Les Architectes des cathédrales gothiques/Texte entier

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Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes).
LES GRANDS ARTISTES


Les Architectes
DES
CATHÉDRALES GOTHIQUES


LES GRANDS ARTISTES
COLLECTION d’ENSEIGNEMENT ET DE VULGARISATION
Placée sous le haut patronage
DE
L’ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS

Volumes parus :

Architectes des Cathédrales gothiques
A(Les), par Henri Stein.
Boucher, par Gustave Kahn.
Canaletto (Les deux), par Octave Uzanne.
Carpaccio, par G. et L. Kosenthal.
Carpeaux, par Léon Riotor.
Chardin, par Gaston Schéfer.
Clouet (Les), par Alphonse Germain.
Honoré Daumier, par Henry Marcel.
Louis David, par Charles Saunier.
Delacroix, par Maurice Tourneux.
Diphilos et les modeleurs de terres cuites grecques, par Edmond Pottier.
Donatello, par Arsène Alexandre.
Douris et les peintres de vases grecs, par AEdmond Pottier.
Albert Dürer, par Auguste Marguillier.
Fragonard, par Camille Mauclair.
Gainsborough, par Gabriel Mourey.
Jean Goujon, par Paul Vitry.
Gros, par Henry Lemonnier.
Hals (Frans), par André Fontainas.
Hogarth, par François Benoît.
Holbein, par Pierre Gauthiez.
Ingres, par Jules Momméia.
Jordaëns, par Fierens-Gevaert.
La Tour, par Maurice Tourneux.
Léonard de Vinci, par Gabriel Séailles.
Claude Lorrain, par Raymond Bouyer.
Luini, par Pierre Gauthiez.
Lysippe, par Maxime Collignon.
Meissonier, par Léonce Bénédite.
Michel-Ange, par Marcel Reymond.
J.-F. Millet, par Henry Marcel.
Murillo, par Paul Lafond.
Peintres (Les) de manuscrits et la miniature A en France, par Henry Martin.
Percier et Fontaine, par Maurice Fouché.
Pinturicchio, par Arnold Goffin.
Pisanello et les médailleurs italiens, par AJean de Foville.
Paul Potter, par Émile Michel.
Poussin, par Paul Desjardins.
Praxitèle, par Georges Perrot.
Prud’hon, par Étienne Bricon.
Pierre Puget, par Philippe Auquier.
Raphaël, par Eugène Muntz.
Rembrandt, par Émile Verhaeren.
Ribera et Zurbaran, par Paul Lafond.
D.-G. Rossetti et les Préraphaélites Anglais, Apar G. Mourey.
Rubens, par Gustave Geffroy.
Ruysdaël, par Georges Riat.
Titien, par Maurice Hamel.
Van Dyck, par Fierens-Gevaert.
Les Van Eyck, par Henri Hymans.
Velazquez, par Élie Faure.
Watteau, par Gabriel Séailles.

LES GRANDS ARTISTES
LEUR VIE — LEUR ŒUVRE

Les Architectes
des
CATHÉDRALES GOTHIQUES
par
HENRI STEIN
SOUS-CHEF DE SECTION AUX ARCHIVES NATIONALES

ÉTUDE CRITIQUE
ILLUSTRÉE DE VINGT-QUATRE PLANCHES HORS TEXTE



PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, rue de tournon (vie)
Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays

LES ARCHITECTES
DES
CATHÉDRALES GOTHIQUES

Il est un sentiment bien humain, qui veut qu’en parcourant les salles d’un musée, en visitant une collection d’art, instinctivement on s’arrête avec complaisance devant les œuvres dont les auteurs sont connus ; et plus le nom de l’artiste vous est familier, plus votre admiration grandit. Peu de personnes, en dehors des professionnels, échappent à cette loi dont la force attractive domine le raisonnement. Le public est attiré par un Rembrandt ou un Carpeaux, non parce que les sujets représentés parlent à son âme ou frappent sa mémoire, mais bien parce que le cartouche délicatement posé à son intention par l’administration signale à son attention un Rembrandt ou un Carpeaux. Par un phénomène réflexe, les œuvres d’inconnus n’ont pas le don de piquer la curiosité ; et certains conservateurs de musées le savent si bien qu’ils s’ingénient depuis longtemps à des attributions fantaisistes en face desquelles la méfiance est le commencement de la sagesse.

Encore est-il vrai que, de tous les arts, la peinture et la sculpture parlent beaucoup plus facilement à l’imagination du plus grand nombre : quant à l’architecture, elle a beau savoir faire grand, elle n’est pas appréciée davantage ; et surtout, en s’adonnant à la pratique de cet art, on réussit bien rarement à acquérir cette renommée dont les cent bouches donnent à un citoyen l’immortalité. Combien de Parisiens, choisis parmi les plus éclairés, sauraient dire, sans hésiter, de quelles constructions ornèrent leur ville Mansart, Gabriel et Visconti ? Le snobisme s’est emparé du Mont-Saint-Michel ; il dédaignera toujours les constructeurs de cette merveille. Hector Sohier, l’éminent architecte de Saint-Pierre de Caen, Jean Langlois, à qui nous devons cette délicieuse église Saint-Urbain de Troyes, Pierre Obreri, l’un des grands architectes du Palais des Papes, portent des noms auxquels le voyageur reste indifférent. Pourquoi cette exclusion ? Et n’est-il pas temps de protester en rappelant au bref la part de gloire dont la France est redevable à tant d’hommes méconnus, qui devraient être célèbres ?


I
L’architecture gothique.

La France a eu l’heureuse fortune de créer, en plein moyen âge, des chefs-d’œuvre d’architecture qui, malgré les mutilations et les restaurations ultérieures, attestent l’effort constant de plusieurs générations d’inventeurs incomparables ; qui, malgré les divergences d’écoles et les exigences des latitudes, offrent le plus splendide ensemble d’édifices analogues : les cathédrales gothiques. Leurs auteurs furent longtemps ignorés. Il y a cent ans, on pouvait à grand’peine citer une douzaine de noms d’architectes : aujourd’hui, grâce au dépouillement passionné des archives et au zèle inlassable des archéologues, ils sont légion, et s’il subsiste encore beaucoup de lacunes à combler, si la biographie de ces artistes se résume en quelques dates, éléments d’information précieux mais insuffisants, on peut du moins, par des comparaisons multiples et des conjectures que justifient certains détails de construction, arriver à former une synthèse de toutes les indications recueillies jusqu’à présent. C’est ce que nous allons tenter. Science vagabonde, l’archéologie n’a pu progresser que le jour où, scientifiquement, l’on s’est donné la peine de franchir les frontières de chaque province et de la France elle-même, et d’examiner avec soin les particularités de chaque centre d’activité, pour en saisir toute la portée et en étudier le complet épanouissement.

Le gothique, a dit Huysmans, est « le déploiement de l’âme dont l’architecture romane est le repliement ». Cet art, auquel on a accolé l’épithète absurde de « gothique », source de notions fausses, fut longtemps incompris et méprisé[1]. Après le retour aux traditions anciennes, le goût s’était modifié, et l’enseignement de la Renaissance avait créé à l’égard de l’art du moyen âge une hostilité et des préjugés que l’on adoptait sans oser les combattre. Furetière et le Dictionnaire de Trévoux le déclarent apporté du Nord par les Goths au ve siècle. Molière se fait l’écho des sentiments de ses contemporains quand il écrit :

…… Le fade goût des ornements gothiques,
Ces monstres odieux des siècles ignorants
Que de la barbarie ont produit les torrents.

Dans une Histoire des arts qui ont rapport au dessin, parue en 1698, Monier ne dédaigne pas tout à fait les artistes primitifs, et avoue l’impression que fait sur lui Notre-Dame de Paris, en dépit du « méchant goût gothique » qui y règne. Au xviiie siècle, nos vieilles cathédrales ne trouvent pas de défenseurs ; Winckelmann et Quatremère de Quincy se refusent à les admirer. Le premier peut-être, en 1801, dans une page célèbre de son Génie du christianisme, Chateaubriand apporte une note nouvelle, mais restée sans grand écho, et en 1829, à la veille de la publication de Notre-Dame de Paris, on témoigne encore quelque dédain à « ce genre singulier d’architecture ». Des hommes de grand talent, Montalembert, Lassus, auteur d’un livre sur le « vandalisme », puis Mérimée, Vitet, de Caumont et Viollet-le-Duc, ont surtout contribué au revirement qui s’est accompli peu à peu dans l’esprit public, et il n’est personne aujourd’hui qui accepterait de soutenir ces vieilles théories : en dépit de son nom, impossible à changer désormais, tant il est consacré par l’usage, l’architecture

Photo des Monuments historiques. Amiens. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques. Amiens. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques.
Amiens. — Nef de la cathédrale.

gothique est une architecture essentiellement française, ayant pris naissance dans le domaine royal, au cœur du royaume, vers le milieu du xiie siècle.

Longtemps on a considéré l’arc brisé ou en tiers-point comme le caractère spécial et distinctif de l’architecture gothique. Ce fut là une grave erreur, l’arc brisé ayant été adopté dans des édifices dont tous les autres éléments appartiennent à l’époque romane. Les signes certains de cette nouvelle architecture sont bien plutôt : la croisée d’ogives, l’arc-boutant et un nouveau mode de décoration ornementale. La voûte sur croisée d’ogives tire son appellation des nervures diagonales qui la supportent : c’est là son caractère essentiel et fondamental, qui se généralisa vite. On voit alors, dirons-nous avec Auguste Choisy, l’architecture prendre des allures libres inconnues à l’époque romane ; la structure nouvelle est le triomphe de la logique dans l’art ; l’édifice devient un être organisé où chaque partie constitue un membre, ayant sa forme réglée non plus sur des modèles traditionnels, mais sur sa fonction, et seulement sur sa fonction. Les nervures localisèrent les poussées des voûtes sur les murailles, d’où une double modification : tandis qu’à l’intérieur le mur plein de la nef romane, devenu inutile, fait place à une claire-voie, des arcs-boutants dont la puissance égale l’élégance permettent de rejeter hors de l’édifice toutes les culées, et faciliteront l’étonnante élévation des voûtes. En même temps les supports qui servent de retombées aux nervures de la voûte forment un magnifique faisceau de colonnettes agglomérées qui donnent aux nouveaux piliers hardiesse et légèreté. Les sculpteurs contemporains demandent leurs modèles à la nature et les empruntent presque exclusivement au règne végétal.

La période gothique proprement dite a duré un peu plus de trois siècles ; elle se subdivise en trois styles, dont il est difficile de fixer exactement les périodes respectives, le développement d’un art ne pouvant se limiter comme se limite le règne d’un souverain. La transition se prépare lentement, d’abord par quelques timides essais, par l’apport d’éléments nouveaux, puis par une implantation plus forte et plus générale. Toutefois, née au milieu du xiie siècle, l’architecture gothique française, après des tâtonnements et des incertitudes, où paraît le gothique dit « lancéolé » (1190-1260), se manifeste dans toute sa plénitude pendant tout le siècle suivant, qui est le siècle classique : alors dominent le système de l’équilibre parfait par l’opposition des forces et la logique du raisonnement basé sur des combinaisons variées, qui font éclore des écoles diverses. Ce nouveau style est appelé « rayonnant », et fut en faveur de 1260 à 1380 environ. Bientôt l’exagération forcée de ces principes, autorisée par des novateurs imprudents, amena vers la fin du xive siècle la création du style « flamboyant », d’imitation anglaise, qui, après un siècle de développement, conduisit à l’inévitable décadence. Puis, avec le xvie siècle disparaît l’architecture gothique : elle survit seulement dans quelques églises attardées, car le nouveau style de la Renaissance n’a pas été introduit partout simultanément.

Photo des Monuments historiques. Amiens. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques. Amiens. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques.
Paris. — Cathédrale Notre-Dame.

En thèse générale, une cathédrale gothique présente l’aspect d’une croix latine dont les bras forment un transept à extrémités généralement carrées et orné d’une rose ; à l’extérieur s’élève un portail richement sculpté. La nef, augmentée de collatéraux simples ou doubles, atteint des hauteurs inusitées et comporte trois étages : un rez-de-chaussée entrecoupé de grosses colonnes rondes à chapiteaux de feuillage, ou de piliers à nervures multiples ; un triforium ajouré et reposant sur de grandes arcades à cintre brisé, qui disparaît quelquefois plus tard par suite du développement des fenêtres, enfin une claire-voie à larges baies ; comme couronnement, des voûtes en croisées d’ogives sur plan carré (puis barlong), embrassant parfois deux travées, avec un arc doubleau qui traverse la clef de voûte ; on en diminua ensuite la poussée par l’introduction de nervures nouvelles, compliquées de diverses façons, qui s’appellent liernes et tiercerons. Le chœur, séparé par le transept de la nef qu’il continue, conçu dans des proportions vastes, est enveloppé d’un déambulatoire et d’une ceinture de chapelles disposées en hémicycle et de forme variable, en nombre impair, dont une au fond, dans l’axe du monument, est consacrée à la Vierge. Partout les bases des piliers, les tailloirs et les corniches très caractéristiques, offrent des profils à gros boudins, qui s’altèrent peu à peu pour faire place à des moulures grêles. Et, pour résister à la poussée des voûtes, on résolut le problème par l’expédient admirable de ces béquilles de pierre élevées à l’extérieur des édifices, les arcs-boutants, tuteurs parfois gigantesques jetés au-dessus des bas-côtés au travers du vide, qui dans leur tranquille majesté viennent étayer les murs de la nef et du chœur à la retombée des voûtes. Ce système a permis d’imaginer des courbes et contre-courbes d’une souveraine harmonie, de percer d’immenses fenêtres où le génie du moyen âge, à l’aide du seul compas, a combiné d’adroits éclairages tamisés par d’admirables vitraux, de réduire par des combinaisons aussi originales que fécondes les supports de ces immenses vaisseaux où l’on ne peut pénétrer, suivant le mot de Chateaubriand, sans éprouver une sorte de frissonnement et un sentiment vague de la Divinité.

