Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle/Chapitre 5

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CHAPITRE V

LES SOCIÉTÉS ANONYMES PAR ACTIONS


  1. Les banques et la constitution des affaires commerciales et industrielles.
  2. Le caractère propre des valeurs mobilières.
  3. Le titre au porteur.
  4. Origines historiques de l’action et de la société anonyme.
  5. Le domaine naturel de la société anonyme.
  6. Légitimité de son principe juridique.
  7. Les lanceurs d’affaires et la fondation des sociétés anonymes.
  8. Le rôle de la presse.
  9. Les émissions et les syndicats de garantie.
  10. Fraudes commises dans le fonctionnement des sociétés anonymes.
  11. Réformes légales nécessaires.
  12. Le mouvement législatif contemporain et le principe de la réforme.

I. — Les sociétés par actions sont un mécanisme indispensable à l’accomplissement de la fonction du capital dans le commerce et l’industrie modernes ; malheureusement elles fournissent aux faiseurs d’affaires, aux affaristi, comme les appellent les Italiens, l’occasion de véritables brigandages en grand. La question est assez grave pour être exposée avec quelques détails.

L’intermédiaire des banquiers, des financiers, est indispensable dans certaines circonstances pour fournir des capitaux à ceux qui montent une entreprise manufacturière ou commerciale.

La commandite ordinaire procure aux fondateurs d’une usine ou d’un commerce les fonds qui leur sont nécessaires dans le cercle de la parenté ou de l’amitié ; mais, dès que ces relations deviennent insuffisantes, eu égard à l’importance des entreprises, force leur est de puiser ces fonds dans les disponibilités du public, et ces disponibilités, elles sont dans les caisses des banques ou sous leur contrôle. [fin page155]

Des banques de commerce manqueraient aux règles élémentaires de leur art si elles engageaient directement à long terme, comme le comporte la commandite, les fonds que leurs clients leur confient pour un bref délai. Celles qui le font périssent fatalement.

Des sociétés financières spéciales pour prendre à forfait des émissions de valeurs mobilières et commanditer des entreprises industrielles, en leur fournissant tout ou partie de leur capital sous une forme ou sous l’autre, ont parfaitement leur raison d’être dans notre organisation économique ; mais elles devraient n’engager ainsi que leur capital ou des capitaux qu’elles auraient empruntés elles-mêmes à long terme à titre d’obligations.

En Angleterre, l’instruction du public a été assez développée et les mœurs financières sont assez solides pour avoir imposé cette séparation des fonctions. Les banques de commerce, les banques d’escompte doivent rester et restent effectivement étrangères absolument aux transactions sur les valeurs de bourse. C’est en ce sens que M. de Rothschild à Londres n’est pas un banquier. Les émissions de valeurs sont faites par des maisons spéciales de finance, comme étaient les Baring. D’autres sociétés, qu’on appelle les Share Trust Companies, ont pour fonction de placer les fonds qu’elles ont recueillis sous forme d’actions ou d’obligations en valeurs de certaines catégories, de manière à assurer à ces fonds un revenu moyen et à compenser les risques des placements[1].

En France, cette distinction dans les fonctions des diverses sortes d’institutions financières est presque inconnue.

Les grands établissements de crédit qui se sont formés depuis une trentaine d’années (chap. xii, § 8) veulent faire l’escompte et recevoir des dépôts en compte courant, malgré le peu de bénéfices qu’ils y trouvent, pour se créer une clientèle dans laquelle ils placent leurs émissions : c’est pour cela qu’ils multiplient leurs succursales en province. D’autre part, les banques de commerce se laissent entraîner à engager les fonds de leurs dépôts et comptes courants en valeurs de bourse sur lesquelles elles espèrent faire des spéculations lucratives[2]. C’est ce qui a amené, après bien d’autres, la chute de la Société de dépôts et comptes courants en 1891.

Cet entraînement, incorrect au point de vue économique, coupable quelquefois au point de vue juridique, est une tentation pour les financiers à cause même du caractère des valeurs mobilières et des ressources qu’elle leur offrent.

II. — Les actions et les obligations sont des titres de propriété sociale ou de créance d’un type uniforme et transférables par une simple mention sur des livres, ou par tradition, selon que les titres sont nominatifs ou au porteur. Grâce à cette facilité de transmission, leur propriétaire trouve facilement un cessionnaire. Un marché spécial, la Bourse, s’établit pour cette nature de biens, en sorte que le titre de propriété de capitaux engagés à long terme devient convertible et mobile. Le même procédé arrive à donner aux créances hypothécaires, sous la forme d’obligations foncières, de Pfandbriefe, une mobilité qui contraste avec la stabilité et la vente toujours difficile du gage sur lequel elles reposent. Sans prétendre assimiler à de la monnaie ou à des effets de commerce proprement dits les actions et les obligations, même de premier ordre (chap. iv, § 10), cette mobilisation relative d’une partie importante de la richesse n’en est pas moins un fait très remarquable.

L’indisponibilité du capital que l’on a prêté ou que l’on a engagé dans une commandite est pour le capitaliste un dommage que les anciens auteurs considéraient comme constituant un damnum emergens et justifiant la perception d’un interesse (chap. iii, § 4). La représentation de cette créance par une obligation, de cette part de commandite par une action, négociable facilement, fait disparaître presque complètement l’indisponibilité du capital au point de vue du particulier, au moins tant que l’affaire est prospère. Cela amène une réduction du taux de l’intérêt, de la rémunération exigée par le capitaliste.

Les effets économiques de la représentation des parts de propriété par l’action ont été aperçus de bonne heure par les Hollandais. Melon, dans ses Essais politiques sur le commerce (1734), les indique fort judicieusement :

La circulation des fonds est une des grandes richesses de nos voisins. Leurs banques, leurs annuités, leurs actions, tout est en commerce chez eux. Les fonds de notre Compagnie seraient comme morts dans le temps que les vaisseaux les transportent d’une partie du monde dans l’autre, si, par la représentation des actions sur la place, ils n’avaient une seconde valeur réelle, circulante, libre, non exigible, et par conséquent non sujette aux inconvénients d’une monnaie de crédit et en ayant néanmoins les propriétés essentielles.

Nous ne prétendons pas dire que l’actionnaire soit plus utile à l’État que le rentier ; ce sont des préférences odieuses de parti, dont nous sommes bien éloignés. L’actionnaire reçoit son revenu comme le rentier le sien : l’un ne travaille pas plus que l’autre et l’argent fourni par tous les deux pour avoir une action ou un contrat est également applicable au commerce ou à l’agriculture. Mais la représentation de ces fonds est différente. Celle de l’actionnaire ou l’action, n’étant sujette à aucune formalité, est plus circulante, produit par là une plus grande abondance de valeurs et est d’une ressource assurée dans un besoin pressant et imprévu. Le contrat a des propriétés d’un autre genre d’utilité. Le père de famille ne peut laisser sans danger des actions à des héritiers mineurs, souvent dissipateurs ; il laisse des contrats qui ne sont pas sujets au vol et dont on ne peut pas se défaire de la main à la main. Ces contrats assurent et manifestent les biens d’une famille, procurent du crédit et des établissements. Enfin, il est bon qu’il y ait en France de ces deux espèces de fonds, selon le génie et le talent de chacun, et il paraît également pernicieux de vouloir tout réduire à l’un des deux.

L’annuité est un papier commun en Angleterre, qui participe également du contrat, de l’action et de la rente tournante. Elle a, comme le contrat, un revenu fixe sur des droits aliénés. Elle a, comme l’action la faculté d’être négociée de la main à la main parce qu’elle est au porteur. Elle a comme la rente tournante un remboursement annuel sur le capital jusqu’à extinction[3].

Le jour où l’action, où l’obligation a été inventée, une véritable révolution économique a été opérée. La forme exceptionnelle de la société anonyme n’a qu’une importance secondaire auprès de la transférabilité et de la mobilité données aux parts sociales et aux créances. Les actions se sont produites d’abord au sein de la commandite ; et quand la législation exigeait l’autorisation du Conseil d’État pour la fondation des sociétés anonymes, on tournait la difficulté par la commandite en actions. Tous les abus que l’on reproche à l’anonymat se produisaient déjà sous ce régime, et, dès 1856, le législateur français édictait, pour les réprimer, une loi qui a marqué le point de départ d’un développement législatif considérable dans tous les pays civilisés.

III. — La facilité du transfert des actions et des obligations est portée à son plus haut point lorsqu’elles sont au porteur, et elles sont particulièrement recherchées sous cette forme pour les placements temporaires ; elles sont comme une monnaie, qui rapporte un intérêt.

Cette commodité très grande a fait admettre le titre au porteur peut-être dès le xviie siècle en Italie et en Hollande[4].

En France, la première société qui admit les actions au porteur fut la Compagnie d’Occident, créée par Law en 1717. La Société des fermes royales, organisée par les frères Paris la même année, pour faire concurrence à Law, avait également ses actions au porteur[5]. [fin page158-159]

Le titre au porteur n’offre pas d’inconvénients, si le capital qu’il représente est complètement versé. Mais le titre au porteur avec des versements à faire pour la moitié, comme la loi française l’admet, est un non-sens. Cette réserve faite, les critiques qu’on a dirigées contre le titre au porteur ne sont pas fondées. Une action nominative complètement libérée n’impose pas plus de responsabilité à son propriétaire que le titre au porteur. D’ailleurs, toutes les tentatives législatives qu’on pourrait faire pour l’interdire seraient neutralisées par le transfert en blanc du titre nominatif. En 1716, un édit royal avait défendu les effets de commerce au porteur ; dès le 21 janvier 1721, l’usage en avait dû être autorisé de nouveau, car on ne peut pas, pour parer à quelques abus, supprimer toute la commodité des affaires.

