément, il y a des chemins de fer, des filatures, des mines, qui donnent de gros dividendes à leurs actionnaires. Dans le tableau relatif aux 254 sociétés anonymes allemandes que nous avons sous les yeux, 25 environ ont distribué un dividende supérieur à 10 p. 100 et une soixantaine ont varié entre le 5 et le 10 p. 100 ; mais, par compensation, 76 établissements ont distribué moins de 1 p. 100 et 25 moins de 2 p. 100. Il faut bien qu’il y ait des chances favorables dans l’industrie pour que des capitalistes consentent à courir les chances contraires. S’il n’y avait que des pertes ou seulement des profits aussi peu élevés que la moyenne rapportée plus haut, personne ne constituerait de nouveaux capitaux pour remplacer ceux qui périssent dans les entreprises, et ceux-là sont nombreux.

Par exemple en France, dans l’industrie sidérurgique, beaucoup de grands établissements ont dû réduire successivement leur capital, ce qui signifie que le capital s’est détruit en partie en se transformant en salaires[24].

En Belgique, de 1876 à 1884, l’ensemble des charbonnages a donné les résultats suivants : la moitié des exploitations a été en déficit de 73.471.000 francs et l’autre moitié en bénéfice de 92.875.000 francs, de sorte que, en faisant le départ des profits et des pertes, les charbonnages belges ont produit pendant ces huit années seulement 19 millions de francs. Dans l’année 1884 le produit brut des mines s’est réparti de telle sorte que les ouvriers ont eu à titre de salaires 56,7 pour 100 et le capital à titre de dividende seulement 1,2 pour 100. Le reste a été absorbé par les frais généraux, impôts, employés divers, achats et renouvellement d’outillage, travaux d’avenir, c’est-à-dire par l’ensemble des prélèvements nécessaires pour maintenir le capital et l’empêcher de disparaître. Si l’on avait réparti entre tous les ouvriers la part du capital, celui-ci renonçant à toute rémunération, on n’aurait augmenté que de 20 francs le salaire annuel de l’ouvrier, soit 7 centimes de plus par jour de travail[25].

En 1888, dans une année relativement prospère, sur 257 charbonnages belges, 91 seulement ont été en bénéfice, 42 ont été en perte et 124 sont restés abandonnés ou inexploités. L’ensemble des dividendes comparé à l’ensemble des capitaux engagés dans les houillères n’a représenté que 1,5 pour 100 d’intérêt.

En France, en 1888, pour 226 mines de houille, de fer et autres minerais, qui ont donné 41.360.461 francs de bénéfices imposés (c’est-à-dire les dividendes et les réserves), 201 mines ont été en perte et ont laissé un déficit de 5.523.606 fr. Dans l’ensemble, le capital engagé dans ces 427 mines n’a produit que 4 pour 100. Or, notez bien que 1888 a été une année de vive reprise pour l’industrie[26].

Ce sont ces espérances de reprise qui entraînent bien des établissements à continuer, parfois pendant des années, une production à perte. A-t-on réfléchi à ce que signifie, pour un industriel, produire à perte ?C’est produire dans des conditions telles qu’il n’y a point de dividendes, mais que l’outillage est entretenu et reste intact pour une époque plus favorable, tandis que la liquidation ou l’arrêt absolu de la production entraînerait sa destruction totale. Ce calcul est souvent trompé par l’événement, et bien des établissements finissent par liquider après avoir dévoré leur capital en quelques années.

Ce capital a été employé en salaires, et c’est lui qui, en se consumant, a nourri les travailleurs. L’hypothèse de Karl Marx se trouve complètement renversée.

Ces cas-là se produisent fréquemment dans la grande industrie, précisément à cause de l’importance de son outillage, que l’inaction détériorerait. Voilà pourquoi le chômage absolu y est très rare. On se borne, dans les temps de dépression, à réduire le personnel en éliminant les ouvriers nomades ou à travailler à demi-temps. N’est-il pas frappant de voir qu’après le désastre de la Société des Métaux toutes ses usines ont continué à fonctionner pour le compte de la liquidation ? L’ouvrier n’a pas ressenti le contre-coup de cette catastrophe[27]. Dans sa déposition faite en 1884 devant la commission d’enquête dite des 44, M. Haas, le plus important fabricant chapelier de France, exprimait ainsi la nécessité de la production en grand pour son industrie et les avantages qui en résultaient pour les ouvriers :

Les affaires d’exportation se traitent avec des bénéfices insignifiants, quand ce n’est pas à perte ; elles contribuent, il est vrai, à amortir les frais généraux par l’augmentation de la production. Les fabricants ont un intérêt primordial à conserver des débouchés, qui leur permettent d’occuper leur personnel en morte saison. Il s’agit de garder ses ouvriers et l’ensemble d’organisation de son travail, ce qui constitue en quelque sorte le patrimoine d’une usine. Aucun sacrifice ne leur coûte pour aboutir à ce résultat. Nous nous contentons, dans ce cas, du bénéfice que peut donner le marché intérieur.