Dans cet enchaînement rigoureux d’efforts puissants où contingences et individualités jouèrent un rôle considérable, diverses écoles ont créé des styles bien définis. Le monument-type dont nous venons d’indiquer les grandes lignes appartient à l’école de l’Île-de-France et de la Picardie, la mieux proportionnée et la plus pure. En Normandie les monuments affectent des formes plus sèches et plus anguleuses avec une ornementation plus géométrique et une sculpture généralement plus monotone, au xiiie siècle du moins. En Bourgogne, des architectes n’ont pas craint de conserver certaines idées de l’époque romane, et très minime est leur hardiesse dans la construction de l’arc-boutant, dans l’élargissement des fenêtres, dans le développement des chapelles rayonnantes. Tenant le milieu entre les procédés de l’Île-de-France et de la Bourgogne, l’école champenoise se distingue surtout par l’alternance des piles et

Photo Neurdein. Sens. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein. Sens. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Sens. — Façade de la cathédrale.

des colonnes, les passages établis dans les bas-côtés au niveau de l’appui des fenêtres, la persistance des absidioles au transept, les voûtes sexpartites ; sa puissance s’est affirmée par de superbes églises et par une influence considérable tant en France qu’à l’étranger. Dans l’école angevine et dans l’école méridionale, on voit fréquemment une nef unique sans déambulatoire, une absence presque absolue de triforium et d’arcs-boutants, une apparence extérieure assez massive, une ornementation particulière et lourde, surtout dans les façades. Dans le Midi, même pour les édifices notoirement inspirés des constructions du Nord, on n’a pas adopté les toitures aiguës, les immenses charpentes et les pignons effilés dont la présence s’explique dans les contrées où les pluies et les neiges apparaissent périodiquement.

On a volontiers abusé du symbolisme en parlant de l’architecture gothique, mais on ne peut nier qu’elle bénéficia d’une éclosion de foi ardente dont les effets se reflétèrent sur toute la chrétienté. Alors tout concourut à « élever par amour » d’innombrables églises dont la construction, « ce suprême effort de la matière cherchant à s’allonger », coûta des sommes fabuleuses et fut l’orgueil de nombreuses générations. Dans un magnifique élan d’enthousiasme, on vit surgir de tous côtés des architectes laïques, dont l’éducation professionnelle s’était faite au milieu des chantiers, et dont le mérite fut d’autant plus grand que leur témérité ne connut plus de limites. Quelques lustres suffirent à composer des merveilles : on voyait s’accumuler pierres sur pierres, au chant des cantiques, jusqu’à des hauteurs inconnues, « comme s’élevaient les murs de Thèbes aux accents de la lyre d’Amphion ».


II
Les maîtres d’œuvre.

Dans les rares monuments figurés qui les mentionnent, dans les peu nombreux documents d’archives où leur nom apparaît, les maîtres d’œuvre chargés de la direction des travaux de nos grandes églises gothiques portent des dénominations variées. Pendant l’époque romane, à quelques exceptions près, nous ne savons rien de ces artistes, dont il est impossible de déterminer le champ d’action ; nous ne sommes pas même en droit de considérer comme tels des personnalités dont le souvenir apparaît sous cette forme : Robertus me fecit, car, dans la latinité du moyen âge, ce verbe signifie tout aussi bien « m’a fait faire » que « m’a fait » ; et l’on risquerait trop souvent de prendre pour architecte qui n’était qu’abbé, moine ou simple desservant de paroisse. De même, on est trop volontiers porté à croire que le titre de magister operis, magister operum, accolé au nom d’un religieux, lui donne droit de cité parmi les constructeurs ou directeurs de travaux : à moins d’une certitude absolue, nous ne verrons là que des chanoines ou des prêtres réguliers chargés d’encaisser les sommes destinées aux travaux d’édification, de payer les

Photo Neurdein. Laon. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein. Laon. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Laon. — Façade de la cathédrale.


Photo Neurdein. Chartres. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein. Chartres. — Façade de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Chartres. — Façade de la cathédrale.

ouvriers, de surveiller leur présence, et de régler d’autres dépenses qui n’avaient aucune relation avec l’architecture : le frère Adam, bénédictin, maître de l’œuvre de Saint-Benoît-sur-Loire vers 1150, le frère Robert, cistercien, maître des œuvres à La Ferté-sur-Grosne vers 1202, Guillaume de Riom, maître de l’œuvre à Déols en 1318, ne sont pas nécessairement des architectes, bien que dans le nombre de ces religieux il ait pu s’en trouver qui fussent professionnellement capables de remplir le rôle de directeurs de travaux. Mais que penser en présence de ce maître de l’œuvre de l’église Saint-Cyr-de Nevers, qui en cette qualité reçoit quelques sous pour « faire ardoir le grant cierge à tous les grands festes », et de ce chanoine de la Sainte-Chapelle de Bourges, Pierre Dorsanne, nommé maître de l’œuvre aux lieu et place d’un chapelain décédé ? Dans la majeure partie des cas, pour ne pas dire toujours, il faut voir en eux de simples trésoriers de fabrique, dont les fonctions essentielles n’exigent que des connaissances spéciales en comptabilité[2]. L’un d’eux, un certain Aymeri, est qualifié d’operarius dont le sens, malgré les exemples fournis par le Glossaire de Du Cange, pourrait peut-être prêter à discussion : il ne s’agit pas toujours là d’un maçon. Ne voit-on pas, dans la cathédrale d’Elne, l’operarius fabricæ avoir pour fonction principale de régler les obligations de chaque officier du diocèse depuis l’évêque jusqu’au simple bedeau ? À Mende, les operarii, membres du collège des chanoines, étaient chargés de la police. De même à Bordeaux. Tout cela est étranger aux questions d’art.

Il en va tout autrement des qualificatifs latins de lathomus, de cementarius, d’apparator, de magister ædificiorum, des désignations françaises de maître maçon, d’appareilleur, et (dans le Midi) de mestre peyrier. Le mot lathomus (du grec λατόμος) et son équivalent lapicida ont originairement désigné le tailleur de pierre, mais à l’époque gothique ils servent le plus souvent à distinguer les architectes les plus célèbres, ceux qui occupent les plus hautes situations. On en peut dire autant du mot cementarius qui, pris à la lettre, pourrait faire supposer de plus humbles fonctions. L’apparator ne correspond pas toujours à un office subalterne, si l’on en juge par ce passage d’un registre capitulaire de la cathédrale de Rouen en 1362 : « Johannes de Piris, lathomus, juravit se fideliter exercere officium apparatoris secundum consuetudinem legalem hujus officii » ; passage d’autant plus intéressant à citer que ce titre fut donné audit architecte pour distinguer sa fonction de celles de deux chanoines de la cathédrale qui sont dénommés maîtres de l’œuvre dans le même registre capitulaire (la confusion, on le voit, ne date pas d’hier). À Rouen encore, au milieu du xve siècle, on trouve, travaillant sous les ordres de l’architecte Jean Roussel, un certain Jean Poly qui est qualifié de « lathomum preparatorem

Plans-types de cathédrales gothiques

Plan de la cathédrale de Chartres.
Plan de la cathédrale de Chartres.
Chartres

Plan de la cathédrale du Mans.
Plan de la cathédrale du Mans.
Le Mans
Plan de la cathédrale de Reims.
Plan de la cathédrale de Reims.
Reims

Plan de la cathédrale d’Amiens.
Plan de la cathédrale d’Amiens.
Amiens

seu gallice appareilleur ». Lorsque la dénomination de magister operis, de « maître de l’œuvre », est accompagnée de l’un des termes techniques qui viennent d’être rappelés, ou quand le contexte permet d’affirmer qu’il s’agit bien de travaux d’architecture proprement dits, le doute n’est plus permis, et la signification est incontestable. C’est, pour la période gothique, le cas le plus fréquent.

Chaque cathédrale a eu son maître d’œuvre, qui a proposé et fait adopter ses plans par le chapitre, qui a dirigé les débuts de l’entreprise et choisi ses collaborateurs ; les monuments secondaires ont été édifiés de la même façon ; mais, tandis que les grandes cathédrales, dont la construction traînait souvent en longueur faute de ressources pécuniaires, eurent toujours ou presque toujours un maître d’œuvre, payé à l’année et même pensionné, qui était chargé de la direction de l’ouvrage et en même temps de la surveillance générale et des réparations, les églises plus petites pouvaient, une fois le plan admis, se passer d’un architecte à demeure, dont l’entretien eût fortement grevé le budget de la fabrique : on se contentait d’appeler, en cas d’accident ou de modifications à introduire, pour une période déterminée, un maître d’œuvre voisin. Ce n’étaient pas d’ailleurs les architectes qui manquaient. Le roi avait son maître d’œuvre ; les princes de sang royal (duc de Bourgogne, duc de Berri, etc.) avaient le leur ; on comptait aussi un maître des œuvres du roi dans chaque bailliage ou sénéchaussée ; l’évêque et la ville de Paris en possédaient un également : c’était quelquefois la même personne qui cumulait ces deux fonctions similaires. En outre on trouvait, dans les grandes villes, des maçons jurés dont les fonctions ne différaient guère et à qui l’on confiait généralement les petites expertises, mais ils étaient loin de jouir de la notoriété qui était dévolue aux maîtres d’œuvre.

Ceux-ci d’ailleurs, bien qu’attachés en titre à un monument, ne se contentaient pas des émoluments, plutôt dérisoires, qui leur étaient payés plus ou moins régulièrement par les fabriques. À Rouen, au xive siècle, le maître d’œuvre de la cathédrale reçoit une pension annuelle de cent sous, auxquels viennent s’ajouter cent autres sous pour frais de vêtements (pro roba), et, quand il est présent, il touche en outre trois sous par jour, alors que les maçons travaillant sous ses ordres sont payés à raison de quatre sous. À Rouen encore, dans les dernières années du xve siècle, la pension du successeur est réduite par suite des malheurs des temps, et le salaire est fixé à cinq sous pour la période d’été, à quatre sous six deniers en hiver. À Troyes, en 1484, le maître d’œuvre de la cathédrale touche, en dehors de sa modeste annuité, un salaire quotidien de quatre sous deux deniers l’été, et de trois sous neuf deniers l’hiver ; à ses côtés, les tailleurs de pierre reçoivent trois sous quatre deniers par jour, et les simples manœuvres deux sous six deniers. À Nantes, en 1450, le maître d’œuvre de la cathédrale touchait par an une robe de la valeur d’un marc d’argent, et gagnait, indépendamment de cette pension, un blanc par jour de plus que les ouvriers dirigés par lui.

Nous possédons aussi quelques exemples pour le


Photo Neurdein. Portail nord de la cathédrale de Chartres.
Photo Neurdein. Portail nord de la cathédrale de Chartres.
Photo Neurdein.
Chartres. — Cathédrale, portail nord.


Portail de la Calende, cathédrale de Rouen
Portail de la Calende, cathédrale de Rouen
Photo Neurdein.
Rouen. — Cathédrale, portail de la Calende.


xiiie siècle. Dans le marché passé en 1261 avec le maître Martin de Lonay pour l’achèvement de l’église de Saint-Gilles en Languedoc, cet architecte touche une somme fixe de cent sous tournois par an à titre d’indemnité d’habillement, et reçoit un salaire de deux sous par journée de travail quand il la commencera avant midi ; pour tous les jours de l’année sans distinction, il a droit à la nourriture pour lui et son cheval, et viendra s’asseoir à la table de l’abbé ou prendra ses repas dehors à son gré, sauf les jours maigres où il ne sera admis qu’à la cuisine, avec une pitance égale à une fois et demie celle d’un moine ; il habite une ville voisine, Vauvert, et ne doit résider à Saint-Gilles qu’en été, mais il lui faudra venir en toute hâte chaque fois que le travail l’exigera. L’architecte en titre du comte de Bourgogne, Colard, reçoit en 1245, ainsi que sa femme, une robe par an, sa vie durant, avec une pension annuelle de dix livres estevenans à perpétuité. À la même époque (vers 1260), Renaud de Montgeron, architecte d’Alphonse de Poitiers qui l’emmena peut-être à Toulouse, touche de ce prince une pension annuelle de six livres. Même en tenant compte de la valeur relative de l’argent, le métier d’architecte, à cette époque, n’enrichissait pas son homme.

Aussi la plupart cherchaient-ils une amélioration à leur sort, soit dans le cumul, soit dans l’expertise. Il n’était point rare de les trouver surveillant la construction de plusieurs édifices à la fois, dans des localités plus ou moins éloignées ; on les voyait alors se faire remplacer par des chefs de travaux subalternes, mais capables cependant de diriger la construction d’après les plans dessinés d’avance et étudiés à fond. C’est ainsi, par exemple, que le célèbre Raimond du Temple, à la fois maître des œuvres de maçonnerie du roi et maître de l’œuvre de la cathédrale de Paris (de 1363 à 1404 environ), abandonne souvent ces deux fonctions absorbantes pour aller en mission ou en expertise dans des provinces très différentes ; mais en même temps il y avait au moins un maçon juré de l’église de Paris, dont la présence (il se nommait en 1388 Colin Gille) ne peut s’expliquer qu’en le considérant comme suppléant désigné en cas d’absence du maître. Ce paraît avoir été aussi le cas de maître Berthaut, « juré de l’œuvre » de la cathédrale de Chartres en 1316. Pons Gaspar, auteur du chevet de la cathédrale de Mende, est qualifié maître de l’œuvre, mais ne réside pas même dans cette ville ; dans le traité qu’il conclut avec le chapitre, il s’engage à se présenter dans la huitaine, chaque fois que le chapitre croira devoir faire appel à ses lumières pour trancher des difficultés non prévues ou prendre d’importantes décisions ; or on sait qu’il vint assez rarement et que le véritable architecte fut un sous-ordre, Jean Durant, qui paraît tous les jours sur le chantier, manie le ciseau et le marteau, à la fois ouvrier et architecte. Un des principaux maîtres d’œuvre de Rouen au xiiie siècle, Robert Roussel, prend l’engagement solennel de consacrer son temps et ses talents au service de l’abbaye de Saint-Ouen, et promet en même temps de ne s’occuper d’aucune autre œuvre de maçonnerie, pour qui que ce soit, sans autorisation expresse de l’abbé. Tant de précautions

Photo des Monuments historiques. Chœur de la cathédrale de Beauvais.
Photo des Monuments historiques. Chœur de la cathédrale de Beauvais.
Photo des Monuments historiques.
Beauvais. — Chœur de la cathédrale.

prouvent surabondamment que les architectes cherchaient à utiliser leurs talents de plusieurs côtés à la fois, même quand ils avaient le souci et la responsabilité de travaux aussi considérables que nos grandes églises gothiques.
III
Les matériaux et leur emploi.