Toutes les opérations de bourse qui présentent des dangers au point de vue de la spéculation, reports, ventes à terme, ventes à l’émission, marchés à primes, sont possibles sur des titres nominatifs comme sur des titres au porteur et elles peuvent même donner lieu à des abus plus grands encore[6].

IV. — La société anonyme consiste essentiellement en la constitution d’un corps moral, dans lequel le capital, divisé en parts uniformes ou actions, est seul responsable des engagements sociaux. Les actionnaires ne sont tenus que du montant de leurs actions. Il en est de même des directeurs et administrateurs : ils ne sont responsables personnellement et in infinitum qu’en cas de dol ou de faute personnelle lourde.

L’érudition peut retrouver quelques institutions analogues au moyen âge ; en réalité, c’est au seizième siècle que la société anonyme par actions s’est constituée en Italie, pour fermage de certains impôts[7]. Les luoghi des monti, ou les titres de rentes des emprunts émis par les gouvernements de la péninsule, dès le xive siècle, ont été le vrai type de l’action. Dès cette époque, à Florence à Gènes, à Milan, ils jouaient dans les fortunes des particuliers le même rôle que les valeurs mobilières d’aujourd’hui et donnaient lieu aux mêmes transactions de Bourse. Au xvie siècle, l’on divisa les fonds des commandites en parts uniformes dans les villes d’Italie et du midi de l’Allemagne. La société anonyme se constituait ainsi par des essais successifs, comme pour fournir leur cadre aux grandes entreprises coloniales et maritimes que les Européens allaient entreprendre. En 1599, la reine Elisabeth remettait au duc de Cumberland et à ses associés la première charte de la Compagnie des Indes orientales. En 1602, la Compagnie hollandaise des Indes était fondée et la France essayait d’en créer une sur les mêmes bases. Toutes les grandes compagnies de commerce instituées dans le cours du siècle furent organisées sur le même type ; puis, peu à peu, on appliqua cette forme de société à d’autres entreprises[8]. En France, la première compagnie d’assurances maritimes par actions fut créée en 1664. En Angleterre, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, certaines banques, les assurances, les canaux, les services d’adduction des eaux dans les villes étaient déjà organisés en compagnies par actions, et Adam Smith constatait que, pour ce genre d’affaires, ce régime était le seul possible. Mais on demandait aussi au Parlement des chartes pour des entreprises d’un tout autre caractère, comme le traitement du cuivre et du plomb, la fabrication des glaces, etc.

D’après le droit commun de l’Europe, la constitution d’un corps moral et la suppression de la responsabilité personnelle sur leur patrimoine pour les directeurs de l’entreprise ne pouvaient résulter que d’un acte de la Souveraineté, d’un privilège. C’est pour cette raison d’ordre juridique qu’en France jusqu’en 1863, en Angleterre jusqu’en 1856[9], en Prusse jusqu’en 1870, la constitution d’une société anonyme devait être approuvée par l’autorité publique. Quand les affaires qui nécessitaient cette forme d’association se multiplièrent, on dut renoncer à cette formalité qui semblait engager la responsabilité morale du gouvernement, alors que tout contrôle de sa part sur les chances de réussite de l’entreprise était impossible[10]. C’était en même temps lui donner sur les affaires une action pour laquelle il était incompétent et qui pouvait gravement compromettre ses représentants. On en eut la preuve sous l’Empire. Au moment des plus grandes spéculations du Crédit mobilier, une note parue au Moniteur universel, le 9 mars 1856, annonça que le gouvernement n’autoriserait plus de nouvelles émissions pendant l’année. Dès le 30 novembre, il autorisait l’émission de 214 millions d’obligations par les Compagnies de chemins des fers ; dans les deux cas il fut soupçonné d’avoir favorisé des manœuvres de Bourse[11]. Aujourd’hui, à peu près partout le principe de la formation libre des sociétés anonymes a prévalu, à la condition de se conformera des cadres légaux strictement délimités et d’observer des formalités, faute desquelles les actionnaires sont considérés comme formant une société de fait soumise aux responsabilités ordinaires du droit civil ou du droit commercial. L’Autriche est seule à exiger l’autorisation gouvernementale ; mais cette intervention du pouvoir ne paraît pas y assurer aux affaires un degré de moralité supérieur à celui des autres pays[12].

V. — Quand, en Angleterre, au dix-huitième siècle, les créateurs d’une manufacture demandaient une charte de corporation, leur but était d’échapper aux responsabilités du droit commun. Les entreprises organisées sous cette forme se montrèrent très inférieures à celles restées sous le régime de la partnership, de la société en nom collectif, et Le Play, quand il étudiait l’Angleterre, de 1840 à 1860, constatait que dans l’industrie et le commerce les entreprises de famille se substituaient graduellement aux sociétés par actions. Toutefois ce n’a été qu’une phase passagère dans l’histoire industrielle de l’Angleterre. Depuis vingt ans, les industries manufacturières adoptent de plus en plus le régime des sociétés par actions. Dans ces dernières années, par exemple, toutes les brasseries se sont constituées sous cette forme. Il en est de même en Allemagne et aux États-Unis. Cela semble une conséquence de l’importance de plus en plus grande des capitaux exigés par la production industrielle ; parfois, c’est seulement le désir de régler les parts de propriété des divers membres de la famille sous la forme d’actions, ce qui évite de diviser matériellement l’entreprise[13].[fin page162-163]

Quand il s’agit de banques qui reçoivent des dépôts, les sociétés anonymes sont vues avec plus de faveur par l’opinion à cause de la publicité qu’elles donnent à leurs bilans : l’usage jusqu’ici ne permettait pas de le faire à un banquier particulier[14]. Ce serait effectivement une garantie sérieuse, si ces bilans ne pouvaient pas être altérés frauduleusement. Quoi qu’il en soit, en 1889 et 1890, la transformation des banques privées en joint stock campanies s’est opérée dans de grandes proportions.

Il y a même aujourd’hui tout un ordre d’entreprises, ayant un caractère pécuniaire joint à un but d’utilité publique, qui se constituent sous la forme de sociétés anonymes, en conservant d’ailleurs le caractère civil que la loi française reconnaît à des sociétés de ce genre selon leur objet au lieu de demander au gouvernement à être érigées en établissements d’utilité publique. C’est sous cette forme que se créent des sociétés pour la possession d’immeubles affectés à un intérêt corporatif ou collectif, pour la construction d’habitations ouvrières, pour l’exploitation d’écoles, d’hôpitaux, etc. Il est juste que les citoyens, qui engagent ainsi leurs capitaux n’engagent au moins leur responsabilité personnelle que sous le bénéfice d’une limitation.

Pour toutes ces causes, la société anonyme se répand aujourd’hui partout où pénètre la civilisation occidentale[15].

Rien n’est plus légitime en soi que cette forme d’association. On peut presque dire qu’elle est de droit naturel en vertu de la liberté des conventions. Pourvu que les tiers soient dûment avertis, aucun principe de morale ne s’oppose à ce qu’on traite avec eux en limitant sa responsabilité à une somme déterminée, dans l’espèce, au montant des actions souscrites[16].

Il faut seulement examiner pratiquement dans chaque cas le genre de société qui convient à chaque entreprise et se garder de propager dans l’opinion un engouement exagéré pour la forme anonyme. L’expérience récemment faite en Angleterre prouve que le régime de la société en nom collectif (partnership), qui concentre une responsabilité absolue et solidaire sur un petit nombre de personnes, convient mieux aux affaires d’importance moyenne. Telles boulangeries et glacières, qui avaient donné de bons résultats sous ce régime, ont abouti à la faillite, quand elles ont été mises en actions.

On peut surtout regretter qu’en France, depuis la loi de 1867, en Angleterre depuis 1863, la société en commandite par actions disparaisse à peu près de la pratique. C’est une combinaison qui dans certains cas présente de grands avantages au point de vue de la conservation des grandes affaires industrielles dans une famille et de l’autorité réelle des chefs d’entreprise. L’attention des intéressés devrait être appelée sur les ressources qu’elle offre à ce double point de vue[17]. Elles sont de nature à contrebalancer les avantages que l’anonymat leur offre sous le rapport de la limitation de leur responsabilité comme directeurs.

VI. — Il importe d’affirmer la légitimité intrinsèque de la société anonyme ; car elle a été contestée à tort. Malgré des abus, — auxquels une bonne législation peut remédier en partie, — elle est indispensable au point de vue économique ; et surtout elle est dans un rapport étroit avec les nécessités de notre système social démocratique. Il est heureux que certaines grandes entreprises, comme les chemins de fer, les canaux d’irrigation, les assurances de toutes sortes, qui sans cela deviendraient forcément des services publics, soient exploitées par des compagnies par actions. L’ordre social ne gagnerait rien à ce que les 232.000 employés et ouvriers de nos chemins de fer devinssent des fonctionnaires, comme les malheureux cantonniers, qui sont victimes de toutes les vicissitudes de la politique. Même pour la fixation des tarifs, il est utile dans un pays de suffrage universel qu’elle ne soit pas livrée à toutes les influences parlementaires et ne serve pas d’enjeu aux luttes électorales. Tocqueville l’indiquait dès 1836 avec une perspicacité singulière. Un publiciste américain, Ezra Seaman, disait à son tour en 1864, que « les grandes corporations de chemins de fer et de canaux étaient le seul moyen de soustraire à l’action du gouvernement les entreprises les plus importantes, que, par conséquent, elles devaient être regardées comme les boulevards de la liberté contre les empiétements du pouvoir arbitraire et comme une sécurité contre la révolution et l’anarchie[18] ».