Dans la petite industrie, au contraire, là surtout où l’ouvrier travaille à son compte et est propriétaire de son métier, les chômages sont instantanés, les fabricants cessant de distribuer le travail dès que les commandes s’arrêtent. C’est là un fait que l’on peut vérifier dans la région lyonnaise et dans beaucoup d’industries parisiennes organisées sur la base de la fabrique collective.

Les inconvénients de l’agglomération des ouvriers dans le régime de la grande industrie sont donc contrebalancés par des avantages incontestables, et, ici encore, la part prépondérante prise par le capital dans la production est, en soi, favorable au travail.

Remarquez bien que l’organisation des industries en sociétés anonymes permet seule ces longues périodes de travail à perte. Il faut pour cela que les risques et que les capitaux soient dispersés entre de nombreuses mains. Quelle famille, si riche fût-elle, pourrait supporter pendant plusieurs années la privation de tout revenu ? Les faits que nous venons de rapporter prouvent que les profits moyens du capital sont moindres dans les sociétés anonymes que dans les autres genres d’entreprises. Le grand phénomène de la baisse du taux de l’intérêt, qui domine tout l’ordre économique, s’y fait sentir plus tôt et plus énergiquement qu’ailleurs.

VI. — Le capitalisme, sous sa forme industrielle, c’est-à-dire le développement des capitaux-outillage, ce que l’on appelle dans le langage technique le capital fixe, est évidemment bienfaisant à l’ensemble de la société et la classe ouvrière en profite directement.

Mais le capital se manifeste aussi sous une autre forme : celle du capital circulant, qui se renouvelle incessamment dans le processus de la production, et est reconstitué intégralement par chaque série de produits. Dans leur essence, les capitaux circulants consistent en matières premières et en subsistances pour les travailleurs pendant le temps que dure la production. Ce sont ces énormes approvisionnements, qui existent aujourd’hui sur tous les points du monde dans les grands marchés, et que la facilité des communications permet de porter à peu de frais là où ils se vendront le mieux, parce qu’ils y ont le plus d’utilité ; et, de notre temps, fait plein de conséquences, l’approvisionnement est presque toujours supérieur à la consommation (chap. vi, § 7). Mais comme, avec de l’or et de l’argent, on peut se procurer matières premières et subsistances au moment précis où l’on en a besoin, le capital circulant est représenté pratiquement par la monnaie, complétée chez les peuples modernes par l’ensemble des moyens de paiement dérivés du crédit, qu’on appelle la circulation fiduciaire.

Nous verrons dans le chapitre suivant comment les capitaux, formés peu à peu dans l’ensemble de la société, sont recueillis par les banques, qui les portent sur les points du monde où ils peuvent produire le plus d’effet utile, et les mettent sous les formes diverses du crédit à la disposition de l’industrie et du commerce.

VII. — Les princes marchands d’autrefois, qui se suffisaient à eux-mêmes, sont de l’histoire ancienne. Sauf quelques situations exceptionnelles, comme les Van der Bilt et les Jay Gould, ils ne peuvent vivre dans le milieu économique moderne, qui, par certains côtés, s’est fort démocratisé. Pour risquer dans les affaires de pareilles fortunes, il fallait et l’influence politique qui y était jointe et la perspective de gros profits. Or, les profits industriels et commerciaux de 20 et 30 pour 100 qui étaient fréquents, il y a « ? » siècle, qui se produisaient encore à l’époque de la constitution de la grande industrie à l’aide du régime protecteur, n’existent plus aujourd’hui. Les profits ont baissé du même pas que l’intérêt des capitaux. Des familles, qui possèdent une grande fortune héréditaire, ne la risquent pas dans les entreprises commerciales pour la perspective seulement d’un gain de 5 ou 6 pour 100. Ceux qui tentent ces chances demandent leurs capitaux au crédit pour la plus grande partie.