Ces grandes églises furent construites en moellons ou en pierres de petit échantillon ; dans les pays où la pierre était chère et rare seulement, comme en Flandre et en Languedoc, on utilisa la brique ; mais ce fut toujours l’exception. La pierre n’était pas uniformément bonne ; faute de moyens de communication et par mesure d’économie, on la faisait venir des carrières les plus proches, et quelques-unes de ces carrières fournissaient des matériaux médiocres, insuffisamment résistants ou trop friables. Les architectes de Beauvais et de Senlis emploient la pierre de Saint-Leu-d’Esserent (Oise) ; ceux d’Amiens utilisent celle de Croissy et Domeliers (Oise) ou de Beaumetz (Somme) ; ceux de la cathédrale de Rouen vont la chercher, en partie au moins, à Vernon (Eure) ; ceux de la cathédrale de Sées se fournissent tout auprès, à Chailloué (Orne) ; pour Saint-Denis, on fait venir la pierre de Conflans (Seine) ; pour Chartres, on emploie celle de Berchères (Eure-et-Loir) ; pour Sens, celle de Bailly (Yonne) ; pour Troyes, celle de Tonnerre (Yonne) ; pour Lyon, celles d’Anse et de Lucenay (Rhône) ; pour Bordeaux, celle de Bourg (Gironde) ; pour Rodez, celles de Nuces et de Capdenaguet (Aveyron). Dans certains cas les chapitres se rendaient acquéreurs de carrières. Quelquefois la pierre fut transportée à de plus longues distances : les architectes de Sens la firent venir parfois de Saint-Leu d’Esserent, et la pierre de Marquise (Pas-de-Calais) fut employée en Angleterre (Canterbury). Le transport par eau facilitait singulièrement les ravitaillements.

Dans ces constructions qu’on entreprenait immenses et d’une élévation inusitée, il importait de songer aux charges énormes que l’édifice aurait à supporter, et de prévoir les affaissements du sol, les tassements qui fatalement devaient se produire dans ces masses de pierre ; ne pas tenir compte de ces causes probables de déformation pouvait compromettre à jamais la solidité de l’ensemble, et les maîtres d’œuvre de l’époque gothique ont réussi fréquemment à remplacer l’insuffisance des fondations ou la qualité inférieure des matériaux par une très exacte répartition des charges et par l’étonnante élasticité des élévations : c’est par là surtout qu’ils se sont montrés ingénieux, disons mieux, admirables.

Fondées sur un sol compressible et avec des ressources insuffisantes, les cathédrales de Meaux, de Troyes, de Châlons-sur-Marne, de Sées n’en ont pas moins victorieusement résisté à la pesée constante des maçonneries et aux injures du temps : à peine ont-elles subi quelques déformations dont on a pu arrêter les effets. À Paris, à Laon, à Amiens, à Beauvais, au contraire, des fondations colossales qui atteignent jusqu’à onze mètres de profondeur ont constitué une vaste assise souterraine à toute épreuve.

Il y eut fréquemment, dans les arrêts momentanés de la construction, des raisons purement financières. Aux jours heureux du xiiie siècle, et dans les grands centres surtout, l’argent afflua tout d’abord ; le clergé donnait l’exemple. L’évêque Gautier de Mortagne fournit l’argent nécessaire à la construction de la cathédrale de Laon ; de même Guillaume de Seignelay à Auxerre, Maurice de Sully à Paris, Étienne Béquart à Sens, Philippe de Nemours à Châlons-sur-Marne, Raimond de Calmon à Rodez. À Mende c’est le pape lui-même, originaire du pays, qui affecte à la reconstruction l’intégralité des revenus de l’évêché et qui envoie à la nouvelle église joyaux, reliquaires, tapisseries. À Chartres, l’évêque et les chanoines abandonnent leurs revenus pour une durée de trois ans ; ailleurs, injonction est faite de réserver pour l’œuvre de la cathédrale une ou plusieurs années de tous les bénéfices du diocèse qui viendront à vaquer. À Beauvais, l’évêque Milon de Nanteuil se voit obligé aux plus grands sacrifices, et les impose à son chapitre par un document très instructif. Un peu plus tard, il fallut stimuler le zèle des fidèles, on créa des œuvres diocésaines et des confréries, on multiplia les indulgences, on organisa des quêtes, on fit des expositions solennelles de reliques, on attira la foule par des sermons que prononçaient des orateurs en renom. Dans les cas très pressants, le clergé s’adressait au roi ou au pape pour obtenir des faveurs spéciales : les chanoines de Senlis font donner ainsi par Louis VII une recommandation spéciale aux clercs chargés de parcourir toutes les provinces du domaine royal pour recueillir les offrandes destinées à la cathédrale ; les souverains pontifes, en 1202 et en 1227, accordent des bulles d’indulgences particulières à quiconque coopérera à la réédification des cathédrales d’Évreux et de Troyes. En 1236, un concile de la province de Tours, convoqué par l’archevêque, déclare désormais certains délits punissables par l’officialité d’une amende qui ira grossir le fonds de la caisse de l’œuvre de l’église métropolitaine. Certaines municipalités, comme Reims, s’imposent pour une somme annuelle qui sera répartie entre les travaux de la cathédrale et ceux de l’église Saint-Nicaise. À Beauvais, on exempte de tout impôt, non seulement les artistes et les ouvriers occupés à la reconstruction, mais même les matériaux qui lui sont destinés.

On logeait le plus souvent le maître d’œuvre dans le voisinage de son chantier, parfois même dans une maison appartenant au chapitre, ou bien on l’autorisait à se faire construire aux frais du chapitre un logis à sa convenance. Les chantiers qu’il dirigeait étaient admirablement organisés et la comptabilité en était tenue avec le plus grand soin, le plus souvent par les chanoines proviseurs, rarement par des laïques. Ces chantiers comprenaient l’ensemble des différents métiers, depuis la maçonnerie et la charpenterie jusqu’à la verrerie et la couverture : c’est ce qu’on appelait la « loge ». Ils étaient, au moins dans le nord de la France, bien clos et chauffés l’hiver, si besoin ; ils comptaient généralement un nombre relativement restreint d’ouvriers qui, en dehors de leur salaire, recevaient une gratification particulière lors de l’achèvement du travail qui leur était confié. En cas de difficulté ou de malfaçon, on avait recours à des experts. La « chambre aux traits » était le lieu où les maîtres d’œuvre dessinaient les plans des ouvrages à exécuter ou taillaient des modèles en légères planchettes que fournissait le chambrilleur ; ces plans et modèles s’appelaient des « molles ». C’étaient des cas très rares que ceux où l’architecte nouveau, abdiquant toute originalité, se bornait à copier les molles de ses devanciers et à adopter pour la nef, par exemple, les plans et les formes du chœur tracées par son prédécesseur : au contraire, on voit plutôt ces monuments conserver la marque des diverses époques auxquelles se rapporte chacune de leurs parties ; l’art du maître d’œuvre gothique sut généralement triompher de ces apparentes difficultés et arriva sans effort à combiner les éléments anciens avec les nouveaux en un tout étonnamment harmonieux. Il a su en outre analyser avec une extrême finesse les jeux de la perspective, et tenir compte de l’influence exercée par celle-ci sur l’effet des reliefs. Il n’a point dédaigné les contrastes et a préféré toujours à la froide régularité un travail individuel d’où sortait un perfectionnement ou une variété de technique. Il a inventé des combinaisons d’équilibre qui étonnent par leurs artifices et qui stupéfient par leurs résultats[3].

Les talents d’un bon maître d’œuvre ne s’entendaient pas seulement de la maçonnerie ; ils comprenaient aussi l’établissement des échafaudages ou « allours aux maçons », qui prenaient parfois des proportions gigantesques, l’examen de la qualité des matériaux, médiocres dans certaines régions, la surveillance des travaux de charpente et de sculpture, l’achat du bois, du fer, des engins ou chèvres destinées au montage des pierres, et du « repous » ou mortier préparé avec la poussière de la pierre de taille. Dans une plaidoirie où le maître de la maçonnerie de Paris fait valoir ses propres mérites, il se vante d’être « grand géométrier et charpentier, ce qui est supérieur à maçon ».

Villard de Honnecourt a composé au milieu du xiiie siècle un précieux album, manuscrit unique en son genre, qu’il a eu l’intention de léguer aux gens de son métier ; la Bibliothèque nationale le possède aujourd’hui incomplet, et il a été édité plusieurs fois. Dans ce livre, dit l’auteur au début, « on pourra trouver grand secours pour s’instruire des principes fondamentaux de la maçonnerie et de la construction en charpente, ainsi que la méthode pour dessiner au trait, selon que l’art de géométrie le commande et enseigne ». On y voit qu’il voyagea beaucoup, traversant

Photo Berthaud. Page de l’Album de l’architecte Villard de Honnecourt.
Photo Berthaud. Page de l’Album de l’architecte Villard de Honnecourt.
Photo Berthaud.
Page de l’Album de l’architecte Villard de Honnecourt.

la France de l’ouest à l’est, parcourant l’Allemagne, la Suisse et la Hongrie. S’arrêtant à Laon, il prend le croquis d’une des tours de la cathédrale, « la plus belle qu’il y ait au monde », à l’en croire. Deux dessins sont relatifs au chœur de la cathédrale de Cambrai et au plan de l’église voisine de Vaucelles. Diverses études minutieuses, prises à la cathédrale de Reims, attestent un séjour dans cette ville. Dans les cathédrales de Chartres et de Meaux il trouve des motifs d’inspiration. Une page particulièrement intéressante, qui paraît être une composition personnelle, inventée de concert avec son confrère Pierre de Corbie, est celle que nous reproduisons ici : on y voit le plan d’un chœur de cathédrale, entouré d’une double galerie et de neuf chapelles, les unes de forme carrée, les autres en hémicycle ; elles alternent sur ce double patron à droite et à gauche du chevet carré. Le recueil de Villard de Honnecourt est contemporain de la génération qui a su atteindre dans le système de construction les plus grands perfectionnements[4]. Les conseils que Villard de Honnecourt donne à ses lecteurs, chaque maître d’œuvre les prodiguait tous les jours dans son chantier.
IV
L’apogée.

Notre siècle aime les réhabilitations ; nous éprouvons quelque plaisir à mettre en lumière des noms d’inconnus qui viennent apposer leur signature glorieuse sur les monuments qui décorent nos villes. Ces monuments sont partout, au nord et au sud, à l’ouest comme à l’est ; mais c’est chose incontestée que dans le nord et le centre l’art gothique a brillé d’un incomparable éclat[5].

On ne connaît pas exactement toutes les dates de construction de Notre-Dame de Paris ; on ignore l’auteur qui donna le plan de cet admirable monument. On est mieux renseigné sur ses continuateurs. Le transept est l’œuvre de Jean de Chelles, déjà mort lorsqu’on grava au bas du croisillon sud l’inscription qui rappelle la pose de la

Plans-types de cathédrales gothiques

Plan de la cathédrale de Bayeux.
Plan de la cathédrale de Bayeux.
Bayeux

Plan de la cathédrale d’Angers.
Plan de la cathédrale d’Angers.
Angers

Plan de la cathédrale de Bourges.
Plan de la cathédrale de Bourges.
Bourges

Plan de la cathédrale de Rodez.
Plan de la cathédrale de Rodez.
Rodez


première pierre le 11 février 1258 : « Kallensi lathomo vivente Johanne magistro ». Jean de Chelles est originaire des environs de Paris ; c’est presque un Parisien. On aimerait à savoir où il fit son éducation professionnelle et s’il demeura longtemps maître d’œuvre de la cathédrale. Son parent, son fils peut-être, Pierre de Chelles, fut son successeur médiat ou immédiat : élevé à une école de génie, cet architecte continua à appliquer les mêmes méthodes aux mêmes constructions, et on lui doit certainement les chapelles du tour du chœur, la partie tournante des tribunes et cette magnifique abside qui est l’une des gloires de Paris. D’ailleurs, on l’a déjà remarqué, c’est à la collaboration successive de deux architectes ayant même origine et appartenant à la même école qu’est due cette unité de vues et d’exécution, cette similitude de procédés et cette continuité d’action qui frappent dans Notre-Dame les esprits les moins prévenus.