La Convention en avait l’intuition, quand, par le décret du 20 germinal an II, elle « défendait à tous négociants, banquiers et autres personnes quelconques de fonder aucune compagnie par actions, sous aucun prétexte et sous quelque dénomination que ce soit ». Deux ans après, la loi du 30 brumaire an IV abrogeait ce décret tyrannique purement et simplement.

Ces considérations sont encore plus vraies pour l’Europe, en 1890. L’État démocratique est de moins en moins disposé à reconnaître des limites à ses droits. Tout ce qu’un Parlement a voté est considéré comme faisant le droit et s’exécute au nom de la loi. Des propriétés particulières d’un caractère très respectable peuvent se trouver atteintes par des confiscations légales et l’ont déjà été. Or, la société anonyme et le titre au porteur échappent dans une large mesure à ces abus de la législation par leur forme juridique et par leur mobilité. Ils offrent aujourd’hui à la propriété et à la liberté des garanties auxquelles on ne saurait porter atteinte sans une grave imprudence.

VII. — Il n’en est pas moins vrai que les sociétés anonymes donnent lieu à des abus considérables dans leur fondation et dans leur administration.

Les fondateurs d’une société anonyme s’attribuent toujours la part du lion. Les parts de fondateur (les defered shares, comme on les appelle en Angleterre), sont en soi fort légitimes, et, sous cette forme, il n’y a rien à objecter aux prélèvements des fondateurs : ils représentent la rémunération légitime de la conception d’une affaire. Mais ces prélèvements s’opèrent la plupart du temps sous forme de majoration des apports en nature, tels que immeubles, brevets d’invention, clientèle[19], ou de frais préalables faits pour la fondation d’une société[20]. Parfois on fonde une société industrielle uniquement pour avoir l’occasion de lui faire des fournitures[21]. D’autres fois, une société déjà existante accroît son capital, sous prétexte d’étendre ses affaires, sans qu’un accroissement proportionnel de bénéfices en soit la conséquence ; on appelle cela, en Amérique, mettre de l’eau dans le capital. Dommageables aux actionnaires, ces majorations frauduleuses du capital sont encore fâcheuses pour l’ensemble des conditions industrielles ; car elles constituent une charge pour l’entreprise et forcent les directeurs à se montrer moins larges envers les ouvriers qu’ils pourraient l’être sans cela. S’il s’agit d’un chemin de fer ou de toute autre entreprise, qui n’est soumise qu’imparfaitement à la concurrence, la majoration du capital tend à maintenir les tarifs à un taux trop élevé[22].

Mais une société par actions ne se fonde pas spontanément. Sa création est le fait d’un certain nombre de personnes, qui ont conçu une affaire et qui y attirent des capitaux en invitant le public à souscrire des actions. Presque toujours les fondateurs ont besoin de l’intermédiaire d’une banque, d’une société financière, qui a une clientèle de capitalistes, c’est-à-dire de gens ayant des épargnes disponibles, à laquelle elle inspire une confiance plus ou moins justifiée. Ces capitalistes généralement ne connaissent pas et ne sont pas à même de connaître les chances de réussite d’une affaire commerciale ou industrielle. Ils s’imaginent que la société financière, qui ouvre ses guichets à la souscription, a fait ces vérifications. Or, malheureusement, il n’en est rien, la plupart du temps.

Sans donner des exemples particuliers, un seul fait éclairera les lecteurs. Il y a dans l’ensemble des affaires des alternatives naturelles de prospérité et de dépression, quelque chose comme le flux et le reflux ; mais ce phénomène naturel est toujours très exagéré par l’entraînement du public. A une certaine période des cycles du crédit, tous les huit ou dix ans peut être, les gens d’affaires et avec eux le public sont pris d’une sorte de vertige qui leur fait engager leurs capitaux avec d’autant plus d’imprudence que l’anonymat limite leur responsabilité.

Un historien de la Banque d’Angleterre, John Francis, a décrit comment, en 1824-1825, une véritable folie s’était emparée de la population et rendait possible la formation des sociétés les plus fantastiques, l’émission des emprunts étrangers les plus problématiques. Le tempérament du public n’a pas changé et chaque fois qu’une nouvelle période d’excitation se produit, les fondations de sociétés se multiplient, tandis qu’elles sont relativement rares dans les époques de dépression. En France, en 1878, année de calme, il s’était constitué 256 sociétés anonymes. Ce chiffre est monté successivement, en 1879, à 511, en 1880 à 797, en 1881 à 976. A partir de ce moment, il suit une courbe décroissante : 738 en 1882, 482 en 1883, 363 en 1884, 325 en 1885, 319 en 1886, 295 en 1887. Une grande imprimerie parisienne, dont la spécialité est d’imprimer des titres de valeurs mobilières, a vu, pendant cette période, ses bénéfices extrêmement réduits. En 1888, une nouvelle période d’expansion industrielle commence et le chiffre des fondations de nouvelles sociétés anonymes remonte à 324. Nous n’avons pas encore les chiffres relatifs aux années 1889 et 1890, mais certainement ils refléteront, par la multiplication des sociétés anonymes, la reprise des affaires.

En Angleterre, en 1886, année de grande dépression, il ne s’était formé que 1.891 joint stock companies ; en 1887, il s’en forme 2.050 ; en 1888, 2.550 ; en 1889, 2.788 ; en 1890, 2.789 ; en 1891 le nombre en diminue sensiblement, car il y a un ralentissement notable dans la spéculation.

Il n’en va pas autrement en Allemagne. En Prusse, après l’ère des milliards, il se fonda, en 1871, 203 sociétés anonymes, en 1872, 478. En 1873, le fameux Krach réduisit le nombre des nouvelles fondations à 162. En 1889, année de reprise, il s’est formé 360 nouvelles sociétés.

La Haute-Banque et les sociétés financières poussent à la multiplication des sociétés anonymes parce que l’émission de leurs actions et la hausse qu’elles en espèrent sont pour elles la source de profits bien supérieurs à ceux des opérations ordinaires de banque. Aux États-Unis[23], comme en Angleterre[24], on a constaté dans ces dernières années que la Haute-Banque était en grande partie responsable de la transformation en sociétés anonymes de nombreuses entreprises, qui auraient très bien pu continuer sous le régime de la propriété individuelle, en partnership ou en commandite.

Les lois française et anglaise[25] n’imposent aucune responsabilité spéciale, en dehors du cas de fraude personnelle ou de manœuvres dolosives[26], aux banques, qui lancent une émission, ni aux journaux qui la recommandent. La loi allemande du 28 juin 1884 a fort justement étendu cette responsabilité. Une banque devra désormais apporter la diligence d’un homme d’affaires soigneux à vérifier les allégations des prospectus qu’elle offre à sa clientèle. Néanmoins, quoique sur d’autres points la loi allemande ait été assez efficace, de 1887 à 1890 la Haute-Banque de Berlin s’est livrée à une campagne sur les actions des mines et des sociétés métallurgiques, qui a eu pour résultat de faire hausser tous ces titres de 100 à 150 pour 100, sans que l’augmentation de leur dividende y correspondît. De lourdes pertes en sont résultées pour la petite épargne qui s’était précipitée dans ces valeurs. Un Krach, presque aussi intense que celui de 1873, a éclaté en novembre 1873 et a fait sauter maints banquiers de second ordre qui avaient suivi aveuglément l’impulsion des grands.

VIII. — Si les journaux ne peuvent pas contrôler les annonces qu’on leur apporte, ils devraient être tenus pour responsables des articles de rédaction qu’ils insèrent et qui leur sont payés à un tout autre tarif. La presse, en effet, joue un rôle considérable dans les affaires financières. Lorsqu’en mars 1888 l’Assurance financière mit en souscription, au prix de 250 fr. l’un, 100.000 bons d’épargne, le traité passé entre M. Boulan et M. Xau, publiciste, fixait à 2.850.000 fr., soit 28 fr.50 par titre ou 11 fr.40 pour 100, les frais de publicité dans les journaux de Paris et des départements[27]. Ce n’est pas évidemment pour des annonces en quatrième page que ces sommes énormes étaient dépensées.

Les plus empressés parmi les journaux à ces trahisons lucratives sont quelquefois ceux dont la spécialité est de faire la guerre aux exploiteurs du peuple, dit spirituellement M. de Foville. Lorsque cent gazettes de couleur diverse, interrompant tout à coup leurs querelles quotidiennes, se mettent à paraphraser à l’unisson le prospectus du jour, les esprits avisés se méfient, mais les naïfs prennent confiance.

Il est grave que des établissements étroitement liés avec le Gouvernement recourent à ces manœuvres. « Je suis le directeur d’un grand établissement financier, écrivait cyniquement le directeur du Crédit foncier ; j’ai besoin de me rendre l’opinion publique favorable et pour cela je paye. » Deux millions par an à titre de mensualités, distribués aux journaux les uns pour se taire, les autres pour louer, cela a paru par trop fort[28].

Les subventions à la presse se sont élevées à 22.014.332 francs depuis la fondation du Crédit foncier jusqu’au 31 mars 1890, dit le rapport de M. Machart.