Le nouveau commerçant a évidemment d’immenses avantages pour soutenir la lutte, dit W. Bagehot. Admettons qu’un négociant ait un capital à lui de 1.250.000 francs ; pour que ce capital lui rapporte 10 p. 100, il lui faut faire 125.000 francs de bénéfices annuels, et il doit vendre ses marchandises en conséquence ; si un autre marchand, au contraire, n’a que 250.000 francs à lui et qu’au moyen de l’escompte il emprunte un million (et ce n’est pas là un cas extraordinaire dans le commerce moderne), il se trouve à la tête d’un capital semblable de 1.250.000 francs et peut vendre à beaucoup meilleur marché. S’il a emprunté au taux de 5 pour 100, il devra chaque année payer 50.000 fr. d’intérêts ; et si, comme le vieux commerçant, il réalise 125.000 francs de profits par an, il lui restera encore, après avoir déduit les intérêts qu’il doit, une somme annuelle de 75.000 francs, c’est-à-dire que son capital de 250.000 francs lui rapportera 30 pour 100. La plupart des négociants se contentent de beaucoup moins que ce revenu de 30 pour 100 ; il pourra donc, s’il le veut, abandonner, une partie de ce profit, abaisser le prix de ses marchandises et chasser ainsi du marché le commerçant qui n’est plus de son époque, c’est-à-dire celui qui travaille avec son propre capital. La certitude de pouvoir se procurer de l’argent en escomptant du papier ou autrement, et cela à un taux d’intérêt modéré, fait que, dans le commerce anglais moderne, il y a une sorte de prime à travailler avec un capital d’emprunt et une sorte de défaveur constante à se borner uniquement à son propre capital, ou à s’appuyer principalement sur lui[28].

Trois circonstances nécessitent de plus en plus pour les industriels l’appui du crédit, à savoir : la nécessité de produire en grand pour pouvoir utiliser les machines, la nécessité de devancer par leur production la consommation, ce qui amène la constitution des grands approvisionnements disponibles, la nécessité de chercher au loin des débouchés pour les produits et de se procurer les matières premières aux lieux de production en supprimant les intermédiaires, autant que possible, et en se les assurant à l’avance à des conditions certaines par les marchés à terme.

Une partie des capitaux s’engage sous forme de commandite, c’est-à-dire moyennant une participation aux profits et aux pertes ; mais cet engagement, fait pour un temps assez long, ne convient pas aux personnes qui désirent conserver la disponibilité à bref délai de leurs capitaux. Or, la rapidité moderne des affaires leur fournit précisément trois modes d’emploi qui remplissent cette condition : l’escompte des effets de commerce, les prêts garantis par des warrants sur les marchandises déposées dans les magasins généraux, les reports sur les marchandises achetées au comptant et immédiatement revendues à terme. Grâce à ces capitaux mis à sa disposition, sous l’une ou l’autre de ces formes, l’industriel, le commerçant multiplie ses opérations, renouvelle ses approvisionnements, et écoule ses produits rapidement. Il peut se contenter d’un bénéfice d’autant moindre sur chaque opération qu’elle se renouvelle fréquemment. Le taux très sensiblement abaissé, depuis vingt-cinq ans, de l’intérêt exigé pour ces diverses opérations de crédit en rend l’usage de plus en plus avantageux pour les industriels et les commerçants.

La reconnaissance pratique de la légitimité de la perception d’un intérêt dans les limites de la productivité de l’industrie (le taux légal des jurisconsultes, le lucrum cessans des théologiens) (chap. iii, § 4) a contribué évidemment, avec l’accroissement de la productivité agricole et manufacturière, à faciliter cette multiplication des capitaux. Cette multiplication, à son tour, réagit heureusement sur le développement du commerce et de l’industrie, et c’est par le mécanisme des trois procédés de crédit que nous venons d’indiquer : escomptes, warrants, reports, que les capitaux disponibles du pays se portent rapidement dans les emplois les plus lucratifs[29].