Pierre de Chelles fut chargé en 1307 de placer à Saint-Denis le tombeau de Philippe III dont il avait peut-être donné le projet : en 1316, il fut appelé comme expert à Chartres avec un confrère non moins considérable que lui ; mais il ne paraît pas avoir vécu longtemps au delà de cette date ; vers 1320 il était remplacé par Jean Ravy, qui fut maître de l’œuvre pendant vingt-six années consécutives, et dont le nom est particulièrement lié à la clôture nord du chœur, où une inscription nous révèle son nom, assez obscur ; son neveu, Jean Le Bouteillier, lui succède et termine ce travail en 1352 ; ce dernier, remercié comme insuffisant en juillet 1363, meurt quelques jours après. D’ailleurs, l’époque héroïque de la cathédrale est passée, les grands travaux sont terminés partout ; il ne s’agit plus dès lors que de consolidation, d’appropriation ou de restauration partielle. Et néanmoins le chapitre cathédral s’adresse à des hommes d’une réputation consommée, dont la situation officielle doit être une garantie de leur talent : après un court intervalle pendant lequel les travaux sont confiés à un maître de l’œuvre de Notre-Dame de Pontoise, dont le nom demeure ignoré, les titulaires de la fonction sont successivement Raymond du Temple, le célèbre architecte de Charles V, nommé le 6 septembre 1363, puis (à partir de 1404 ou 1403) son fils Jean du Temple. Celui-ci, qui ne semble pas avoir donné toute satisfaction au chapitre, cède en 1415 la place à Henry Brisset, qui est lui-même remplacé avant 1422 par Pierre Robin : ces deux derniers sont à la fois maîtres des œuvres du roi et de l’église de Paris. Après Pierre Robin, les destinées de la cathédrale sont confiées, en juillet 1431, à Jean James, sans doute d’origine anglaise, qui occupe encore la fonction en 1447 : lui aussi cumule avec la maîtrise des œuvres de la ville de Paris, dont il a été pourvu dès 1431. Tous ces noms d’artistes n’offrent que peu d’intérêt au point de vue de la participation respective de chacun à la cathédrale : au contraire, on devra retenir celui de Jean Moireau, maître de l’œuvre en 1510, qui est l’année où, après une longue enquête et une expertise concluante, fut décidée la reconstruction totale des voûtes du transept. Ainsi, malgré de sérieuses lacunes à

Photo Neurdein. Nef de l’église abbatiale de Saint-Denis.
Photo Neurdein. Nef de l’église abbatiale de Saint-Denis.
Photo Neurdein.
Saint-Denis. — Nef de l’église abbatiale.

combler, on possède une liste déjà copieuse des architectes de Notre-Dame de Paris pendant deux siècles et demi ; les deux premiers surtout méritent d’être associés dans notre commune admiration.

Aux portes de Paris, une église qui ne fut qu’abbatiale offre les proportions et l’attrait d’une cathédrale, émanation du plus pur art français : c’est Saint-Denis, le panthéon des rois de France. Si le célèbre déambulatoire, dont l’honneur revient à Suger, appartient à une période gothique primitive, le xiiie siècle revit tout entier dans ce monument malheureusement trop remanié. On sait que l’église antérieure était devenue trop exiguë ; les pèlerinages fréquents au tombeau des martyrs y attiraient parfois une affluence de peuple considérable ; de plus, la foudre l’avait, en 1210, fortement endommagée en tombant sur la charpente de la tour nord du portail. On pouvait réparer ; il fut jugé plus sage de reconstruire en très grande partie ; ce que les moines de l’abbaye n’avaient osé faire de leur propre initiative fut entrepris sur les conseils du roi Louis IX et sous l’abbatiat d’Eudes Clément, au témoignage du chroniqueur Guillaume de Nangis. Depuis quelques années seulement, on connaît l’architecte à qui furent confiés les travaux et qui les exécuta avec génie : Pierre de Montereau, dont le nom seul évoque tout un ensemble de merveilles, symbolise toute une époque. Car non seulement ce prince des architectes[6] eut pour mission d’agrandir la nef et les bas côtés, de refaire complètement toutes les voûtes de la nef et du chœur, le chevet, les bras du transept, et à l’extérieur des croisillons les portails, les galeries et les splendides rosaces qui les décorent, non seulement il consolida le monument par de gros piliers ajoutés dans la crypte, il conçut des piliers d’une superbe allure et des retombées de voûtes d’une délicatesse inouïe, il garnit le triforium de vitraux, et imagina au croisillon méridional un délicieux portail qui apparaît, à travers les mutilations et les ruines, un pur chef d’œuvre de l’art français ; mais encore, maître de l’œuvre dans l’acception la plus large, il fut chargé de faire sculpter tous ces tombeaux des rois de France, Clovis II, Charles Martel, Pépin le Bref, Carloman, Hugues Capet, Robert, Louis VI, dont le caractère d’uniformité accuse une origine identique, et dont l’exécution est manifestement contemporaine de la réédification de l’église. Les travaux de construction, commencés vers 1231, étaient en pleine activité en 1247 ; les mausolées furent prêts, en 1267, à recevoir les corps des anciens monarques, et la translation se fit en grande pompe cette même année, qui fut celle du décès de Pierre de Montereau.

Ce n’est pas d’ailleurs la seule œuvre que l’on puisse attribuer à cet homme éminent. S’il y a peu de chance, malgré la tradition, pour qu’on doive le considérer comme l’architecte de la Sainte-Chapelle de Paris, si l’on est plus affirmatif pour le réfectoire de Saint-Martin-des-Champs dont on admire volontiers la noble simplicité, du moins peut-on dire avec pleine certitude qu’il construisit

Photo Neurdein. Paris. — Sainte-Chapelle.
Photo Neurdein. Paris. — Sainte-Chapelle.
Photo Neurdein.
Paris. — Sainte-Chapelle.


Photo des Monuments Historiques. Saint-Germer. - Sainte-Chapelle.
Photo des Monuments Historiques. Saint-Germer. - Sainte-Chapelle.
Photo des Monuments Historiques.
Saint-Germer. — Sainte-Chapelle.


à Saint-Germain-des-Prés le réfectoire détruit l’un des plus beaux en ce genre, — où il avait fait sculpter la statue du roi Childebert, aujourd’hui au Louvre, — et la chapelle de la Vierge, ce pur chef-d’œuvre dont les débris ont été pieusement recueillis dans le petit square attenant à l’église et dont le portail a été reconstitué tant bien que mal dans le jardin voisin du musée de Cluny. C’est, aux environs de 1250, l’époque de la grande floraison des monuments religieux élevés par la piété du roi, de sa mère Blanche de Castille, et de ses sujets, dans tout le royaume, l’époque de la construction des grandes églises abbatiales, fondées par la reine mère, qui s’appellent le Lys, la Victoire, Royaumont, de cette charmante chapelle que Louis IX ajouta à son château de Saint-Germain-en-Laye, de cet autre délicieux monument qu’est la Sainte-Chapelle de Saint-Germer. L’influence qu’avait dû acquérir Pierre de Montereau, à Paris et dans toute l’Île-de-France, par les constructions élevées à Paris et par la réédification de l’église abbatiale de Saint-Denis, n’avait certes pas été sans contribuer à lui valoir un rayonnement de renommée. On peut être très affirmatif pour Saint-Germain-en-Laye où l’on retrouve un des caractères propres à l’architecture de notre maître d’œuvre : on reconnaît, dans ce monument, une ordonnance de style champenois et un portail qui dérivent directement de Saint-Denis. Montereau (Seine-et-Marne), lieu d’origine de l’architecte, confine à la Champagne, et par là s’expliquent tout naturellement des particularités spéciales, d’essence champenoise, qui existent à Saint-Denis et à Saint-Germain-en-Laye, surtout une galerie de circulation qui règne tout autour des collatéraux, ménagée sur l’appui des fenêtres et traversant les piliers contre le mur extérieur, pour se terminer par un escalier montant au triforium : les églises Saint-Jean de Sens et de Villeneuve-sur-Yonne présentent la même particularité essentielle que nous rencontrons encore tout près de Paris, dans la charmante église de Saint-Sulpice-de-Favières, et que M. C. Enlart a retrouvée en Chypre[7].

La grandiose cathédrale de Chartres a fait l’objet d’un grand nombre d’études d’ensemble ou de détail, mais il était réservé à M. Eug. Lefèvre-Pontalis d’éclaircir naguère l’histoire de sa construction et à M. Merlet de préciser la série malheureusement incomplète des architectes qui y participèrent après les incendies de 1134 et de 1194 : ce dernier avait détruit l’église romane de l’évêque Fulbert, à l’exception des cryptes, de la façade occidentale et des tours. On rebâtit aussitôt avec enthousiasme, mais sur un nouveau plan ; les dons affluèrent de toutes parts pour aider à la construction, et le roi Philippe Auguste y voulut contribuer lui-même par une offrande personnelle de deux cents livres. Vers 1220 le nouvel édifice était complètement voûté, et l’achèvement du gros œuvre était terminé avant 1235 ; à cette date une partie des admirables vitraux était déjà en place ; le clocher neuf ou tour du nord date

Photo Neurdein. Chartres. - Nef de la cathédrale.
Photo Neurdein. Chartres. - Nef de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Chartres. — Nef de la cathédrale.


Photo Neurdein. Reims. - Nef de la cathédrale.
Photo Neurdein. Reims. - Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments Historiques.
Reims. — Nef de la cathédrale.


du même temps : la dédicace eut lieu en 1260. Pour tous ces travaux, pourquoi faut-il avouer notre ignorance ? Les maîtres d’œuvre anonymes de Chartres, en plein xiiie siècle, mériteraient cependant d’occuper une place d’honneur dans l’histoire de l’art français. On a cité sans preuve et sans raison les noms de Pierre et d’Eudes de Montereau à propos des porches. En 1276 nous est révélé un premier nom : Simon Daguon, qui résigne ses fonctions en 1300 et a pour successeur Jean des Carrières, que le chapitre choisit pour maître d’œuvre, à condition qu’il n’exercera pas la même charge auprès du comte de Chartres. Vers 1310 reparaît Simon Daguon qui assiste à l’expertise faite en septembre 1316 par Pierre de Chelles, Nicolas de Chaumes, maître des œuvres du roi, et Jacques de Longjumeau, maître charpentier juré de Paris, pour examiner la construction au point de vue technique : ils étaient tous des praticiens expérimentés, et d’ailleurs la consultation méritait un tel dérangement ; les linteaux des porches avaient cédé sous la charge des voûtes, malgré les barres de fer qui les surmontaient ; il fallut reprendre en sous-œuvre les piliers des galeries des porches en faisant dans chaque baie un chevalement pour soutenir le linteau. Les experts consacrèrent une autre partie de leur temps à visiter les puissants contreforts et à en vérifier la solidité ; ils signalèrent d’urgentes reprises à faire aux points de jonction. Ces nouveaux travaux furent en grande partie exécutés par Huguet d’Ivry, auteur de la salle capitulaire édifiée de 1323 à 1335 environ au chevet de la cathédrale, puis par Jean d’Ivry, son fils sans doute, auteur de la chapelle Saint-Piat, qui vivait encore en 1382. Dans l’intervalle nous rencontrons le nom de Jean Auxtabours : en août 1370, ce maître de l’œuvre venait de bâtir la tourelle d’escalier située au transept méridional. Mais ici, nous n’avons plus en face de nous un inconnu ; cet architecte paraît avoir joui d’une grande notoriété. Sa présence est signalée dès 1345 à Mantes, où il est maître des œuvres du roi et qu’il s’applique à mettre en état de défense, où il construit le couvent des Célestins (vers 1373), où il fortifie l’église (1375-1385) ; entre temps il est chargé par le chapitre de Vernon de réédifier les voûtes du chœur de l’église Notre-Dame, et très probablement aussi il avait été appelé à Alençon, vers 1350, comme maître de l’œuvre de l’église Notre-Dame : peut-être était-il originaire de cette dernière ville.

Au xve siècle, les maîtres maçons connus de la cathédrale de Chartres sont Laurent Vuatier (1400-1416), et Geoffroy Sevestre, qui construit en 1417 la chapelle de Vendôme, et que l’on retrouve travaillant à Paris dix ans plus tard. Quant au célèbre Jean Texier, dit de Beauce, qui en 1506 passe un marché pour la reconstruction de la flèche en pierre du clocher nord et qui mourut en 1529, il appartient déjà à une époque où l’architecture s’engage dans une voie nouvelle.

L’église de Mantes est une des plus intéressantes à visiter de la vallée de la Seine, et l’on y trouve trace de travaux exécutés au xive siècle par Raymond du Temple et Jean Auxtabours : au premier des deux architectes appartient sans doute le portail sud, au second peut-être la très gracieuse chapelle de Navarre. Nous avons cité en passant la collaboration du même artiste à Vernon ; un peu plus loin, les églises du Grand et du Petit Andely sont d’allure identique à la cathédrale de Rouen, et peuvent être attribuées au maître d’œuvre qui donna le plan de cet édifice vers 1206, et précisément s’appelait Jean d’Andely.

Inférieure aux grandes cathédrales gothiques dont s’enorgueillit la France, Notre-Dame de Rouen manque évidemment d’unité, mais c’est la comparaison qui lui fait tort : pris en soi, c’est encore un imposant édifice dont on peut sans difficulté suivre l’essor. L’incendie de l’an 1200 avait détruit l’église précédente, à l’exception du clocher, des portails de la façade, des chapelles du chœur, de la croisée du transept. On se mit promptement à la réfection, et on conserva la tour de Saint-Romain, construite entre 1145 et 1150 par un architecte de l’Île-de-France ou du Beauvaisis ; d’ailleurs la cathédrale de Rouen ne présente pas partout les caractères de l’architecture normande. Jean d’Andely commença par la nef, le culte continuant à être célébré dans le chœur subsistant ; après lui paraît un certain Enguerrand, qui ne fait que passer, appelé en 1214 au monastère du Bec pour la direction des travaux de reconstruction de l’église abbatiale ; puis vient Durand le Maçon, qu’on croit être le gendre de Jean d’Andely : ils possédèrent tous deux le même tènement de maisons à Rouen. Ce Durand acheva en 1233 les voûtes de la nef, et son nom est inscrit sur la clef de voûte principale. On cite encore comme certains les maîtres d’œuvre Gautier de Saint-Hilaire en 1251-1260, Jean Davy en 1278 : à ce dernier doivent être attribués les portails du transept, dont l’un, celui de la Calende, est justement célèbre.