Elles vont toujours en augmentant et ont atteint 2.000.000 francs pendant chacune des trois dernières années ; encore conviendrait-il d’y ajouter des subventions spéciales, allouées pour toutes les émissions dont s’est chargé le Crédit foncier, bons de l’Exposition, bons à lots. Nous n’avons pas à examiner cette publicité accessoire dont les dépenses n’ont pas été payées au moyen des ressources propres de l’établissement.

Bien peu de feuilles sont restées étrangères à ces subventions et toutes les nuances politiques paraissent avoir été l’objet d’une semblable libéralité. Cette libéralité s’est même étendue à des publications qui n’ont absolument aucun caractère financier et dont le public est aussi restreint que spécial. Les subventions étaient autrefois accordées d’une manière intermittente, lors des émissions ou bien quand il fallait se défendre contre quelque attaque. Puis on a pensé qu’il serait préférable de prévenir les hostilités en s’attachant un grand nombre de journaux par des mensualités permanentes. Deux agents servent d’intermédiaires, l’un pour la presse politique, l’autre pour la presse financière. Ils reçoivent des honoraires fixés à 10 p. 100 de la dépense, qu’ils ont ainsi tout intérêt à augmenter.

Les mêmes scandales se sont produits dans l’affaire du canal de Panama.

Il serait très utile qu’on dressât le compte de toutes les sommes qui ont été allouées à la Presse, dit l’Economiste français du 20 juin 1891. Autant qu’on en peut juger, c’est à un bon nombre de dizaines de millions de francs que montent ces allocations. Jamais on n’a vu un système aussi complet et aussi persévérant de corruption de tous les organes d’un grand pays.

Il n’en va pas autrement en Allemagne. La plupart des journaux sont inféodés à des maisons de banque. La North-deutsche allgemeine Zeitung notamment, qui a été si longtemps l’organe officieux du prince de Bismarck, est la propriété. d’une société de banquiers juifs de Hambourg[29]. A Vienne, on en est réduit à compter les journaux indépendants, c’est-à-dire qui ne sont pas la propriété de maisons de banque israélites.

IX. — Les émissions sont souvent faites par un syndicat de banquiers afin de diviser les chances et surtout d’amortir la concurrence qu’ils pourraient se faire entre eux[30]. Même quand il n’y a pas de syndicat proprement dit, un accord tacite fait que nos principales sociétés financières évitent de s’occuper d’affaires dans un pays étranger sur lequel l’une d’elles a déjà étendu son action. Quand elle a une bonne affaire en mains, elle met, avant la souscription publique, un certain nombre de titres à la disposition des conseils d’administration des autres sociétés.

Souvent, les syndicats financiers se chargent à forfait d’une grande quantité de titres : le public qui se presse à leurs guichets ne les obtient qu’à un prix supérieur. La société, qui fait l’émission en garde la majeure partie dans ses caisses ; elle fait publier que la souscription a été plusieurs fois couverte, en sorte que les titres font immédiatement prime sur le marché et que les financiers les écoulent peu à peu à des prix de plus en plus élevés.

Les opérations du Crédit général français, fondé en 1872 par le baron d’Erlanger, sont un des exemples les plus saisissants de ces manœuvres des syndicats. Une trentaine de sociétés ont été fondées par ce financier de 1872 à 1880 sous le couvert du Crédit général français et bon nombre d’entre elles ont donné lieu à des débats judiciaires prolongés. Telle a été entre autres l’affaire des Réassurances générales, qui a été plaidée successivement devant les Cours de Paris et d’Orléans. On y voit que le petit groupe des souscripteurs primitifs ou fondateurs, qui, en 1879, s’étaient partagé 70.000 actions, n’en avaient plus que 6.659 en 1880 et 1.900 seulement au jour de la liquidation.

Le cours des actions du Crédit général français a été faussé à plusieurs reprises par des manœuvres qu’un arrêt de la Cour de Paris du 8 mars 1887 a décrites en ces termes :

Considérant que, lors de la première augmentation du capital, un syndicat s’est formé sous la direction de d’Erlanger et d’un membre du conseil d’administration du Crédit général français pour l’écoulement sur le marché des 62.708 actions nouvelles souscrites chez les prévenus et que la liquidation de ce syndicat a procuré un bénéfice de 112 fr. 25 par action ; considérant qu’à la suite de la seconde augmentation un second syndicat a été constitué sous la même direction pour le placement des 75.763 actions appartenant aux clients d’Erlanger et des frères Berthier, et qu’après la vente des titres chaque action a bénéficié de 90 francs ; considérant que le 14 septembre 1881 un troisième syndicat portant sur 30.000 titres a été organisé par les frères Berthier, qu’il a pris fin le 30 septembre, laissant un avantage de 1.505 fr. 25 à chacune des 300 parts qui le composaient ;

Considérant enfin que le 21 septembre de la même année un dernier syndicat, ayant à sa tête les trois prévenus, a été constitué dans le but d’acheter et de revendre 50.000 actions pour soutenir les cours ;

Qu’au mois d’octobre le Crédit général français, qui servait d’intermédiaire à ce syndicat, comme aux trois autres, en a repris pour son compte les opérations, puis qu’au mois d’avril 1882 les prévenus sont replacés dans leur position primitive en remettant au Crédit général français, en remboursement de ses avances s’élevant à près de 14 millions et demi, une somme de deux millions environ en espèces, un certain nombre de titres et de créances ;

Considérant que les plaignants relèvent : — 1° l’achat pour le compte du Crédit général français, en 1880, 1881 et 1882, d’une certaine quantité d’actions industrielles actuellement dépréciées provenant de la participation d’Erlanger et Berthier frères ; — 2° la remise faite en avril 1882 par les trois prévenus au Crédit général français en paiement de ses avances au sujet du syndicat, dit des 50.000 titres, de valeurs aujourd’hui mauvaises et de créances devenues irrécouvrables…

La Cour a d’ailleurs acquitté les prévenus pour divers motifs, notamment parce que les opérations critiquées étaient l’œuvre du conseil d’administration tout entier agissant dans la sphère de ses attributions statutaires et étaient susceptibles seulement de donner lieu à des réparations pécuniaires[31].

En Angleterre, le rôle de ces syndicats malfaisants est rempli par des Shares trust Campanies, qui, sortant de leur rôle naturel (§ 1) et sous prétexte d’offrir à leurs actionnaires une capitalisation moyenne de certains genres d’entreprises, favorisent la formation de nouvelles compagnies, en prenant à l’émission une partie notable de leur capital et en s’efforçant d’écouler le reste dans le public[32].

Cependant, ces manœuvres ne réussissent pas toujours, et nos grandes sociétés financières sont toutes chargées de gros paquets de titres qu’elles ne pourraient réaliser sans déprimer les cours et qui immobilisent dangereusement leurs ressources.

Dans la liquidation du Crédit général français, on trouve 4.319 actions des Aciéries de France ; en décembre 1890, le liquidateur les vend en bloc à 925 francs. Ce titre, qui avait été poussé à 1.400 tombe à 1.000. On trouve encore, dans le portefeuille de cette même société, 12.967 actions de la Société immobilière, 7.166 actions des Plâtrières du bassin de Paris, 1.425 actions des Tramways de Saint-Etienne. La Société immobilière, une de ces sociétés de spéculation sur les terrains dont nous avons parlé (chap. iv. § 12), avait 13.000 actions ; 33 seulement étaient dans les mains du public en décembre 1890 et la société a fonctionné quand même pendant des années !

X. — Souvent, une fois la société lancée, les fondateurs se dérobent et la font gérer par un directeur, qui est en réalité, un simple salarié, par des conseils d’administration composés de leurs créatures ou d’hommes absolument incompétents. Un des plus tristes traits des mœurs contemporaines est la facilité avec laquelle des hommes politiques et des personnes ayant un titre nobiliaire acceptent d’être membres d’un conseil d’administration sans y apporter compétence ni travail, uniquement pour toucher des jetons de présence et recueillir les menus profits que leur abandonnent les vrais chefs de l’affaire.

Sénateurs et députés de droite, de gauche, du centre, écrivait M. P. Leroy-Beaulieu en 1879, se jettent sur les sociétés financières comme sur une proie : le titre d’ancien ministre vaut une place de président de conseil d’administration : le commun des députés et des sénateurs devient simplement administrateur. Ils sont bien deux ou trois cents dans ce cas, cherchant à se tailler quelque sinécure assez maigre par les profits directs qu’elle donne, mais que l’on espère devoir être plus productive par les profits indirects, émissions à primes, participations dans les syndicats[33].

Depuis les nouvelles législatures, sénateurs et députés ne se montrent pas moins friands de ces positions. Ces mœurs là ne sont du reste point particulières à la démocratie française. En Angleterre, les membres de la Chambre des Communes qui font partie des sociétés anonymes sont fort nombreux, ce qui s’explique par le fait que le Parlement se recrute en majorité dans la classe industrielle et commerçante et non pas, comme chez nous, presque exclusivement parmi les avocats. La même raison n’existe pas pour les Pairs ; or l’Economist, dans son numéro du 26 juillet 1890, a pu établir que sur 508 membres de la Chambre des Lords, déduction faite de la famille royale et des lords spirituels, 87 étaient, à la fin de 1888, directeurs de sociétés anonymes ; 23 d’entre eux figuraient dans 122 conseils d’administration ; 16 fils de pairs se partageaient entre 103 compagnies. Quelques-uns ne figurent que dans des compagnies sérieuses ; mais beaucoup ont comme une spécialité d’administrer des sociétés qui ne paient pas de dividende ! Le public ne veut pas être guéri du snobisme, qui lui fait croire qu’une société offre des garanties, parce qu’il y a dans son conseil un certain nombre de sénateurs, de lords, de députés, de ducs, d’anciens ministres[34]. C’est ce qui devrait, au contraire, le mettre en garde ; car ce ne sont point des personnes de cette catégorie sociale qui fondent les affaires commerciales et industrielles. Or, quand une affaire est de premier ordre, les vrais fondateurs la gardent pour eux et n’appellent pas bénévolement des étrangers à en partager les profits. Lorsqu’il en est autrement, l’habileté des fondateurs consiste à réaliser leur bénéfice tant que la société vit d’espérances, puis à s’effacer derrière ce conseil de parade et à le laisser seul aux prises avec de redoutables responsabilités le jour où l’affaire tourne mal.

