Le pain et la panification/Partie 2/Chapitre 1

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J.-B. Baillière & Fils (p. 90-92).

DEUXIÈME PARTIE

PAIN


CHAPITRE I

HISTORIQUE


On ne saurait dire à quelle époque remonte l’art de faire le pain. La culture du blé est une des premières manifestations de la civilisation ; mais ce n’est qu’après être arrivés à un degré d’avancement intellectuel élevé que les hommes ont su employer le fruit de cette graminée à faire du pain. Et il est à remarquer que l’art de la panification ne s’est pas en général transmis d’un peuple à l’autre. Chaque peuple y est parvenu, à quelque époque que ce fût, en passant à peu près par les mêmes phases de perfectionnement, phases qui étaient en rapport direct avec l’avancement de la civilisation. Ce rapport est particulièrement manifeste dans des pays où la panification a cessé d’être pratiquée quand, sous l’influence d’une cause accidentelle, l’état intellectuel a baissé. Ainsi les Gaulois et les Espagnols, avant la conquête romaine, initiés par les Phocéens, savaient parfaitement faire le pain : après la conquête romaine et l’invasion des barbares, cet art fut entièrement perdu pour ces pays.

Voici quelles ont été, un peu partout, les principales phases du développement de l’art de la panification :

Le fruit des céréales a d’abord été consommé cru, puis on a eu l’idée de le broyer avec des pilons de pierre dans des mortiers de bois et de faire, avec la farine obtenue, une sorte de bouillie. Peu à peu on donna à cette bouillie une consistance plus épaisse et on finit par faire une véritable pâte qui, réduite en minces gâteaux et cuite, fournissait un aliment précieux en ce qu’il pouvait être préparé en provision et transporté au loin. Ces gâteaux n’étaient pas encore du pain, puisqu’ils n’étaient pas fermentés, mais de bonne heure on sut tirer parti de la fermentation pour alléger la pâte et obtenir un aliment plus sapide et plus salubre. Ce progrès paraît avoir été réalisé d’abord par les Chinois. En tout cas, les Hébreux possédaient cet art au temps d’Abraham, car dès cette époque nous voyons dans la Genèse distinguer le pain, sans épithète, panis, du pain azyme, azyma. À l’époque de Moïse, l’emploi du levain est explicitement indiqué dans la Bible. Les Hébreux, poursuivis par les Égyptiens, furent obligés de se nourrir de pains azymes cuits sous la cendre, parce qu’ils n’avaient pas eu le temps d’introduire le levain dans leur pâte au moment de leur départ[1].

Les Grecs et les Romains faisaient usage d’un levain que l’on obtenait en pétrissant du son avec du moût de raisin en pleine fermentation. On faisait sécher cette pâte au soleil et on la conservait toute l’année. Pour faire du pain, on détrempait un morceau de ce levain dans de l’eau, on y mélangeait de la farine et on pétrissait le tout. À l’époque de Pline, on conservait le levain seulement d’un jour à l’autre comme nous le faisons aujourd’hui. À Pompéi, on a trouvé des fours de boulanger garnis de pains ; ces fours présentaient essentiellement la même disposition que nos fours actuels chauffés au bois[2].

L’art de faire le pain est donc très ancien. Mais les notions scientifiques applicables à cet art et pouvant conduire à le perfectionner sont au contraire fort récentes et encore bien incomplètes. C’est à exposer ces notions que nous devons surtout nous attacher dans cet ouvrage : nous serons ainsi amenés à consacrer peu de place à la partie purement technique et en particulier à la description des appareils qu’emploient les boulangers[3].

  1. « Tulit igitur populus conspersam farinam antequam fermentaretur… coxeruntque farinam, quam dudum de Ægypto conspersam tulerant : et fecerunt subcinericios panes azymos : neque enim poterant fermentari cogentibus exire Ægyptiis, et nullam faccre sinentibus moram ». (Exod., XII, 34, 39.)
  2. Presque tout cet historique est emprunté au traité de Birnbaum, Das brotbacken, où le lecteur pourra trouver beaucoup d’intéressants détails.
  3. Voir, pour la partie technique, le manuel Roret : Le Boulanger.