Nous pouvons pertinemment affirmer, au xive siècle, une collaboration effective aux travaux de la cathédrale de Rouen due successivement à Jean Marescot (1338) ; à Guillaume de Bayeux, qui travaille pour le chapitre (1358) sans être son maître d’œuvre titulaire ; à Jean Périer, qui reste en fonctions pendant vingt-six ans jusqu’à sa mort (1362-1388), et fait au grand portail en 1370 une rose remplacée au xvie siècle ; à Jean de Bayeux, fils de Guillaume, artiste de renom, en même temps maître des œuvres de la ville et de l’église Saint-Ouen (1388-1398), dont il voûte une partie du transept et commence la tour au-dessus de la croisée du transept ; à son fils ou neveu Jean II de Bayeux, précédemment maître des œuvres de maçonnerie au bailliage de Gisors, et dont l’activité se partage entre la cathédrale, l’église abbatiale de Saint-Ouen, le château de Tancarville, la ville et le château de Rouen, le comte d’Eu ; à Jean Salvart, cité en 1398 puis en 1407, où il commence une nouvelle décoration de la grande façade occidentale, et qui fut accusé d’avoir conspiré pour livrer la ville aux Français ; à Martin Roussel, qui travaille à la cathédrale en 1406-1415 et dirige en même temps d’importants travaux à Saint-Maclou ; à Jean Roussel et à Geoffroy Richer, nommés respectivement maîtres de l’œuvre en 1447 et 1451 : ce dernier a donné les plans de l’archevêché ; à Guillaume Pontifs, mort en 1496, qui termine dignement cette longue série d’artistes de la période gothique et auquel appartient la construction de l’étage supérieur de la tour Saint-Romain, de l’escalier de la bibliothèque, le portail de la cour des libraires et les étages inférieurs de la tour de Beurre.

Voisine de la cathédrale, l’église abbatiale de Saint-Ouen est assurément plus homogène ; mais les travaux n’en furent commencés qu’en 1319, à l’aide de dons notables et princiers, par un architecte enterré dans le monument même, chapelle Sainte-Cécile ; la pierre trop effritée ne laisse plus lire son nom. Serait-ce le Rouennais Jean Camelin, pensionné par le roi, et qualifié l’année précédente de maître de l’œuvre de l’église Saint-Louis de Poissy ? Plus tard, on peut citer avec certitude Guillaume de Bayeux et Jean de Bayeux déjà nommés, puis Alexandre de Berneval et son fils Colin, dont la pierre tombale existe encore dans l’église. La célèbre tour centrale, moins le couronnement, appartient à Jean de Bayeux ou à Alexandre de Berneval, mort en 1440 ; l’édifice occupe une place considérable dans l’histoire de l’architecture normande.

La cathédrale Saint-Pierre de Beauvais est un monument qui eût été gigantesque dans les proportions rêvées par celui qui en donna le plan ; sa hauteur dépasse de beaucoup tout ce qui se voit ailleurs, la hardiesse et le goût qui ont présidé aux constructions du xiiie siècle ont vivement contribué à sa célébrité. Deux incendies successifs, en 1180 et en 1225, avaient rendu nécessaire l’édification d’une nouvelle église ; l’évêque Milon de Nanteuil résolut de l’entreprendre. L’abside et le chœur proprement dits, où la légèreté le dispute à la délicatesse, furent commencés aussitôt et terminés en 1272, et l’on songeait à poursuivre plus avant lorsqu’une catastrophe, due à l’écartement trop considérable et à l’élévation incroyable des piliers, arrêta les travaux : une partie de la voûte s’effondra le 29 novembre 1284. De cette date à 1338, près de 80 000 livres, somme énorme pour l’époque, furent dépensées en réparations ; et la consolidation indispensable, consistant principalement dans le doublement du nombre des travées et dans l’établissement de nouveaux piliers intercalaires (dont l’effet vint nuire à l’élégance première), paraît avoir été presque entièrement l’œuvre du maître d’œuvre Guillaume de Roye (secondé par l’appareilleur Albert d’Aubigny). En 1342, le chapitre cathédral, que les événements antérieurs avaient rendu sans doute peureux, jugea à propos de faire venir de Paris trois experts pour visiter la construction ; le gros œuvre était à peu près terminé. D’ailleurs les événements politiques ralentirent singulièrement les travaux ; durant cent ans on se contenta de réparer et de consolider à nouveau le chœur. On ne se décida à reprendre la tradition qu’en août 1499, mais alors une nouvelle ère commençait, et les méthodes d’art se transformaient.

Avec Amiens, nous entrons dans un édifice de premier ordre, un édifice-type où l’art a su réunir le maximum de ses ressources, et où il semble qu’il se soit le plus

Photo de M. Roger. Rouen. — Église Saint-Ouen.
Photo de M. Roger. Rouen. — Église Saint-Ouen.
Photo de M. Roger.
Rouen. — Église Saint-Ouen.

approché de l’idéal : de son examen se dégage une inoubliable synthèse du développement de l’architecture gothique française depuis son apogée jusqu’au gothique flamboyant. L’ancienne cathédrale ayant été détruite par un incendie vers 1218, on décida la reconstruction immédiate sur un plan plus vaste, et la première pierre fut posée en 1220. Peu d’années après, la nouvelle nef était entièrement terminée, en même temps que la façade occidentale et la sculpture du grand portail ; en 1228, le transept était commencé ; vingt ans après, les bas côtés du chœur étaient voûtés, le déambulatoire et les chapelles rayonnantes étaient livrés au culte ; pour que le gros œuvre fût terminé, il ne manquait plus que les parties hautes du transept et du chœur, achevées à leur tour en 1269, malgré l’arrêt momentané des travaux que motiva sans doute le manque d’argent, et malgré le nouvel incendie survenu en 1258. Un labyrinthe aujourd’hui détruit, moins explicite que celui de la cathédrale de Reims, a permis de connaître les noms des trois premiers maîtres de l’œuvre de la cathédrale d’Amiens, qui conduisirent les travaux de 1220 à 1288. Malheureusement il est fort malaisé d’assigner la part qu’eut chacun d’eux à la construction, et l’on doit se refuser à séparer les trois noms dans notre admiration. Le plan si remarquablement dessiné, la conception si simple et si homogène de la nef, doivent cependant être attribués au premier, Robert de Luzarches, qui disparaît presque au début des travaux : si bien qu’on serait volontiers tenté de le retrouver à Noyon, où sa présence serait constatée à la même époque dans un acte d’arbitrage avec la seule qualification de chanoine. Il est remplacé à Amiens par Thomas de Cormont, puis par Renaud de Cormont son fils, qualifié, tout comme Pierre de Montereau, de « cementarius » et vivant encore en 1288 ; la pierre centrale du labyrinthe (posée en cette année 1288) portait en même temps la figure de l’évêque Évrard de Fouilloy, fondateur de la nouvelle cathédrale, et celles des trois maîtres de l’œuvre incrustées en marbre blanc. Mais il faut arriver jusqu’à l’année 1390 pour identifier un nouveau maître maçon de la cathédrale, Pierre Largent (qui quelques années plus tard travaille à l’abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer), suivi bientôt de Colard Brisset, signalé en 1420. La tour du nord a été élevée vraisemblablement par l’un ou l’autre de ces deux architectes. Nous savons encore qu’en 1497, sous la direction du maître d’œuvre Pierre Tarisel (qu’on retrouve à Noyon et à Paris), on entreprit d’accompagner d’arcs-boutants supplémentaires ceux de la partie droite du chœur, qui manquaient d’aplomb, de reprendre en sous-œuvre un des piliers du côté nord du chœur et les voûtes du bas côté voisin, enfin d’établir une forte chaîne de fer dans toute la galerie du triforium pour remédier à une déviation qui devenait inquiétante au transept : ces travaux considérables furent remarquablement exécutés aux premières années du xvie siècle.

On aimerait à connaître les auteurs de la cathédrale de Noyon, dont la majesté sévère ne saurait se comparer à la gracieuse silhouette d’Amiens, et qui d’ailleurs est d’une construction bien antérieure : au xiiie siècle se rapportent seulement la façade et le clocher méridional, puis, après le feu qui dévora la charpente et fit crouler les voûtes et l’arc triomphal (1293), on répara les dommages causés par l’incendie et on remplaça, en les doublant, les anciens arcs-boutants. C’est en 1333 que l’on trouve un premier nom de maître maçon, Tassard, qui restaure la tour du nord, et plus tard ceux de Jean Turpin, architecte de Péronne, qui visite en 1459 la cathédrale en très mauvais état, de Jean Masse et d’Adam Courtois, qui viennent peu de temps après de Compiègne pour le même objet, et de Pierre Brissart, arrivé à son tour de Saint-Quentin pour se rendre compte des désordres produits dans l’édifice par la poussée des voûtes et le tassement des murs : l’année suivante, Jean Masse et Jean Turpin, aidés d’un confrère nommé Florent Bleuet, établissent un devis où il est question de reprendre des piles en sous-œuvre, de remplacer des arcs-boutants au chevet, d’étayer les ogives du déambulatoire, de restaurer des murs et des contreforts soutenant les bas côtés de la nef, et de réparer les voûtes qui s’écroulaient ainsi que la tour du nord. Il y eut donc, à partir de 1460, une série de travaux considérables qui furent confiés aux experts déjà nommés : toutefois on dut, faute de fonds, en ajourner plusieurs qui n’étaient pas encore exécutés lorsque intervint le maître d’œuvre Pierre Tarisel : en 1476 les voûtes menacèrent encore d’entraîner toute la construction dans leur chute, les arcs-boutants et les culées du côté septentrional avaient besoin d’une urgente consolidation ; on changea en outre plusieurs piliers dans la partie droite du chœur et on s’occupa de la restauration de la tour du nord.

Donnons en passant un coup d’œil sur une église qui vaut une cathédrale, la collégiale de Saint-Quentin, dont le chœur et la tour paraissent bien avoir été, au milieu du xiiie siècle, l’œuvre du célèbre Villard de Honnecourt ; consolidé en 1316 par Jean Lebel, cet édifice fut plus tard (1372) maltraité par un certain Pierre Chaudun qui, révoqué pour malfaçons, voyant ses biens confisqués et employés par ordre du roi aux réparations de l’église, se pendit l’année suivante. Les maîtres d’œuvre Gilles Largent, frère d’un architecte de la cathédrale d’Amiens (1394-1400), Jean Douterrains et Jean Dervillers lui succédèrent ; ce dernier acheva le transept méridional, dont les voûtes étaient à refaire cinquante ans après. Puis, après Sébastien Trestant (venu de Laon) et Colin de Mantes dont nous savons fort peu de chose, apparaissent Jacques Bolant, qui restaure les voûtes du chœur, et Noël Colard, arrivé de Valenciennes par ordre exprès du roi, en 1477, pour visiter l’église et reconstruire dans d’excellentes conditions le transept méridional, qui fut achevé en 1487.

Donnons en même temps un souvenir attristé à l’ancienne cathédrale de Cambrai, sottement démolie il y a un siècle : le plan du chœur et des chapelles absidales était l’œuvre de Villard de Honnecourt, qui vers 1230 avait pris modèle sur le chœur de la cathédrale de Reims ; nous savons aussi que la voûte de la croisée du transept avait été édifiée vers 1340 par le frère Gérard, maître maçon de l’abbaye de Vaucelles, et que peu d’années après des travaux furent exécutés à la flèche par Huward (1383) et Robert le Maçon (1389) ; en 1376 paraissent Jean Sawalle, qui restaure le clocher et les arcs-boutants de l’abside, et Jean Lecoustre (ce dernier est en 1396 maître de l’œuvre de l’abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer), puis en 1394-1415 Jean de Bouchain. À la fin du xive siècle on consulta pour la réparation de la flèche Martin de Louvain, architecte de la cathédrale de Tournai, et Gilles Largent, dont la présence a été constatée également à Arras et à Saint-Quentin. L’état de la tour du clocher motiva en 1440 une nouvelle expertise dans laquelle figurent, à côté de Mathieu de Corbie (qu’il convient de rattacher à Hue de Corbie, maître d’œuvre à Cambrai de 1368 à 1390, sans doute son parent), de Jean Lejosne, tous deux à la fois maîtres-maçons de la ville et de la cathédrale, et de Jean Blondel, « expert en taille », les noms de Jean d’Outremepuich, maître d’œuvre de l’église de Saint-Quentin, et de Michel de Reims, ce dernier maître d’œuvre à Valenciennes ; en 1448 Mathieu de Corbie et Jean du Croquet présentaient un devis pour la construction d’arcs-boutants nouveaux autour de la nef.

À Reims également, les archéologues regrettent l’église Saint-Nicaise, commencée en 1231, détruite en 1793, et que l’on s’accordait à traiter d’admirable : l’architecte qui en donna les plans, et qui mourut en 1263 après en avoir construit la plus grande partie, se nommait Hue Libergier ; sa pierre tombale, unique témoin de sa célébrité, nous a été conservée : il y est représenté tenant dans la main droite un modèle d’église à deux flèches, comme était Saint Nicaise. On pense que Robert de Coucy fut chargé de compléter l’œuvre qu’il laissait inachevée.