Même dans les affaires les plus sérieusement conduites, un seul gros actionnaire peut être le maître de fait d’une société, sans en avoir la responsabilité personnelle.

Nous possédons en France, dit un écrivain très expert en ces sujets, M. Alf. Neymarck, un très beau groupe d’institutions de crédit de premier ordre, de grandes compagnies industrielles et commerciales magnifiquement ordonnées… Ce sont de grandes associations, de vastes agrégations d’intérêts, de capitaux, de forces actives : de par la loi et leurs statuts, elles sont des sociétés anonymes. Eh bien ! dans la réalité elles sont aussi peu anonymes que possible. Ce que l’on voit surtout en elles, derrière elles, parfois au-dessus d’elles, c’est le nom d’un fondateur habile, d’un administrateur éprouvé, d’un directeur compétent et autorisé, d’un organisateur remarqué et connu. [fin page176-177]

Ce qui est plus grave, c’est que la plupart de nos grands financiers constituent des sociétés de crédit qui leur servent de paravent et auxquelles ils ne confient que leurs affaires les moins lucratives, parfois celles qui sont douteuses[35].

Très souvent, les mêmes personnes font partie des conseils d’administration de plusieurs sociétés et sacrifient les intérêts de l’une à ceux de l’autre. Aux États-Unis, des chemins de fer ont été absorbés indûment par d’autres compagnies au moyen de ce procédé. En France, le Comptoir d’escompte a été précipité dans la ruine de la Société des métaux, parce que les directeurs de cette affaire figuraient dans son conseil d’administration et y avaient une influence prépondérante.

Il y a tout un ensemble de manœuvres que nous étudierons en détail quand nous exposerons le mécanisme de la Bourse, et qui ont pour résultat de faire monter arbitrairement les actions d’une société. Des procès retentissants ont, dans ces dernières années, mis à nu la pratique si fréquente des dividendes fictifs. Le contrôle n’existe pas en réalité dans les sociétés anonymes : tout est aux mains du directeur, de l’administrateur délégué, du président du conseil d’administration, selon les cas.

On a dit que la société anonyme était une république financière. C’est vrai en théorie, mais complètement faux en pratique. L’assemblée des actionnaires, qui ne se réunit qu’une fois par an ou sur un ordre du jour fixé à l’avance, en cas d’assemblée extraordinaire, n’est composée généralement que des porteurs d’un certain nombre d’actions, et les voix sont proportionnelles au nombre des actions. Les directeurs effectifs de la société la mènent absolument, tant que la ruine n’est pas menaçante[36]. Les bilans présentés aux actionnaires sont établis de telle sorte que les intéressés n’y peuvent rien voir. L’habitude s’est introduite dans les bilans des banques et des grandes sociétés de crédit de dissimuler aux actionnaires certaines opérations sous la rubrique comptes spéciaux. Dans le bilan du 31 janvier 1889, les comptes spéciaux du Comptoir d’escompte montaient à 87 millions, chiffre égal à tout son capital, à deux millions près. C’est sous cette étiquette que se cachaient les opérations anti-statutaires faites par son directeur avec la Société des métaux. Un examen attentif de toutes les pièces de comptabilité serait nécessaire pour découvrir des fraudes de ce genre ; mais les censeurs et les vérificateurs des comptes sont désignés à l’avance par le conseil d’administration lui-même et sont la plupart du temps absolument incompétents. L’actionnaire, qui pose des questions à l’assemblée, s’il n’est pas un compère, est infailliblement roulé par le directeur, qui seul connaît réellement l’affaire[37].

Au sein des conseils d’administration, souvent, les choses vont de même. On en a eu un exemple incroyable dans l’affaire du Comptoir d’escompte. Le président du conseil d’administration, M. Hentsch, un banquier expérimenté, interrogé par le président du tribunal correctionnel, qui s’étonnait de ce que les rapports lus aux séances du conseil par le directeur, Denfert-Rochereau, ne lui eussent pas ouvert les yeux sur le péril couru par le Comptoir, répondait sans sourciller : « Oui, mais ces rapports étaient préparés d’avance par le directeur, et, comme ils n’étaient pas palpitants d’intérêt, on en écoutait la lecture d’une oreille assez distraite ! »

C’est ainsi que, malgré l’observation des formalités légales, se produisent ces distributions de dividendes fictifs, ces doublements de capital en imputant sur de prétendues réserves les versements des nouvelles actions, ces achats d’actifs ou d’immeubles à des prix frauduleux, qui se sont produits dans les sociétés anonymes, depuis les compagnies de Law jusqu’à la Société des métaux, avec une répétition des mêmes procédés, qui devrait servir de leçon aux actionnaires.

En France, on y met au moins des formes. Aux États-Unis, on n’en met aucune et les affaires des sociétés anonymes sont conduites par leurs directeurs avec un secret absolu sous prétexte que, s’ils rendaient compte aux actionnaires des affaires sociales, ils mettraient leurs rivaux sur la voie pour leur faire concurrence[38]. Tantôt ils sacrifient absolument les intérêts des actionnaires, qui ne reçoivent rien ; tantôt ils distribuent des dividendes fictifs pour faire hausser les actions et réaliser des coups de bourse aux dépens du public.

Le Président de la compagnie gouverne despotiquement et fait souvent passer ses intérêts avant ceux de ses actionnaires. Sa comptabilité est entourée de mystères : elle est tout autre dans la réalité que sur le papier. Le Baltimore and Ohio, avec un surplus nominal de 56 millions de dollars, a dû se déclarer incapable de tenir ses engagements.

Les manœuvres des railway men prennent toutes les formes. Jay Gould a payé de sa poche les intérêts du Wabash jusqu’au jour où il a vendu très cher toutes les actions aux Anglais. C. P. Huntingdon a payé 6 p. 100 de dividende sur le Central Pacific dans le même dessein. On suppose que les grands potentats des chemins de fer ont profité de la déroute actuelle pour acheter des paquets d’actions et se rendre prépondérants dans des compagnies qu’ils fusionneront à leur gré[39].

XI. — N’oublions pas cependant que le fonctionnement de beaucoup de sociétés est irréprochable. Il en est d’elles comme des honnêtes femmes : on n’en parle pas. La science juridique fournit d’ailleurs le moyen de diminuer ces abus. Des spécialistes éminents s’en sont occupés, notamment dans un congrès réuni à Paris pendant l’exposition universelle de 1889. Après eux, nous signalerons les principaux points sur lesquels l’attention du législateur doit se porter :

1° Notre loi de 1867 a multiplié à l’excès les nullités. La plupart ne sont pas justifiées et sont des armes données à la mauvaise foi. C’est bien plutôt dans la responsabilité effective imposée aux fondateurs, comme l’ont fait la loi allemande de 1884 et la loi belge de 1886, qu’il faut chercher des garanties pour les tiers.

2° Faut-il élever le chiffre minimum de 500 francs fixé aux actions, si ce n’est dans le cas de société à capital variable ? En Allemagne on l’a fait[40] ; mais en Belgique on a justement pensé que la forme anonyme convenait également à de petites sociétés et qu’il ne fallait pas en faire un privilège de la richesse. Les Anglais ont des actions d’une livre sterling ! Au moins il faut absolument exiger qu’une action ne puisse être au porteur que quand elle est complètement libérée, au lieu de se contenter du versement de la moitié, comme le fait la loi actuelle. Le Code de commerce italien de 1882 ne permet l’action au porteur que si elle est complètement libérée.

3° La loi allemande du 28 juin 1884 a pour la première fois essayé de donner une définition juridique de cette expression de fondateur, Grunder, qui tient une si grande place dans les débats politiques et économiques de ce pays. « Sont considérés comme fondateurs les actionnaires qui ont arrêté les statuts ou qui font des apports en nature. » Ils doivent être au nombre de cinq au moins. Ils sont solidairement responsables vis-à-vis de la société de l’exactitude des indications concernant la souscription et les versements ainsi que des déclarations contenant les apports et avantages stipulés à leur profit. Ils doivent compléter les versements manquant pour parfaire le capital, lorsqu’ils ont admis sciemment des actionnaires insolvables. Cette responsabilité dure de plein droit pendant les cinq premières années de la fondation de la société. Au bout de trois ans toutefois, une assemblée générale peut les en décharger.

La loi belge de 1886 déclare également les fondateurs ainsi que les administrateurs et commissaires responsables solidairement, nonobstant toute stipulation contraire, de tous les engagements sociaux contractés jusqu’à ce que la société ait sept membres au moins, de toute la partie du capital qui n’aurait pas été souscrite, de toutes les nullités résultant d’un vice dans l’acte initial de constitution et des énonciations fausses qui y seraient contenues.