En même temps que le commerce et l’industrie travaillent de plus en plus avec des capitaux fournis par le crédit, la durée pour laquelle le crédit est fait va en diminuant. Au temps de Colbert, les Hollandais dans leurs ventes en Europe accordaient un crédit de douze mois[30]. Ces termes exagérés ont été toujours en se resserrant. On ne les trouve plus guère que dans les relations des grands exportateurs européens avec les marchands de l’intérieur des pays nouveaux[31]. En France, le règlement en effets de commerce à trois mois est devenu la règle et les bonnes maisons de banque exigent que leurs clients ne fassent pas habituellement escompter pour tout ce temps. Dans l’intérieur de l’Angleterre, de grands progrès dans le sens de l’abréviation du délai dans lequel se règlent les affaires ont été réalisés dans ces dernières années. Les paiements comptants (cash) se multiplient beaucoup. Cela signifie que le même capital peut, dans le même espace de temps, servir à un plus grand nombre d’affaires. En fait, c’est comme si les capitaux s’étaient multipliés.

  1. Leber, Essai sur l’appréciation de la fortune privée au moyen âge (2e édit., 1847) pp. 37, 58, 59. Cf. Baudrillard, Histoire du luxe privé et public, t. III.
  2. Taine, L’Ancien régime, p. 53.
  3. V. De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, pp. 96 et suiv. La note suivante, que nous trouvons dans les journaux d’août 1890, nous révèle aujourd’hui dans l’Extrême-Orient un état social semblable : « Une des illustrations de la Chine, How-Qua, le plus riche marchand de thé de tout le Céleste Empire, vient de mourir à Canton. Sa fortune s’élevait à 144 millions de dollars. Son palais, entouré de jardins à perte de vue, est une des merveilles de l’Extrême-Orient ; il est rempli de présents du plus haut prix, dont le gouvernement anglais avait comblé How-Qua. »
  4. The Nineetenth Century, novembre 1890.
  5. De Varigny, les Grandes fortunes, pp. 74, 155.
  6. Cité par Varigny, les Grandes fortunes, pp. 47-48.
  7. V. Delamarre, Traité de la police (édit. 1738), t. IV, pp. 81-85.
  8. Dans les contrats passés pour la fourniture des armées se révèle souvent cette action supérieure de l’intelligence. Là où l’intendance la plus zélée et la plus honnête n’arrive pas à approvisionner les armées, les soumissionnaires le font avec une régularité et une puissance de moyens étonnants. Un exemple célèbre est celui d’Ouvrard. En 1823, l’armée expéditionnaire d’Espagne était arrêtée sur la Bidassoa, faute d’approvisionnements. L’Intendance se montrait absolument impuissante. Ouvrard offrit alors au duc d’Angoulême d’approvisionner l’armée entière pendant toute la campagne, à des conditions que ce prince accepta le 5 avril 1823. Immédiatement l’armée put entrer en campagne, et elle fut constamment approvisionnée pendant toute la durée de la guerre. Les passions politiques du temps provoquèrent une instruction judiciaire contre Ouvrard, qui fut acquitté par la Cour des pairs, par 130 voix contre dix. V. Nettement, Histoire de la Restauration, t. VI, pp. 475, 526 ; t. VII, pp. 158-169, 312-322. M. Thomas Cook, qui a fait des voyages une industrie, a montré depuis cinquante ans la puissance d’organisation et l’économie dans les moyens que l’entreprise privée peut réaliser. Un souvenir est particulièrement intéressant pour les Français. Le 31 janvier 1871, M. T. Cook était enfermé à Paris : il partit immédiatement après la signature de l’armistice, et, quelques heures après, il faisait entrer dans la ville assiégée 70 tonnes de provisions. V. the Industry of the travels, by W. Fraser Rae (London, 1891), et le Soleil du 20 juillet 1891.
  9. Growth of English commerce and Industry (Cambridge, 1882), pp. 210 et 248, et Ochenckowski, Englands wirthschaftliche Entwickelung, (Iera, 1879), p. 112,
  10. V. ces considérations longuement développées par M. P. Leroy-Beaulieu, de La Répartition des richesses et de la tendance à une moindre inégalité des conditions (1881), pp. 305 et suiv.
  11. V. un exemple de ces coutumes dans le tome IV des Ouvriers européens, de F. Le Play, monographie du pêcheur de Saint-Sébastien.
  12. V. Endemann, Studien in der Romanisch-Kanonistischen Lehre, t.I, pp. 357 à 360.