La cathédrale Notre-Dame de Reims, heureusement sauvée, est un exquis et grandiose édifice qui tire un surcroît de renom du fait que les rois de France s’y faisaient sacrer. Un an à peine après la destruction de la précédente église par un funeste incendie, la première pierre en fut posée le 6 mai 1211 : on sait exactement aujourd’hui quels furent les architectes qui en dirigèrent l’exécution : les inscriptions du labyrinthe, aidées de quelques documents, nous ont appris leurs noms. Le travail fut poussé avec un entrain prodigieux, d’abord par Jean d’Orbais, dont le surnom indique suffisamment l’origine, ou qui sans doute s’était déjà fait connaître par la construction de l’église abbatiale d’Orbais au diocèse de Soissons. Jean d’Orbais est l’auteur du plan et des élévations ; l’analogie du style de l’église d’Orbais avec le chœur de Reims a été signalée depuis longtemps, et l’on a supposé avec assez de vraisemblance qu’avant d’être devenu maître et célèbre, cet homme avait été employé ou avait fait son apprentissage à Saint-Remi de Reims, dont le chœur semble être lui-même le prototype d’Orbais. À la cathédrale, chœur et transept furent entrepris simultanément, mais ni l’un ni l’autre n’étaient terminés vers 1231 (ou 1239), date de la mort de Jean d’Orbais, l’un des plus grands architectes du xiiie siècle : son successeur Jean Leloup, qui demeura seize ans en fonctions, continua le travail sans innover et commença les portails ; puis vint Gaucher de Reims, continuateur du précédent

Photo Rothier. Pierre tombale de Hue Libergier, architecte de Saint-Nicaise de Reims.
Photo Rothier. Pierre tombale de Hue Libergier, architecte de Saint-Nicaise de Reims.
Photo Rothier.
Pierre tombale de Hue Libergier, architecte de Saint-Nicaise de Reims.

pendant huit années, et après lui Bernard de Soissons, resté trente-cinq ans sur la brèche, auteur des premières voûtes de la nef et de la grande rose. En 1241 le chœur était inauguré et le chapitre pouvait s’y installer ; en 1291, soit un demi-siècle après, le vaisseau de la nef était complètement clos, les admirables sculptures des portails, copiées ou imitées dans un lointain rayon et jusqu’à Bamberg, étaient depuis longtemps achevées ; et il n’est pas superflu d’observer que Bernard de Soissons a dû importer dans la ville dont il porte le nom, à Saint-Jean-des-Vignes, une imitation évidente de la façade de la cathédrale de Reims, et d’ajouter qu’il fut jusqu’à sa mort (entre 1290 et 1298) un fidèle et régulier observateur des traditions suivies par plusieurs générations dans les chantiers de cette cathédrale. Après lui, au contraire, Robert de Coucy, maître de l’œuvre de Saint-Nicaise et de Notre-Dame, décédé en 1311, fut un novateur, et on peut sans crainte d’erreur lui attribuer les deux tours. Si grand avait été le prestige de cette cathédrale, que le plan ou l’empreinte s’en retrouve à Saint-Quentin, à Notre-Dame-de-l’Épine, à Cambrai, à Châlons, et jusqu’en Angleterre. Villard de Honnecourt l’admirait bien avant son achèvement ; l’art du moyen âge s’est surpassé là comme à Chartres et à Amiens. Et après cette série à peu près ininterrompue de maîtres d’œuvre éminents, il suffira de mentionner, sans plus insister, ceux du xive siècle, Colard en 1318, Gilles de Saint-Nicaise en 1352-1358, Gilles le Macon, qui est peut-être le même que le précédent, mentionné en 1383, Jean de Dijon, appelé comme expert à Troyes en 1402, ainsi que Colart de Givry (1416-1452), auteur d’un magnifique jubé depuis longtemps disparu. D’ailleurs, pendant toute la période de la guerre de Cent ans, les ressources pécuniaires s’étaient singulièrement raréfiées, et de multiples entraves avaient mis obstacle au complet achèvement de l’édifice.

C’est une pierre tombale encore qui fournit le nom du premier maître d’œuvre de la cathédrale de Châlons-sur-Marne, Michel Lepapelart ; il y fut représenté comme Libergier à Saint-Nicaise de Reims. Inhumé en 1257, il avait présidé à la reconstruction partielle de cette cathédrale brûlée en 1230. Et l’on incline à le croire aussi l’architecte de l’église Notre-Dame de Châlons.

À Laon et à Soissons, nous sommes beaucoup plus pauvres, et nous n’insisterons pas sur ces deux cathédrales. Serait-ce qu’elles ne présenteraient pas assez d’intérêt ? Bien au contraire. Mais notre programme nous confine dans la biographie, et du seul Sébastien Trestant (xve siècle) nous ne savons que le nom et la participation à une expertise faite avec des confrères de la collégiale de Saint-Quentin. Ce sont là indications bien insignifiantes en regard de ce grandiose édifice des xiie et xiiie siècle qui domine la plaine de Laon à plusieurs lieues à la ronde. Quel regret encore d’ignorer les auteurs de la très exquise cathédrale de Soissons, qui servit de modèle à d’importants édifices de l’étranger !

Une courte excursion dans l’est de la France nous conduira à Metz, où la cathédrale trop méconnue présente

Photo Pritled. Nef de la cathédrale de Metz.
Photo Pritled. Nef de la cathédrale de Metz.
Photo Pritled.
Metz. — Nef de la cathédrale.

quelques caractères indéniables d’influence française. Œuvre imparfaite, commencée au xiiie siècle et qui n’a pu être achevée, elle possède un chœur remarquablement traité ; mais nous ne connaissons aucun des maîtres d’œuvre qui en dirigèrent l’exécution. Le premier en date dont le nom ait survécu est Pierre Perrat, mort en 1400, après avoir travaillé aux cathédrales de Metz, de Toul et de Verdun : son tombeau, élevé par les soins de son élève Thierry de Sierck et où il est figuré à genoux, existe encore. Après lui on cite encore, en 1443, Roger Jacquemin, aussi appelé à Toul, puis en 1468 Jean de Ranqueval, architecte de la tour terminée en 1481, et dont les contemporains font un brillant éloge. À Toul, on a conservé les traces de Simon de Verdun en 1406, et, après Roger Jacquemin, de son fils Girard Jacquemin, qui commença en 1460 l’édification de la façade sur les dessins de Tristan de Hattonchâtel.

À Troyes, deux édifices retiendront notre attention : la cathédrale Saint-Pierre, et l’église Saint-Urbain. La cathédrale a été en partie remaniée au xve siècle : on ne saurait bien dire quelle part respective doit être réservée au maître maçon Henri, signalé en 1294-1297, aux architectes Richer, Gautier et Geoffroy, ce dernier venu de Mussy-sur-Seine à titre d’expert ; au maître d’œuvre Thomas, auteur de grandes réparations effectuées au transept en 1365 et décédé en 1367 ; à ses successeurs Michelin Hardiot, Michel de Jonchery et Jean Thierry, à Jean de Torvoye, mort en 1384, à Thomas Michelin (1409-1427) qui présida à la construction du grand clocher, et fut remplacé par Jean Terrelion. En 1462 on voit le maître d’œuvre Antoine Colas plus spécialement chargé des réparations à effectuer au portail du transept nord ; son successeur en 1484, Jenson Garnache, exhausse les grands piliers de la nef et construit les voûtes de la grande nef (1497). Mais déjà les architectes imbus d’autres principes vont transformer leurs méthodes.

C’est une bien charmante et bien délicate église que Saint-Urbain de Troyes, entreprise en 1264, grâce à un subside considérable fourni par le pape Urbain IV, originaire de cette ville, et grâce au zèle que mit à la continuer un autre Troyen, le cardinal Ancher, neveu du pape Clément IV. Le plan et la construction du chœur et du transept sont l’œuvre d’un homme de génie, Jean Langlois, qui a réussi dans cet édifice à pousser jusqu’aux dernières limites les principes d’équilibre de l’art gothique, et que M. Lefèvre-Pontalis considère à juste titre comme le véritable précurseur du style élancé du xive siècle. Était-il originaire d’Angleterre ou avait-il fait dans ce pays un voyage qui lui valut son surnom ? Il est difficile de se prononcer. Bourgeois de Troyes, il appliqua dans la construction les procédés en honneur dans les écoles champenoise et bourguignonne. En 1267, il avait disparu, s’étant croisé, et ayant laissé une situation embarrassée.

On sait, par le récit d’un vieux chroniqueur anglais (Gervais de Canterbury) que Guillaume de Sens, « aussi habile en charpenterie qu’en architecture », avait été choisi parmi plusieurs architectes français et anglais, en 1175,

Photo Neurbein. Troyes. — Église Saint-Urbain.
Photo Neurbein. Troyes. — Église Saint-Urbain.
Photo Neurbein.
Troyes. — Église Saint-Urbain.

pour reconstruire la cathédrale de Canterbury. Or, si l’on veut bien constater que les grands travaux de réédification de la cathédrale de Sens étaient terminés en 1168, et que cette ville abrita pendant quelque temps l’archevêque de Canterbury Thomas Becket, mort en 1170, on sera volontiers amené à conclure que ce Guillaume fut le grand maître d’œuvre de la cathédrale Saint-Étienne : l’archéologie d’ailleurs n’y contredit pas, car des particularités qu’on observe dans l’une de ces églises, notamment l’accouplement des colonnes et les voûtes sexpartites, se rencontrent dans l’autre. Malheureusement, de 1175 à 1319, lacune considérable : à cette dernière date paraît un autre architecte éminent, Nicolas de Chaumes, en même temps maître des œuvres du roi, qu’on retrouve aussi à Meaux et à Chartres, et qui, aidé de l’appareilleur Pierre de Roissy, vient régulièrement mais rarement à Sens pour examiner les travaux à faire, et passe des marchés pour la fourniture des matériaux. Parmi ses successeurs dans les fonctions de maître d’œuvre de la cathédrale, on connaît Jean de Varinfroy dont la présence à Sens est contemporaine d’un séjour qu’il fit à Auxerre (1341), également comme maître d’œuvre de sa cathédrale, et dont un parent avait été antérieurement maître d’œuvre à Meaux : à Jean de Varinfroy doit être attribuée la galerie à jour et la partie supérieure de la tour méridionale. Les comptes de la fabrique mentionnent ensuite Nicolas de Reuilly (1361 et 1378), Étienne Jacquin (1393 à 1407), son fils Jean Jacquin (1415), Verain Moreau (1439), Guillaume Courmont (1442-1451), Simonet Mercier (1457-1467) et François Nobis (1468), puis Antoine Lusurier, qui sont tous praticiens, mais nullement artistes. Pendant toute cette période fort troublée, les travaux furent d’ailleurs peu considérables ; on s’occupa surtout de la démolition et de la reconstruction du clocher : en 1450 eut lieu une expertise générale de la tour neuve, des arcs-boutants et des murs de la cathédrale.

Pour la cathédrale d’Auxerre, dont le chœur date de 1215-1234 et la nef du xive siècle, à l’exception de Jean de Varinfroy, nous sommes dans l’impossibilité absolue de nommer quelque maître d’œuvre ; pour celle de Nevers, notre ignorance est encore plus grande, et pour celle de Meaux, plusieurs noms ont surgi. Laissons de côté Villard de Honnecourt, à qui l’on attribue sans preuves suffisantes le chevet de cette dernière église. Un architecte d’origine locale, Gautier de Varinfroy, dirige en 1253 les travaux et peut-être a donné les plans ; mais la négligence avec laquelle furent jetés les fondements et conduites les maçonneries a nui fortement à la solidité plus d’une fois compromise du monument. Dès le début du xive siècle l’évêque de Meaux Simon Festu est obligé de faire restaurer complètement les voûtes des bas côtés du chœur et de procéder à des réparations coûteuses : il est probable qu’il s’adressa pour ces travaux à son protégé Pierre de Varinfroy, sans doute fils de Gautier, et qui fut l’architecte du collège de Navarre à Paris. Après lui, Nicolas de Chaumes, maître d’œuvre influent dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, fut prié d’examiner les constructions

Photo Neurbein. Bourges. — Cathédrale.
Photo Neurbein. Bourges. — Cathédrale.
Photo Neurbein.
Bourges. — Cathédrale.

antérieures et d’établir un devis pour les constructions futures (octobre 1326) : il faut reconnaître en lui l’auteur du programme tracé à cette époque pour l’élévation de la façade et des tours, et très incomplètement exécuté par de maladroits successeurs. Nicolas de Chaumes n’était point satisfait d’ailleurs de son projet ; l’état des finances l’obligeait à le restreindre ; mais cet architecte se fût sans doute mieux tiré lui-même des remaniements obligatoires et des raccordements nécessaires. Le monument a subi ultérieurement des déformations d’un effet fâcheux, sans que l’on puisse, faute de preuves, discerner les responsabilités.

S’il est au contraire un édifice où la science profonde et l’étonnante habileté ont eu raison des plus grandes difficultés, c’est bien la cathédrale de Bourges, œuvre géniale où tout concourt à une parfaite entente de la statique et de l’appareillage. On pense que le plan et les premiers travaux sont dus à un architecte parisien, qui serait venu à Bourges avant 1180 : un peu plus tard, Eudes de Sully, ancien chanoine de Bourges, fut élu évêque de Paris alors que son frère était archevêque de Bourges. Et l’on constate une grande analogie des premières voûtes avec celles du chevet de Notre-Dame de Paris. Beaucoup plus tard on signale un maître d’œuvre qui paraît avoir travaillé assez longtemps à la cathédrale de Bourges, Robert de Touraine, procureur général de Dreux de Dammartin en 1410, encore en fonctions en 1423.