4° La vérification des apports et l’examen des comptes, avons-nous dit, sont, en fait, purement illusoires. La loi allemande en confie l’examen, dans certaines conditions, à des reviseurs désignés par la chambre de commerce et un juge du tribunal de commerce préside la première assemblée générale. L’intervention d’un tribunal, quand il n’y a pas de débat contradictoire, est sans doute contraire aux principes juridiques. Néanmoins la dernière crise a montré que les sociétés anonymes étaient plus solides grâce à cette disposition de la loi. Le congrès de 1889 a proposé de confier ce double examen à des experts nommés par le tribunal. La pratique des Anglais a le mieux résolu la difficulté, non pas pour la vérification des apports, qui reste sans garantie, mais, pour celle des comptes. Il s’est formé spontanément, depuis 1870, une corporation de comptables offrant la garantie d’une compétence et d’une capacité professionnelles éprouvées, à laquelle le Parlement, par un acte du 11 mai 1881, a donné le privilège, — le seul absolument, — de s’intituler Chartered accountants of the United Kingdom. Les sociétés, qui veulent agir loyalement, s’adressent à eux. Un acte voté en 1890 (the Companies winding up act) a augmenté le contrôle du pouvoir judiciaire en ordonnant qu’au cas où la liquidation d’une compagnie serait demandée par un créancier ou un actionnaire, elle serait provisoirement mise sous le séquestre d’un offi­cial receiver et que toutes les parties en cause seraient interrogées par un juge en audience publique[41].

Aux États-Unis, l’opinion des jurisconsultes les plus autorisés est que le principal remède à apporter aux fraudes commises dans le fonctionnement des sociétés par actions serait l’obligation d’une publicité fréquente et détaillée de leurs bilans et une inspection de leurs écritures par des fonctionnaires professionnels spéciaux. Ce système existe déjà pour les banques nationales de par la législation fédérale et pour les banques ordinaires par actions et les sociétés diverses d’assurances de par la législation de la plupart des États[42]. Le privilège d’une responsabilité limitée que ces sociétés demandent à la législation autorise à leur demander en échange le sacrifice du secret de leurs affaires auquel tout individu a naturellement droit. Des réformes juridiques en ce sens ne suffiraient pas assurément à prévenir tous les abus, car partout il faut compter avec la corruption des inspecteurs officiels : — quis custodiet custodes[43] ? — Néanmoins, c’est toujours beaucoup que de restreindre le champ de la fraude et de l’acculer, si elle veut se donner carrière, soit au faux matériel, soit à la corruption formelle des fonctionnaires publics. Beaucoup de nos financiers les moins scrupuleux reculeraient devant des actes aussi nettement définis par le Code pénal.

5° Pour éviter la prépondérance absolue d’un gros actionnaire dans le gouvernement des sociétés anonymes, la loi allemande donne une voix à toute action, nonobstant les clauses contraires des statuts. Ce qui est plus efficace, c’est qu’une minorité représentant le dixième des actions peut obtenir la révision judiciaire des comptes votés par l’assemblée générale. Il serait sage de s’en tenir à ce droit donné à la minorité. L’égalité du suffrage, quel que soit le nombre des actions, serait contraire au principe même d’une association de capitaux et donnerait lieu à des abus très grands.

6° Il conviendrait de défendre sinon l’émission d’obligations, au moins l’augmentation du capital, tant que le montant des actions n’est pas complètement versé. Il est absolument coupable d’émettre de nouvelles actions, quand les premières ne sont pas libérées, — ou si elles ne le sont que par des jeux d’écritures, par l’attribution de bénéfices non réalisés et consistant uniquement dans les plus-values basées sur des cours de bourse provoqués par les manœuvres des syndicats. Ce fut une des grandes fautes de Law en 1720 et des directeurs de l’Union générale de nos jours. Il faut absolument l’interdire : la loi allemande y a très bien pourvu et a coupé court à la plus part des fraudes par lesquelles des fondateurs habiles essayaient d’arriver à ce résultat.

Quant aux obligations, la question est plus délicate. Il peut y avoir des cas dans lesquels, par suite de l’amélioration des conditions du crédit, une société a avantage à émettre des obligations en gardant comme réserve le droit d’appeler une partie de son capital. Si on voulait l’interdire, il faudrait au moins faire une exception pour les sociétés de crédit foncier, qui doivent couvrir leurs prêts par des émissions d’obligations et dans lesquelles le capital sert uniquement de garantie.

Le Congrès de 1889 n’a pas cru pouvoir établir une proportion fixe entre le capital-actions et celui demandé aux obligations. On tomberait dans l’arbitraire.

7° Beaucoup de législations se sont préoccupées, sans y parvenir, de sauvegarder les droits des obligataires. On ne peut les introduire et leur donner le droit de vote dans les assemblées générales ; mais des garanties spéciales de contrôle devraient être assurées à des comités d’obligataires.

8° Le rachat de leurs actions par les sociétés anonymes devrait leur être interdit et considéré comme un délit pour les administrateurs, à moins que le rachat n’ait lieu en vertu d’une délibération de l’assemblée générale y employant des bénéfices acquis et à la condition que ces actions soient immédiatement annulées. La faute inexcusable de l’Union générale a été d’avoir spéculé sur ses propres actions. Il faut défendre aussi aux sociétés de faire des avances sur leurs actions, de les prendre en report ou de les faire reporter.

9° La distribution de dividendes fictifs est un délit propre aux sociétés anonymes. Les directeurs, qui ont par devers eux de gros paquets de titres, sont intéressés à distribuer de larges dividendes de manière à faire monter le cours des actions et à les écouler à la Bourse. La baisse qui survient ensuite les laisse indifférents. Il y a là un délit que toutes les législations punissent sévèrement, quand il est suffisamment caractérisé. Mais il ne l’est pas toujours parce que l’évaluation des éléments de l’actif d’une société, d’une banque, par exemple, peut donner lieu à bien des appréciations diverses et la loi ne peut punir le fait d’avoir distribué des dividendes qui sont seulement exagérés. Or, il y a dividendes exagérés quand on ne constitue pas des réserves suffisantes, qu’on n’amortit pas le capital selon les conditions particulières à chaque nature d’industrie, voire à chaque établissement[44]. Sur ce point les actionnaires ne doivent évidemment compter que sur eux-mêmes ou plutôt sur la sagesse et l’honnêteté des directeurs de l’affaire. Malheureusement, chaque actionnaire en particulier semble avoir un intérêt contraire à celui de la société, à savoir d’écouler ses titres avec bénéfice à la faveur d’un dividende élevé. C’est là le point irrémédiablement faible des sociétés anonymes, celui sur lequel l’attention des personnes qui souscrivent ou achètent des actions doit être incessamment éveillée.

10° La distribution de dividendes, alors qu’il n’y a pas encore de bénéfices acquis, ne devrait-elle pas au moins être interdite comme une diminution détournée du montant des actions ?Il faut d’une part la niaiserie des actionnaires, de l’autre le désir des fondateurs de pousser à la hausse pour se livrer à une pratique aussi déraisonnable. En Angleterre, un acte spécial du Parlement est nécessaire pour l’autoriser. En France, elle se produit librement et c’est elle, on peut le dire, qui a rendu si désastreuse la catastrophe du Panama pour la petite épargne. Jamais, sans l’appât des 15 millions qu’elles ont touchés du 9 décembre 1880 au 15 décembre 1888, les 600.000 actions n’auraient été souscrites par des personnes incapables de contrôler la manière dont l’affaire était conduite. Jamais non plus les actions ne seraient montées à 575 francs (cours du 5 janvier 1882), au grand profit de ceux qui ont su les écouler dans ces cours-là, en réalisant un bénéfice de 75 francs par action. Toutefois il faut se rappeler que le Suez et tous nos grands chemins de fer ont distribué des dividendes pendant la période de construction.

11° Une question délicate est celle des facilités données aux sociétés anonymes étrangères de fonctionner chez nous dans des conditions moins rigoureuses que celles imposées à nos sociétés. L’affaire de l’Union sardinière, celle des Grands Magasins, deux sociétés anglaises, ne sont pas encore oubliées.

12° Les réformes que nous venons d’indiquer portent sur les conditions de formation et de fonctionnement des sociétés anonymes au point de vue du droit civil. Une autre réforme est réclamée par les criminalistes, qui ont été à même de constater l’impuissance des tribunaux répressifs en face de fraudes et d’escroqueries patentes. Elle consisterait à faire courir la prescription de trois ans, quand il s’agit de délits commis en matière de sociétés anonymes, non pas à partir de la perpétration de l’acte délictueux, mais à partir de sa constatation. En effet, les financiers véreux, qui commettent ces fraudes, peuvent presque toujours soutenir ces affaires à la Bourse pendant les trois ans nécessaires pour prescrire l’action publique. C’est pour eux uniquement une affaire de millions et c’est là une des causes pour lesquelles la justice se montre si inégale pour les vols commis sur de larges proportions et ceux commis sur de petites[45].

XII. — L’Italie en 1882, l’Allemagne en 1884, la Belgique en 1886, le Portugal en 1888 ont remanié leur législation sur les sociétés anonymes pour la mettre au courant de la science et de la pratique judiciaire, en sorte que les lois de ces pays sont actuellement bien supérieures à notre loi de 1867. L’acte anglais de 1890 sur la liquidation forcée des sociétés, en favorisant les investigations de la justice sur le fonctionnement des sociétés qui ont tourné à mal, assure indirectement une répression possible des agissements coupables de leurs directeurs et fondateurs. Il n’est pas jusqu’au gouvernement provisoire du Brésil qui n’ait fait en cette matière des réformes utiles. Nous devons regretter que la France, qui avait été la première à élaborer la législation spéciale comportée par les sociétés par actions, reste aujourd’hui en arrière de tous les pays.