  13. V. une description de ces coutumes dans l’ouvrage intitulé Ambelakia ou les associations et les municipalités helléniques, par F. Boulanger (Paris, Guillaumin, 1875, in-12). Sur 70 parts, entre lesquelles est réparti le fret gagné dans un voyage, 10 sont attribuées au navire, 10 au gréement, 3 au capitaine, et le reste aux 35 matelots suivant la fonction de chacun.
  14. V. dans les Ouvriers des deux mondes, publiés par la Société d’économie sociale, notre Monographie d’un métayer du Texas (Paris, Didot, 1892).
  15. Ce serait cependant une erreur que de se représenter, dans les siècles passés, tout le régime du travail comme reposant sur les métiers libres et les corporations. Dans la féodalité, un certain élément capitaliste se joignait à la possession territoriale et à la puissance militaire. Les seigneurs avaient, selon la coutume des lieux, la disposition d’un nombre déterminé de corvées qu’ils pouvaient employer à leur profit en travaux productifs ; de plus ils avaient le monopole des moulins, des fours, des pressoirs, parfois des animaux reproducteurs sous la forme de banalités. Les forêts, avec les mines qu’elles contenaient, et les cours d’eau avaient fini par leur être attribués comme un apanage de la justice. En fait, ils étaient les seuls à avoir des exploitations minières, des forges et des usines hydrauliques. En Allemagne, au xviie siècle, le monopole des distilleries avait été attribué aux seigneurs et devint, avec les progrès de la consommation de l’alcool un élément important de leur fortune.
  16. E. Gruner, les Associations et Syndicats miniers en Allemagne (Paris. Chaix, 1887, in-4), pp. 41-42.
  17. Karl Marx, le Capital, traduction entièrement révisée par l’auteur (Paris, 1872, Maurice Lachâtre. In-4), pp. 73-74, 82-84, 254 et suiv. Le tome II de cet ouvrage a paru après la mort de l’auteur par les soins de Frederic Engels à Hamburg, en 1885. Les fragments sur le processus de la circulation qu’il contient ne font que répéter les théories du premier volume.
  18. De Foville, la France économique (2e édition), p. 313. En 1890, le dividende des actions des six grandes compagnies a été l’une dans l’autre de 46 fr. 84, soit 9 p. 100 sur 500 francs de capital versés au début de l’entreprise. Les obligations, suivant leur date d’émission, touchent un intérêt variant de 5 à 3,50 p. 100. Depuis 1865, le dividende des actions a toujours été en diminuant : la hausse des actions est uniquement le résultat de l’élévation du taux courant de capitalisation. Les chiffres suivants prouvent combien supérieurs sont les profits réalisés par le public et par l’Etat : les recettes brutes, qui étaient en 1865 de 526 millions, sont montées en 1890 à 1.086 millions, et les recettes nettes ont passé pendant la même période de 296 millions à 535. En 1865, les actionnaires avaient reçu comme dividendes 159.695.500 fr. ; en 1890 ils ont touché net seulement 146.803.588 francs. Pendant ce temps les impôts et services gratuits perçus par l’Etat passaient de 91.700.000 fr. à 300 millions. L’écart entre la progression des recettes nettes et des recettes brutes tient aux diminutions considérables de tarifs que les compagnies ont faites pendant ces vingt-cinq ans. L’accroissement des recettes nettes des chemins de fer a été absorbé complètement et au delà par l’intérêt et l’amortissement des obligations émises pour la construction de lignes improductives auxquelles les Compagnies ont largement concouru et qui, quoiqu’elles ne donnent pas de bénéfice financier, n’en constituent pas moins un élément considérable de richesse pour la communauté nationale. Pour le détail de ces chiffres par compagnie, voir la communication faite par M. A. Neymarck en 1891 à la Société de statistique de Paris : les Chemins de fer et l’impôt ; la légende des gros dividendes.
  19. The financial Chronicle de New-York, analysé dans l’Economiste français du 16 novembre 1889. Le faible rendement des actions s’explique aussi par la majoration frauduleuse du capital, par la pratique du stock-wattering (V. chap. v, §10).
  20. V. l’Economiste Français du 24 janvier 1891.
  21. Elie Blanc, Traité de Philosophie scolastique, t. III, p. 392.
  22. V. l’excellente étude de M. J. Rambaud, professeur à l’Université catholique de Lyon, le Socialisme et les lois économiques Lyon, 1891.
  23. Analysé par M. Maurice Block dans l’Economiste français du 19 mars 1888