L’église cathédrale Saint-Gatien de Tours, commencée en 1268, fut terminée en 1547 ; l’auteur du plan pourrait être cet Étienne de Mortagne, qualifié de maître d’œuvre à la fin de l’année 1279, et vraisemblablement le même qui conduisit les travaux de construction de la magnifique église abbatiale de Marmoutier où il aurait été enterré en 1293. Après lui, son confrère Simon du Mans semble bien avoir continué les traditions de son prédécesseur. Le xiiie siècle vit s’élever le chœur et l’abside ; le xive est contemporain du transept et des premières travées de la nef : les malheurs des temps et les malfaçons précédentes ne permirent pas de continuer avec régularité l’édification. On ne sait au juste quel rôle on doit attribuer au maître de l’œuvre André Frèredoux, signalé en 1385 ; mais Guillaume Leroux serait l’auteur de la magnifique charpente qui couvre la partie de la nef achevée en 1430. Dès 1432, nous nous trouvons en présence d’un architecte célèbre, Jean de Dammartin, et il reparaît encore comme « maître de la maçonnerie » de l’église métropolitaine jusqu’en 1453, en même temps que l’on suit sa trace à Paris et au Mans. Si celui-ci termine la nef, le portail fut commencé par Jean Papin, mort en 1480 et enterré dans l’église Saint-Pierre-des-Corps ; le clocher septentrional serait l’ouvrage de Jean Durant, ancien compagnon de chantier, à l’extrême fin du xve siècle.

Après deux incendies successifs, la cathédrale Saint-Julien du Mans fut rebâtie vers 1140 ; la nef et les transepts étaient terminés en 1158, date de la dédicace solennelle de l’église. C’est après 1217 seulement que l’on songea à entreprendre le magnifique chœur, d’une harmonie si grandiose et d’une conception si habile : les travaux étaient

Photo G. Fleury. Chœur de la cathédrale du Mans.
Photo G. Fleury. Chœur de la cathédrale du Mans.
Photo G. Fleury.
Le Mans. — Chœur de la cathédrale

poussés avec activité en 1250, et quatre ans après assez avancés pour qu’on eût l’idée d’une translation solennelle des reliques du saint patron. Un premier architecte sans doute originaire de l’Île-de-France en avait jeté les bases ; un architecte normand. Thomas Toustain, en dirigea l’exécution en y important des éléments nouveaux empruntés surtout aux cathédrales de Coutances et de Bayeux. N’est-il pas bon de signaler qu’à cette même époque l’abbé du Mont-Saint-Michel s’appelle Richard Toustain, tandis que Guillaume Burel, évêque d’Avranches de 1210 à 1236, était un ancien chanoine du Mans ? Combien évidentes sont d’ailleurs les analogies entre les cathédrales du Mans et de Coutances ! Si les difficultés ont été résolues différemment, les deux édifices n’en comportent pas moins d’évidentes symétries de plan et d’élévation ; de plus l’ornementation des chapiteaux est la même : Coutances serait volontiers considéré comme le prototype du Mans. Convient-il encore d’invoquer ici, à propos des travaux exécutés à la fin du xiiie siècle, le nom de Simon du Mans, découvert à Tours ? Nul ne saurait l’affirmer. On peut être tout à fait catégorique au contraire à l’égard du maître d’œuvre Mathieu Julien, qui paraît avoir achevé les parties hautes du chœur et commencé, au début du xive siècle, la croisée de la cathédrale et le croisillon méridional, terminé d’ailleurs longtemps après par Jean le Maçon. Quant au croisillon opposé, dont la première pierre fut posée en 1402, il est l’œuvre de Nicolas de Lécluse, mentionné en 1419, mort l’année suivante et remplacé aussitôt par Jean de Dammartin, originaire de Jargeau près d’Orléans, et très capable de mener à bonne fin les conceptions de son prédécesseur. Les travaux à cette époque, malgré l’occupation anglaise, marchaient avec rapidité, et ce dernier architecte a terminé le gros œuvre de la cathédrale, où la sveltesse du transept ne le cède en rien à la hardiesse du chœur, où la vigoureuse lancée des contreforts ne nuit pas à l’harmonieuse pondération du chevet. Rien n’y décèle l’embarras ; les combinaisons savantes des architectes de plusieurs générations successives ont permis d’élever un monument où rien n’a été abandonné au hasard. En août 1425 les Anglais, après un siège très court, devenaient maîtres de la ville, et Jean de Dammartin se rendit à Tours pour ne plus reparaître au Mans.

L’histoire de l’admirable cathédrale de Coutances n’apporte aucun nom de maître d’œuvre ; de même à Bayeux, avec son chœur circulaire, ses colonnes monocylindriques et ses chapiteaux richement ornementés, et dont la plus grande partie de la construction remonte à l’épiscopat de Hugues de Morville (1208-1238). À l’église abbatiale Saint-Étienne de Caen, une inscription non datée, mais sûrement du début du xiiie siècle, fait connaître le nom et la sépulture de l’architecte Guillaume auquel on doit le chœur si original de cet édifice : « Guillelmus jacet hic petrarum summus in arte, iste novum perfecit opus » ; mais nous n’en saurions dire davantage. La cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, de style français, avec une abside et une façade normandes, est construite

Photo Neurdein. Clermont-Ferrand — Nef de la cathédrale.
Photo Neurdein. Clermont-Ferrand — Nef de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Clermont-Ferrand — Nef de la cathédrale.


Photo des Monuments historiques. Limoges. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques. Limoges. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments Historiques.
Limoges. — Nef de la cathédrale.


entre 1140 et 1233 ; c’est l’œuvre homogène d’architectes demeurés inconnus ; en 1452 seulement nous voyons Jean Robin travailler à la lanterne, avec l’aide des deux Beroult, cités par l’historien Th. Basin, et en 1485-1488 le maître d’œuvre Guillaume Delarbre visite les fondations de la tour méridionale et restaure l’extérieur. De la cathédrale d’Évreux nous ne connaissons qu’un « maître-maçon juré », Jean Le Roy, mentionné dans deux documents de 1442 et 1455. Et la cathédrale de Sées présente deux parties bien distinctes : les croisillons, le chœur, et les chapelles absidales, sensiblement postérieurs à la nef absolument caractéristique du gothique normand (1220-1240), acquièrent une hardiesse savante qui atteint presque le maximum de légèreté (le chœur, mal fondé, a été complètement reconstruit il y a quelques années) ; malheureusement nous ne pouvons citer qu’un seul maître d’œuvre tardif, Jean Audis (1433), occupé alors à des restaurations, en même temps qu’il construisait une chapelle à La Ferté-Bernard, et qu’on retrouve plus tard (1457) sculptant une grande image de saint Michel à la cathédrale de Rouen. On est en somme très pauvre de renseignements sur les auteurs de nos belles églises de Normandie.

Saint-Maurice d’Angers est une cathédrale commencée en 1140, et en grande partie édifiée dans le courant du xiie siècle ; elle présente ce caractère très rare dans le Nord, fréquent dans le Midi, de ne posséder qu’une seule nef ; on a écrit avec raison que son caractère local est très accentué. Guillaume Robin en est le seul architecte connu ; il apparaît en 1451 et décède en 1463 ; aucun travail considérable n’a été entrepris sous sa direction.

Les arcs-boutants sont rares aussi dans le sud de la France ; on ne les rencontre guère que dans les monuments imités, à partir de la seconde moitié du xiiie siècle, de l’architecture du Nord (cathédrales de Vienne, Rodez, Narbonne, Clermont-Ferrand, Limoges, Bordeaux, etc.) ; dans certains cas les contreforts épais conservent plutôt l’aspect roman. Dans le département de l’Hérault, les églises de Clermont-l’Hérault (1273-1313) et de Valmagne (1257-xive siècle), toutes deux à trois nefs, sont de beaux spécimens d’architecture gothique, et leurs élégantes proportions rappellent ce qui se voit dans le nord de la France.

La cathédrale de Clermont-Ferrand, dont les travaux commencèrent en 1248, possède un chœur consacré à l’extrême fin du xiiie siècle, et une nef construite entre 1340 et 1345 ; l’architecte primitif, qui y a été inhumé, fut un maître d’œuvre nommé Jean Deschamps, originaire des provinces septentrionales ; l’architecte de la nef fut Pierre de Cébazat, qui à la même époque a donné les plans de l’église du monastère voisin de la Chaise-Dieu.

Il y a de sérieuses analogies entre la cathédrale de Clermont et celle de Limoges, laquelle est incontestablement conçue par un étranger au pays ; les travaux furent entrepris en 1273 et se continuèrent assez parallèlement. Mais aucun nom de maître d’œuvre n’a encore été relevé avant un certain Étienne le Maçon, qui fonctionna de 1357 jusqu’à sa mort survenue en 1370: après lui on cite Jean

Photo des Monuments historiques. Abside de la cathédrale de Narbonne.
Photo des Monuments historiques. Abside de la cathédrale de Narbonne.
Photo des Monuments historiques.
Narbonne. — Abside de la cathédrale

Damnand et Jean Placen, qui en 1388 se préoccupent de consolider le clocher.

Guillaume de Grimoard, devenu pape sous le nom d’Urbain V, et originaire du Gévaudan, fait reconstruire la cathédrale de Mende en 1368 ; le premier maître de l’œuvre connu, en 1372, s’appelle Pierre Juglar, qui douze ans plus tard construira avec Guy de Dammartin le palais du duc de Berri et une Sainte-Chapelle à Riom ; mais les calamités publiques interrompirent ensuite pendant un assez long temps, comme dans toute la région voisine, les travaux repris seulement avec quelque activité en 1452 : alors le chapitre traite à forfait pour la construction du chevet avec les maîtres Pons Gaspar et Jean Durant (dit Jean d’Auvergne). Ce dernier est aussi l’auteur des piliers du chœur, du déambulatoire et de plusieurs chapelles. Le gros œuvre était achevé en 1466, et ce fut alors l’architecte de la cathédrale de Saint-Flour qui vint examiner l’édifice et donner son avis sur sa valeur technique.

En 1277, l’ancienne cathédrale de Rodez étant en très mauvais état, on se décida à la reconstruire, et là encore on voit la prépondérance de l’architecture du Nord. Pendant vingt ans, on poussa les travaux avec activité, et bientôt s’élevèrent sur un plan homogène l’abside, les deux premières travées du chœur, les bas côtés correspondants, et les onze premières chapelles ; Étienne, maître d’œuvre, est cité en 1289-1294. Après une assez longue interruption, on songea en 1325 à une reprise, mais le plan, trop vaste pour les ressources de la fabrique, ne pouvait être exécuté facilement (Guillaume Bosquet est maître d’œuvre en 1358-1360), et à la fin du xive siècle, malgré quêtes, indulgences, lettres pressantes, le chœur n’était pas terminé. Ce n’est guère qu’en 1440 que l’on se remit à la besogne, et sur de nouvelles bases. Conrad Roger construisit alors les piliers du collatéral nord. En 1448, un maître d’œuvre nouveau venu (le même qui avait travaillé à Lyon et avait déjà séjourné antérieurement à Rodez), Jacques Morel, fait adopter un plan et un style différents, et passe marché pour la construction d’un portail ; mais, ayant disparu un beau matin en laissant son travail inachevé, il est remplacé en 1456 par Thibaut Sonier. En même temps un autre maître d’œuvre, Raymond Dolhas, dit Castelvert, et Gérard Dolhas son fils, suivant un marché du 31 décembre 1449, entreprennent de continuer le chœur de la cathédrale en se conformant au plan ancien ; ils sont remplacés bientôt par Richard (vers 1450), puis par Vincent Sermati et son fils Jean Sermati, qui vinrent de Saint-Flour en 1462 pour terminer le chœur. Après un nouveau marché conclu en 1465 avec André Amalric, dont le chapitre ne fut sans doute point satisfait, on se décida à faire exécuter la continuation des travaux par voie de régie, et le premier architecte ainsi nommé fut Bernard Anthony, vers l’an 1500.

Au milieu du xiiie siècle, la cathédrale Saint-Just de Narbonne tombait en ruines et on songea à la réédifier. La nouvelle construction, commencée en 1272, présente de réelles analogies avec les cathédrales de Limoges et de Clermont : c’est du reste Jean Deschamps, auteur du plan de cette dernière cathédrale, qui donna celui de Narbonne ; le chœur était achevé en 1319, les tours le furent en 1332. On sait qu’en 1320 la conduite de ces opérations était confiée à deux maîtres d’œuvre, Henri de Narbonne et Jacques de Favières, qui quelques années plus tard allèrent successivement diriger les travaux de la cathédrale de Gerona (Catalogne) ; le chœur de Narbonne doit leur être attribué. Parmi leurs successeurs on en connaît un seul, Raymond Aycard en 1346.

À Bordeaux, la cathédrale Saint-André date en partie du xiiie siècle, et la nef était primitivement de style angevin. Mais nos renseignements sur les maîtres d’œuvre ne commencent qu’avec Guillaume Albert, mort en 1366, Vital de Martres (1411), Guillaume Géraud, qui d’ailleurs l’emplissait simultanément des fonctions analogues aux églises Saint-Michel et Saint-Seurin (1420), et Colin Tranchant, « maître en géométrie » (1425), également chargé des travaux de construction à Saint-Seurin ; plus tard nous trouvons le nom de Jean Despinay (1480). Rappelons seulement que le célèbre clocher dit de Pey-Berland fut élevé d’après un projet qu’accepta le chapitre en 1429[8].

Laissant à regret de côté les auteurs des cathédrales de second ordre sur lesquelles notre ignorance est complète, nous terminerons cette revue générale des grandes églises gothiques par Saint-Jean de Lyon, dont la construction commença vers 1110-1118 ; mais les plus importants travaux furent exécutés de 1190 à 1260 : de cette époque datent la nef, la rose septentrionale, la voûte de l’abside, le transept et les croisillons ; la façade et le portail appartiennent au xive siècle, ainsi qu’un des clochers (vers 1330). On connaît le nom d’un certain Robert le Maçon, cité en 1147, mais rien ne prouve qu’il ait été chargé d’une direction quelconque. On a une certitude au contraire pour les maîtres d’œuvre dont les noms suivent : Gauthier en 1270, Jean Richard en 1292, Jean de Longmont en 1316-1320, Jean de Remacin en 1359, associé avec un confrère nommé Guillaume Marsat, Jean de Saint-Albin en 1362, Jean Bertel, originaire d’Auxerre, en 1368, Jacques de Beaujeu, mentionné dès 1370 et décédé en 1418, après avoir achevé la façade et la grande rose qui l’orne. Son successeur Jacques Morel, demeuré à Lyon de 1418 à 1425, a surtout laissé un renom considérable comme sculpteur, étant l’auteur du magnifique mausolée (détruit) du cardinal de Saluces à Lyon, du célèbre tombeau de Charles de Bourbon à Souvigny en Bourbonnais, et du plan du tombeau du roi René à Angers, que la mort l’empêcha de terminer en 1459 ; sa présence est signalée à Avignon, à Montpellier en 1448, ainsi qu’à Rodez en 1448-1456. Le chapitre cathédral de Lyon, dès 1425, avait remplacé cet artiste vagabond par Pierre Noyset, auquel succédèrent bientôt Jean Robert (1430-1438), devenu plus tard maître des œuvres du roi René en Provence, et Antoine Montain (1447-1459).