Sans doute, même avec les réformes que nous venons d’indiquer, bien des abus pourront encore se produire ; mais c’est le devoir du législateur de poursuivre la fraude pied à pied sous les formes diverses qu’elle prend suivant les temps et de ne s’arrêter qu’au point où, en voulant réprimer tout le mal, il empêcherait le bien de se faire ; car le bien a besoin tout le premier de la liberté.

XIII. — Il faut aussi qu’un travail d’opinion se fasse et enseigne aux capitalistes qui engagent leurs fonds dans une société par actions que la limitation légale de leur responsabilité pécuniaire vis-à-vis des créanciers de la société ne les dispense pas des devoirs d’honnêteté et de justice résultant de la coopération volontaire à une entreprise. Or, quelle coopération est plus volontaire que l’apport de ses capitaux à une entreprise ?

Il est aussi immoral de souscrire ou d’acheter des actions d’une grande maison de jeu, du casino de Monte Carlo, par exemple, ou d’un journal pornographique, que de louer sa maison pour l’exploitation de la débauche. Cette responsabilité existe au même titre pour les obligataires.

Les actionnaires ont en outre le devoir de choisir pour administrateurs et directeur des hommes honnêtes qui ne se livrent pas, dans la gestion de leur affaire, à des actes d’improbité commerciale ou qui n’abusent pas d’une position locale prépondérante pour réduire abusivement le juste salaire des ouvriers. Le mandant ne peut en effet échapper à la responsabilité des actes de son mandataire ni se désintéresser de son choix. En un mot, les actionnaires doivent user de leurs droits actuels dans les assemblées générales et de ceux que pourraient leur attribuer des réformes législatives (§ 11), aussi bien pour surveiller l’accomplissement effectif de leurs obligations morales que pour veiller à la défense de leurs intérêts.

C’est à peine si ces notions élémentaires de morale commencent à être affirmées. Leur propagation rencontre une résistance sourde dans la routine et dans une cupidité égoïste, et cependant le jour où les actionnaires honnêtes sauraient se concerter, fussent-ils une minorité, pour remplir leurs devoirs, ce jour-là une grande sauvegarde serait apportée à leurs intérêts matériels. Chacun, en effet, aurait mieux la notion de sa responsabilité. [fin page188]

  1. C’est là au moins ce qu’étaient à l’origine les Share Trust Companies. On a fondé dans ces dernières années, sous ce nom, des sociétés destinées à faire des campagnes de hausse au Stock Exchange (chapitre ix, § 13).
  2. V. A. Raffalovich, Journal des Economistes, avril 1891. La Banque de Paris et des Pays-Bas est le seul de nos grands établissements de crédit à, ne pas recevoir de dépôts en comptes courants du public.
  3. L’annuité est l’obligation, debenture, remboursable par tirages au sort.
  4. V. un passage de Stracha, Decisiones Rotæ Genuæ de mercatura (Colon., 1622), decis. XIV, n° 85, cité par Frignet, Histoire de l’association commerciale (Guillaumin, 1868), p. 89. Les obligations sur la Généralité ou les diverses provinces unies étaient, à la volonté du souscripteur, des rentes nominatives ou au porteur. V. Traité général du commerce, par Samuel Ricard (4e édit., 1721), dernière partie, p. 60. Au xviiie siècle, les obligations de la Compagnie des Indes Orientales furent munies de coupons à détacher par le porteur. V. Pringsheim, Wirthschaftliche Enwickelungsgeschichte der vereinigten Niederlande (Leipzig, 1890), p. 61.
  5. V. A. Courtois, Histoire des Banques en France (2e édit. Guillaumin, 1881), pp. 14 et 16.
  6. L’Union générale n’a jamais eu que des actions nominatives. Quand son directeur la lança dans un jeu insensé sur ses propres actions, il essaya à plusieurs reprises d’étrangler le découvert en retardant les opérations de transfert des actions. Les conséquences de la catastrophe furent d’autant plus graves que tous les acheteurs successifs de ces titres se sont trouvés responsables des versements non effectués. C’est donc à tort que l’article Bœrse, dans le Staatslexikon de la Gœrresgesellschaft (Herder, Freiburg), soutient que le titre au porteur favorise particulièrement l’agiotage.
  7. Notamment dans l’État romain sous Paul IV, 1555 à 1559. V. Straccha, Decisiones rotæ Genuæ, decis. XIV, nos 5, 6, 83, 85, 133.
  8. Quelques-unes de ces compagnies étaient des commandites par actions plutôt que des sociétés anonymes proprement dites. V. Savary, Dictionnaire du commerce (1re édit. 1675), ve Compagnies. Pour éviter toute méprise, il faut bien faire attention que, dans notre ancienne jurisprudence, on donnait le nom de société anonyme aux affaires en participation et aux commandites simples sans raison spéciale. V. Troplong, du Contrat de société, t. I, p. 425.
  9. En 1831, le Parlement, ne pouvant suffire à l’examen des demandes de chartes qui lui étaient adressées, autorisa la Couronne dans certains cas à les accorder. Un acte de 1855 détermina les conditions générales auxquelles la Couronne accorderait ces chartes comportant la limited liability. Enfin un acte de 1862, remplacé en 1867 par un plus complet, a supprimé cette formalité et permis aux sociétés limited de se former directement aux conditions de la loi. Néanmoins le Parlement est toujours appelé à donner des chartes aux compagnies, qui se forment pour l’exécution de travaux publics, parce qu’il faut leur concéder le droit d’expropriation et fixer les tarifs maxima qu’elles peuvent percevoir. Cela l’amène indirectement à régler, parfois contrairement au droit commun, des points de leur organisation intérieure et alors quand les compagnies veulent changer leurs statuts, elles sont obligées de demander au Parlement une modification à leur charte. La même chose se produit aussi en France, mais beaucoup plus rarement.
  10. Pour des raisons spéciales, les compagnies d’assurances sur la vie doivent obtenir l’autorisation du Conseil d’État, qui vérifie l’exactitude de leurs tarifs, mais ne garantit nullement leur succès financier. Le public ne peut malheureusement comprendre cette distinction. Une société d’assurances, le Crédit viager, étant tombée en faillite à la suite d’une mauvaise administration, les actionnaires ruinés ont adressé récemment au Gouvernement une pétition pour lui demander de les indemniser !
  11. Proudhon, Manuel du spéculateur à la Bourse (3e édit., 1857), pp. 446, 447. V. la plaidoirie de Berryer dans l’affaire du Crédit mobilier.
  12. En Amérique, dans quelques États où le mouvement économique est peu développé, il faut encore obtenir de la législature une charte d’incorporation pour constituer une société anonyme. C’est du reste une affaire de pure forme. Dès 1811, le grand État de New-York posa le principe que toute société industrielle pourrait se constituer sans responsabilité personnelle en remplissant les formalités légales. En 1837, ce principe fut appliqué aux sociétés de banque. V. Gibbons, the Banks of New-York, their dealers, the clearing house (New-York, 1859), p. 13. Depuis lors, il s’est généralisé et a été adopté par la grande majorité des États.
  13. V. the Economist, 23 mai 1891. Adam Smith, Richesse des nations, liv. V, chap. i. Le Play, la Réforme sociale, chap. xliv et chap. xlv, § 10. Sur les causes diverses qui poussent aux États-Unis à la transformation en sociétés anonymes des entreprises privées, V. the Nation du 24 juillet 1890.
  14. Depuis un an un certain nombre de banquiers particuliers se sont mis à publier régulièrement leurs bilans, précisément pour faire cesser cette infériorité vis-à-vis des Joint stock banks. Cette pratique se généralisera sans doute de plus en plus. V. The Economist, 19 décembre 1891.
  15. Au 31 mars 1890, il y avait, dans les Indes anglaises, 895 Joint stock companies avec un capital payé de 22.998.000 liv. st. The Economist, 13 décembre 1890.
  16. Dans le prêt à la grosse aventure, le prêteur n’a pour gage que les effets (navire ou chargement) sur lesquels le prêt a été fait (art. 324 du Code de commerce).
  17. V. the Economist, 25 octobre et 25 décembre 1890. En 1887, sur 4285 sociétés commerciales, qui se sont constituées en France, il y a eu 3.114 sociétés en nom collectif, 734 sociétés en commandite, dont 94 par actions, et 294 sociétés anonymes. Les 141 autres sociétés étaient des sociétés à capital variable. En 1849, sur 1.950 sociétés commerciales, il y en avait 182 en commandite par actions. Pour l’Angleterre, V. un mémoire de M. Leone Levi dans le Journal of statistical society de juin 1886.
  18. De la démocratie en Amérique, t. III, 2e partie, chap. vii, Rapport des associations civiles et des associations politiques. — Essays on the progress of nations, t. II, New-York, 1868, p. 24.
  19. Le Paris-Capital, au mois de novembre 1891, a publié le tableau suivant de la situation de dix sociétés industrielles, d’où il ressort avec évidence que les pertes infligées aux souscripteurs ont pour cause la majoration du prix de vente d’immeubles, clientèle, matériel payé avec les deniers de la société, au lieu de l’être avec des actions d’apport ou des parts de fondateurs.
    Dénomination Capital
    Francs
    Apports
    francs
    Cours de l’action
    500fr. en 1891
    Prix
    d’émiss.
    Perte
    pour le public
    Agence Havas 8.500.000 7.000.000 430 650 3.740.000
    Établissements Decauville 20.000.000 11.500.000 430 500 9.200.000
    Ciments français 22.000.000 19.000.000 205 500 12.980.000
    Société de laiterie 12.500.000 11.000.000 238 525 7.175.000
    Navigation-Havre-Paris-Lyon 16.000.000 13.720.000 387,50 515 4.080.000
    Cirages français 8.000.000 7.000.000 470 500 480.000
    Plâtrières de Paris 24.000.000 20.822.000 17 650 30.384.000
    Briqueteries de Vaugirard 14.600.000 11.177.500 300(env.) 500 5.840.000
    Société générale des Téléphones 25.000.000 8.650.000 365 500 6.750.000
    Établissement Omer Decugis 5.000.000 4.500.000 100 500 4.000.000
    Total Fr. 84.629.000

    En dix affaires commerciales ou industrielles mises en actions, le public a perdu plus de 84 millions !