  24. La Compagnie de Châtillon et Commentry, après avoir débuté avec un capital de 25 millions, a dû, en deux fois, le réduire à 6.250.000 francs ; puis elle a fait un nouvel appel de fonds, sous forme d’actions, pour le reporter à 12.500.000 francs. La Compagnie de Commentry-Fourchambault a dû aussi, en 1889, réduire son capital de 25 millions à 12.500.000 francs. Dans les premiers mois de 1890, la Compagnie de Montataire a réduit son capital primitif de 3 millions à 1 million ; et ensuite elle a fait un nouvel appel de fonds, sous forme d’actions, pour 2.865.000 francs, ce qui, proportionnellement, diminue encore les bénéfices du capital primitif. En 1890, la Société des mines de fer de l’Anjou, qui s’était fondée au capital de 16 millions, dut céder tout son actif à une nouvelle société au capital de 12 100.000 francs, qui s’est chargée de son passif, moyennant des parts bénéficiaires délivrées à ses actionnaires, qui auront droit à 20 p. 100 dans les bénéfices après paiement de 5 p. 100 d’intérêt aux actions nouvelles. Nous pourrions citer encore bien des faits semblables.
  25. Voici un exemple caractéristique de la situation de certains charbonnages : en juin 1891, à la suite des pertes éprouvées par les grèves, une assemblée générale des actionnaires de la Société des Charbonnages des artistes, Xhorré et Balloz-Lalore, à Flémalle-Grande a abandonné la concession de ces trois puits. En 1890, la société avait extrait 197.200 tonnes de charbon, représentant un produit brut de 2.754.300 fr. Les frais d’exploitation s’élevaient à 2.592.000 fr., d’où un bénéfice de 162.300 fr. seulement pour les trois puits. Au 1er janvier 1890, le nombre de ses ouvriers s’élevait à 1.427, le chiffre de leur salaire moyen à 967 fr. par an (3 fr. 21 par jour), soit un total de salaires payés de 1.379.909 francs. Pour l’exercice 1889, la Compagnie avait versé 27.398 fr. à la caisse provinciale de prévoyance au profit de ses anciens ouvriers, en outre de sa part dans la caisse particulière de secours instituée chez elle. (Le Bien public de Gand, du 21 juin 1891.)
  26. L’industrie des mines en France et à l’étranger, par M. Henry Couriot (Paris, 1890), pp. 14, 34, 36. Chaque année, l’Administration des mines établit les résultats financiers des exploitations, qui sont en perte ou en gain.
  27. Même à Terrenoire, le travail des mines et des forges n’a pas cessé après la faillite de la Compagnie en 1887. Les ouvriers auraient peu souffert, si la Compagnie n’eût commis la faute insigne de confondre dans son fonds de roulement le capital des caisses de secours et de pensions.
  28. Lombard-Street ou le marché financier en Angleterre (trad. française. Paris, 1874, Germer-Baillière), pp. 8 et 9. Bagehot, qui dans le cours de sa carrière avait assisté à cette transformation, constate que le nivellement constant des maisons de commerce anglaises a été peu favorable à la moralité commerciale, mais qu’il a été singulièrement favorable à l’esprit d’initiative. « Aucun pays ayant un grand commerce héréditaire, aucun pays européen tout au moins, ne fut jamais aussi éveillé, pour employer le mot propre, que l’Angleterre ; aucun pays ne met autant de promptitude à profiter des avantages nouveaux. »
  29. Ces questions ont été traitées d’une manière neuve par M. Camillo Supino, Teoria della trasformazione dei capitali. (Turin. Bocca, 1891).
  30. V. Jean de Witt, Mémoires, t. I, p. 184 ; —Roscher, Principes d’économie politique, §187 ; — et John Rae, the natural History of credit, dans the Contemporary Review, août 1886.
  31. Aujourd’hui encore les maisons de Liverpool et de Manchester font des crédits de 12 et 18 mois aux marchands de l’intérieur du Canada. Au Mexique et dans tous les pays de l’Amérique Espagnole, les importateurs vendent aux marchands du pays à un délai de six mois qu’il est d’usage d’étendre jusqu’à 9 et 12 mois moyennant un intérêt de 8 p. 100 au minimum sur cette extension. Les opérations faites dans ces conditions sont d’ailleurs très sûres et fort profitables pour les importateurs étrangers. Le consommateur seul est lourdement grevé. Partout où le régime économique occidental pénètre, à Cuba par exemple et dans la ville de Mexico, les opérations au comptant ou réglées en effets à court terme tendent à se multiplier.