  20. En 1880, la Société civile internationale, qui avait obtenu des États-Unis de Colombie la concession du canal de Panama, rétrocéda, avant d’avoir fait aucun travail, ses droits à la Compagnie universelle du canal interocéanique, moyennant 10 millions, qui lui furent payés moitié en espèces, moitié en actions libérées.
  21. Sur les collusions qui, dans l’affaire du canal de Panama, ont été commises avec les entrepreneurs des travaux, V. l’Economiste français, 20 juin 1891.
  22. Henri George, Progress and Poverty (New-York, 1881), liv. III, chap. iv, of spurious capital and of profits often mistaken for interest, pp. 172-175. — V. aussi, dans the Economist du 13 juillet 1889, l’article intitulé the Wattering of railway stocks as affecting railway rates. Une fraude en sens inverse, et qui, dans ces dernières années, a été très fréquente en Angleterre dans la constitution des compagnies pour l’exploitation des mines d’or de l’Afrique australe ou de l’Inde, consiste à fonder la société avec un capital insuffisant. Il est absorbé presque tout entier par l’acquisition des terrains miniers. La compagnie ne pouvant pas fonctionner, on la réorganise au bout d’un an ou deux, c’est-à-dire qu’on la met en liquidation et que l’on transfère son actif à une nouvelle compagnie moyennant un tant pour cent payé aux actionnaires de la première heure, qui sont ainsi dépouillés au profit des vendeurs des terrains et des habiles réorganisateurs de l’affaire. V. the Economist, 10 janvier 1891, Mining speculation, et 30 mai 1891, the Ethics of mining reconstruction.
  23. Voy. the Economist, 10 décembre 1887 et 14 janvier 1888.
  24. Ce mouvement s’accuse par des chiffres considérables. En avril 1884, il y avait en Angleterre 8.692 joint stock companies ayant un capital payé total de 475.551.294 liv. st. En avril 1891, leur nombre était de 14.873, avec un capital payé de 891.504.512 liv. st. (The Economist, 14 novembre 1891).
  25. Une décision du comité judiciaire de la Chambre des Lords a débouté de sa demande en dommages-intérêts un malheureux souscripteur aux actions de la Plymouth, Davenport and districts C° contre les directeurs signataires d’un prospectus, qui vantaient les avantages de la traction à vapeur sur les routes, alors que l’autorisation de l’employer n’avait pas été obtenue. En rendant ce jugement, lord Herschell exprimait le désir qu’une loi spéciale vînt combler la lacune de la Common Law (the Economist, 6 juillet 1889). En 1890, un bill a été présenté dans ce but, director’s liability bill. Après avoir été voté par les Communes, il a échoué devant le comité judiciaire des Lords à cause des difficultés techniques du sujet. Il sera vraisemblablement repris.
  26. V. Deloison, Traité des valeurs mobilières (Larose et Forcel, 1890), n°523, notes.
  27. Voy. le jugement du Tribunal de la Seine et l’arrêt de la Cour de Paris, dans le Droit du 13 mai 1888, et la Loi du 5 août 1888.
  28. V. le discours de M. de Lamarzelle à la Chambre des députés, le 2 juillet 1890. Le rapport de l’inspecteur des finances fait très bien ressortir l’inutilité des subventions à la presse pour les bonnes valeurs. Les obligations des compagnies de chemins de fer émises continuellement à guichet ouvert ont progressé bien davantage que celles du Crédit foncier.
  29. V. Die deutschen Zeitschriften und die Enstehung der offentlichen Meinung par le docteur Wuthke (2e édit. Berlin, 1879), et les extraits publiés par M. Heinrich dans le Correspondant du 10 mai 1881
  30. On entend par syndicat dans ce cas une association en participation pour une affaire déterminée et d’une durée assez courte. Elle est généralement constatée par un simple échange de lettres ou résulte d’accords oraux. Elle est tenue secrète.
  31. Un arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 1870 a posé le principe de la responsabilité des administrateurs envers les acheteurs d’actions pendant la période d’illusion créée par un rapport inexact. Il a été jugé que la période d’illusion cesse et que leur responsabilité disparaît, alors que la vérité a pu être connue ou supposée par le public par suite de la chute des cours.
  32. V. dans the Economist du 9 août 1890, Trust companies as promoters ; 11 juillet 1891, the Rationale of trust companies, et 14 novembre 1891, Terminable debentures ; 30 janvier 1892, later phases of the Trust crazes.
  33. Economiste français, 8 novembre 1879.
  34. Dans le cours de 1890, le Lord Maire de Londres, sir Henry Isaacs, une des notabilités de la Cité, s’est compromis dans l’émission d’un si grand nombre d’affaires véreuses, alors que l’usage impose au Lord Maire de s’abstenir de tout appel financier au public durant son année d’exercice, qu’il a dû se démettre de ses fonctions avant l’expiration de leur terme. (V. the Economist, 13 juin 1891.) C’est ce même personnage, qui avait essayé de fonder à Paris la Société des grands magasins, dont la souscription publique échoua dans des conditions telles qu’heureusement la police pût le forcer à rendre les versements des quelques naïfs trompés par le titre de lord maire de la Cité.
  35. « Deux sociétés, la Caisse centrale populaire et la Caisse de Trouville-Decauville, création de M. Armand Donon, qui présidait le conseil d’administration de la première et était administrateur de la seconde, semblent avoir servi à couvrir, vis-à-vis de la Société de dépôts et comptes courants, certaines opérations dans lesquelles M. Donon, son président, M. Blondel et leur groupe avaient des intérêts personnels importants. » Rapport des administrateurs provisoires à l’Assemblée des actionnaires de la Société de dépôts et comptes courants du 7 avril 1891.
  36. Parfois, les personnes qui veulent composer à leur gré les assemblées générales empruntent des titres moyennant un déport, c’est-à-dire un prix payé au prêteur. Cette opération, se faisant sous la forme d’un achat de titres au comptant et d’une revente à terme, l’emprunteur se trouve avoir le droit de figurer aux assemblées générales. C’est là l’explication du déport, qui s’est produit souvent sur les actions du canal de Suez et des chemins de fer portugais dans les quinzaines qui ont précédé leurs assemblées générales.
  37. La Compagnie du Mississipi payait les dividendes attribués aux actionnaires avec les nouveaux versements appelés sur les actions. V. Daguesseau, Mémoire sur le commerce des actions (Œuvres complètes, in-4, t. X), p. 272. Comparez la description détaillée des procédés de Law dans Al. Courtois, Histoire des banques en France, pp. 20 à 26. La répétition de ces procédés par l’Union générale est frappante.
  38. V. the Economist, 27 juillet 1889, p. 968.
  39. L’Economiste français du 22 novembre 1890. V. encore les faits cités par the Economist, 18 juillet 1891 : Denver prefered shares, an object lesson, et the Nation, de New-York, 8 octobre 1891.
  40. La loi allemande a élevé à 1.000 marcs le minimum de l’action. Toutefois, elle peut être seulement de 200 marcs : — 1° dans les sociétés d’une utilité générale ou locale auxquelles le Bundesrath accorde cette faveur ; — 2° dans toutes celles où le transfert des actions n’est permis qu’avec l’agrément des autres membres de la société. Cette dernière disposition est excellente. Mais la première indique les inconvénients d’une limitation si rigoureuse à la fondation des sociétés. Beaucoup d’œuvres de bien public doivent emprunter cette forme et il est également fâcheux de les empêcher de se constituer ou de les soumettre au contrôle arbitraire du gouvernement.
  41. Voyez l’analyse de cet acte et l’appréciation de sa première mise en pratique dans the Economist, des 10 janvier, 20 juin, 4 juillet 1891.
  42. V. the american Law Review, tome XXIV (1890), p. 633. V. la même idée exprimée par the Economist du 14 novembre 1891 : Defective banks returns.
  43. Les banques nationales des États-Unis sont inspectées par des agents du Comptroller of currency. Il a été prouvé que ce haut fonctionnaire avait jeté au panier les rapports que depuis un an ces agents lui adressaient sur la situation désespérée de la Keystone bank de Philadelphie et de la Maverick bank de Boston, parce que ces deux institutions étaient administrées par des amis politiques du gouvernement. V. the Nation, 12 novembre 1891.
  44. Que de sociétés portent aux frais d’établissement des dépenses qui devraient être imputées aux frais généraux annuels, de manière à pouvoir distribuer des dividendes dès les premières années !
  45. C’est grâce à ce point de départ de la prescription triennale que le baron d’Erlanger et les frères Berthier, ses hommes de paille dans les affaires véreuses que nous avons rappelées, ont pu échapper aux incriminations correctionnelles qui auraient pu être introduites à l’occasion de plusieurs des sociétés fondées par eux pendant les quelques années, où le Crédit général français a exercé son activité malfaisante, notamment à l’occasion de la Société des Réassurances générales.