Dans les longues nomenclatures qui précèdent, que de personnages secondaires ! mais aussi que d’illustrations méconnues ! On voudrait une intimité plus grande avec ces créateurs de génie qui ont fait jaillir de notre sol français tant de merveilles, et l’on déplore de n’être pas admis à faire un partage équitable entre ceux de ces architectes qui ont su trouver des inspirations capables de réaliser dans l’exécution des progrès et des perfectionnements raisonnés, et la longue phalange des autres qui se sont, après la période d’apogée surtout, contentés d’entretenir et de consolider les monuments dont ils avaient la charge.


V
L’expansion française à l’étranger.

L’expérience consommée que surent brillamment acquérir ces maîtres d’œuvre dans la construction de toutes les églises gothiques de France a partout forcé les frontières ; la renommée dont ils jouissaient se répandit au loin, et peu de contrées purent se soustraire à leur influence. Au nord, à l’est, au midi, jusque dans d’infimes villages, on découvre chaque jour de nouveaux édifices qui portent en eux-mêmes l’indiscutable trace d’une imitation plus ou moins défigurée de notre architecture gothique ; bien plus, les témoignages des chroniqueurs, les textes les plus authentiques révèlent une manifestation lointaine de cet art français. Les apôtres de cette expansion se recrutent dans le clergé régulier, principalement chez les Cisterciens dont les couvents épars sont toujours bâtis, dans la seconde moitié du xiie et au xiiie siècle, sur des modèles empruntés à la Bourgogne ; ce sont les princes de la maison de France, qui choisissent des artistes parmi leurs compatriotes et les emmènent à leur suite ; ce sont des prêtres autochtones qui, promus archevêques hors de France, se souviennent du chef-d’œuvre qui embellit la métropole à l’ombre de laquelle ils ont grandi ; ce sont de simples ouvriers étrangers qui, venus dans nos chantiers pour y faire leur apprentissage auprès de maîtres éminents, et devenus maîtres à leur tour, ont rapporté dans leur patrie des procédés et des plans dont ils ne tardèrent pas à faire usage instinctivement ; c’est enfin cette puissante civilisation qui, au temps de Louis IX et de Philippe IV, débordant sur le monde entier, sut faire triompher un art né dans le bassin de la Seine et devenu en peu de temps universel.

Un chroniqueur anglais, témoin de l’incendie qui détruisit le chœur de la cathédrale de Canterbury en septembre 1174, rapporte que, parmi les architectes français et anglais venus pour donner leur avis sur la reconstruction, le choix du chapitre se fixa sur Guillaume de Sens, « aussi habile en charpenterie qu’en architecture ». Celui-ci accepta, mais trois ans après le pauvre homme tombait d’un échafaudage d’une hauteur de cinquante pieds, restait des mois entiers au lit et ne pouvant se rétablir, regagna de son mieux sa patrie. Il avait réédifié la nef ; le confrère anglais qui le

Photo des Monuments historiques. Abside de la cathédrale de Bordeaux.
Photo des Monuments historiques. Abside de la cathédrale de Bordeaux.
Photo des Monuments historiques.
Bordeaux. — Abside de la cathédrale.

remplaça reconstruisit le chœur en conservant le plan de son prédécesseur. De nombreux détails de disposition, dans les voûtes, dans les colonnes, dans les moulures, seraient là pour attester l’analogie entre Sens et Canterbury s’il en était besoin. D’autres églises construites en Angleterre au xiiie siècle conservent des traces évidentes d’influence normande, mais il n’est pas nécessaire que pour cela les maîtres d’œuvre aient traversé la Manche : les modèles ont été pris à Coutances, à Bayeux, dans cette province de Normandie qui eut toujours tant d’affinité et de relations avec l’Angleterre. Et par l’Angleterre l’architecture gothique a pénétré en Norvège (Trondjhem, Stavanger).

En Suède, au contraire, l’importation semble avoir été directe. Déjà, grâce aux Cisterciens, diverses églises conventuelles présentaient des symptômes réels d’influence française ; mais la coopération la plus intéressante à constater est celle d’Étienne de Bonneuil, qui devint « maistre de l’euvre de l’église de Upsal en Suece » ; d’origine parisienne très vraisemblablement, il signa un contrat par lequel il acceptait de se rendre à Upsal avec divers « compaignons et bachelers », et put partir en septembre 1287 : sa présence est signalée dans cette résidence lointaine quelques années plus tard, sous la désignation de « Stephanus lapicida ». La cathédrale d’Upsal rappelle un peu Paris et Amiens : on peut le constater malgré les nombreuses restaurations qui l’ont défigurée, et d’autres édifices de la Suède (par exemple Malmö) dérivent à leur tour d’Upsal.

En Allemagne, on trouve à la cathédrale de Magdebourg, à Bamberg, à Limbourg sur la Lahn, à Halberstadt, des imitations plus ou moins directes de la cathédrale de Laon, dont ces églises sont en partie contemporaines ; de même la cathédrale de Soissons ou sa voisine l’église abbatiale de Braisne ont servi de type à Xanten, à Trêves ; de même le plan de la cathédrale d’Amiens a inspiré celui de Cologne, et l’école bourguignonne a fait souche à Ratisbonne. La sculpture de Naumbourg sort de Reims ; celle de Bamberg vient de Chartres. Mais en toutes ces villes les architectes ont-ils été d’origine française ? Ne faut-il pas croire plutôt à des maîtres d’œuvre ayant émigré en France puis revenus dans leur pays avec des méthodes françaises, qu’ils abandonnèrent assez vite parfois, à l’exemple de cet architecte de la collégiale de Wimpfen sur le Neckar, en 1268, « qui tunc noviter de villa Parisiensi e partibus venerat Francie » ? On connaît le premier architecte de la cathédrale de Strasbourg, qui est un véritable Allemand : mais celui-là avait dû sans aucun doute séjourner en France. Tout en s’inspirant d’autrui, l’art gothique allemand reste souvent allemand.

Nous savons cependant que Mathieu d’Arras, qui travaillait à Avignon en 1342, emmené par l’empereur Charles IV pour aller embellir Prague et doter cette ville d’une cathédrale, en donna les plans et en dirigea l’édification jusqu’à sa mort ; nous savons aussi que ce monument fut continué après lui par Henry Arler, ancien maître des œuvres de Boulogne-sur-Mer, et terminé par Pierre Arler, son fils sans doute, en 1386. On assure que Henry aurait en outre préparé les plans de la cathédrale d’Ulm. Rappelons aussi

Gravure de la cathédrale de Sens
Gravure de la cathédrale de Sens
Sens. — Cathédrale.
Gravure - Cathédrale de Canterbury.
Gravure - Cathédrale de Canterbury.
Canterbury. — Cathédrale.
(D’après Bond, Gothic Architecture in England. — B. T. Batfords, éditeur, Londres.)


Villard de Honnecourt : lui-même s’est chargé de nous apprendre qu’il fut mandé en Hongrie dans la première moitié du xiiie siècle, et qu’il y demeura un assez long temps, semble-t-il. On ne sait au juste quel rôle fut le sien sur la terre étrangère, mais il est difficile de penser qu’il n’y vécut pas de son métier : on lui attribue sans preuves suffisantes la construction de la cathédrale de Cassova, qui avec quelques autres cependant a toutes les apparences d’un monument français[9]. D’autre part, toujours en Hongrie, l’ancienne cathédrale de Calocza, où l’on a reconnu des analogies avec Chartres, possédait autrefois la sépulture de l’architecte qui vraisemblablement l’avait édifiée au xiiie siècle, un Français nommé Martin Bavegy : sa pierre tombale existe encore, encastrée dans le chevet de la cathédrale moderne.

En Espagne, on a peu de témoignages formels. Dans les premières années du xiiie siècle, l’ancien monastère de Val de Dios, où s’introduisent les Cisterciens, est enrichi par eux d’une nouvelle église dont la première pierre est posée en présence de maître Gautier, architecte français, et qui est de style gothique primitif. À Gerona on constate en 1320 la présence des maîtres d’œuvre de la cathédrale de Narbonne, et la France dès le xiiie siècle a importé en maint endroit son style gothique du Nord sous des influences diverses : la cathédrale de Burgos a quelques rapports avec Bourges ; celle de Leon a de frappantes analogies avec Chartres ; celles d’Avila, de Salamanque et de Zamora, un peu plus anciennes, dérivent aussi de notre architecture, quoique moins nettement. Quant à la cathédrale de Tolède, elle a été fondée en 1226 et on doit sa construction à un architecte français nommé Pierre, qui fit souche dans le pays (M. Enlart l’identifie avec Pierre de Corbie) ; là aussi l’influence de Bourges est caractéristique.

L’Italie n’a pas échappé à la règle générale. C’est un maître d’œuvre parisien, Philippe Bonaventure, qui part en 1389 pour l’Italie où il va diriger, mais pour deux ans seulement, les travaux du fameux « duomo » de Milan, commencés depuis peu ; dix ans après, paraissent de nouveaux architectes parmi lesquels Pierre Loisart ; puis, sur la recommandation d’un habitant de cette ville, « Johannes Alcherius », le chapitre accepte pour conduire l’œuvre un architecte parisien qui se nomme Jean Mignot ; mais l’engagement fut de courte durée[10]. On trouve en Toscane des spécimens très intéressants d’architecture bourguignonne, introduite par les Cisterciens à San Galgano et à Casamari, et l’influence du gothique français se fit sentir par là dans les cathédrales de Sienne, d’Assise, de Gênes, même jusqu’à Bologne : malheureusement on ne possède aucune donnée sur les intermédiaires auxquels on doit attribuer

Photo Neurdein. Coutances. — Abside de la cathédrale.
Photo Neurdein. Coutances. — Abside de la cathédrale.
Photo Neurdein.
Coutances. — Abside de la cathédrale.

l’importation ainsi constatée. L’Italie méridionale est, elle aussi, peuplée d’églises de style français : citons entre autres les cathédrales de Cosenza, de Lanciano, de Barletta, élevées au xiiie siècle. Vers 1260, on voit l’empereur Frédéric II, qui avait assisté en Allemagne à l’éclosion du gothique français, confier la direction de ses travaux de construction à un ingénieur militaire de renom, Champenois d’origine, Philippe Chinard, qu’il avait connu en Chypre. Peu d’années après, Charles d’Anjou aura à son service un ingénieur-architecte français, Jean de Toul (ou de Lorraine), et son maître d’œuvre Pierre d’Angicourt, venu de l’Île-de-France, est intitulé dans les comptes « prothomagister operum curie » (1269-1284) : nul doute qu’on lui doive quelques-uns des nombreux édifices religieux élevés alors dans le royaume de Naples avec les méthodes françaises, comme les cathédrales de Naples et de Lucera. Ces influences étrangères durèrent environ un siècle. Dans les États pontificaux, on voit Benoît XII, en 1335, confier la mission de surveiller la réparation de la basilique de Saint-Pierre de Rome à Jean Poisson, originaire de Mirepoix et frère d’un des principaux architectes du palais des Papes à Avignon. Un autre de ces architectes, Guillaume Colombier, émigra aussi en Italie ; on trouve sa trace, en 1377, à Anagni et à Rome.

L’île de Chypre, où régnèrent assez longtemps des princes de souche française, devait être fatalement enveloppée dans cette diffusion générale. Les preuves en sont nombreuses et évidentes. À Nicosie, l’archevêque qui entreprit d’édifier la cathédrale était Parisien, frère d’un chantre de Notre-Dame ; un de ses successeurs était un ancien archidiacre de Troyes, et sans aucun doute des architectes parisiens ou champenois y ont collaboré. Eudes de Montereau, qu’on a toutes raisons de croire fils de Pierre, accompagna Louis IX en Palestine ; on lui doit les fortifications de Jaffa comme celles d’Aigues-Mortes ; il était l’auteur de la célèbre église (détruite) des Cordeliers à Paris et d’autres monuments en France ; son passage en Chypre, pendant l’année 1247, n’a sans doute pas été sans influence sur la cathédrale de Nicosie. D’autres monuments contemporains, étudiés avec soin par M. Enlart, dérivent plus ou moins directement de la Sainte-Chapelle de Paris, et c’est là sans doute encore un des résultats du voyage royal. Plus tard s’éleva dans un autre coin de l’île la cathédrale de Famagouste, à rapprocher de l’église Saint-Urbain de Troyes : peut-être conviendrait-il d’y rattacher le souvenir de ce Jean Langlois, fameux maître d’œuvre troyen déjà nommé, qui quitta la Champagne en 1267 pour un pèlerinage à Jérusalem.


VI
La décadence.

« L’architecture gothique tomba malade du même mal que la philosophie et la poésie, la subtilité » (Renan). Les architectes avaient accompli de véritables tours de force, « engageant une sorte de défi avec la pesanteur et l’espace ».

Photo des Monuments historiques. Angers. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques. Angers. — Nef de la cathédrale.
Photo des Monuments historiques.
Angers. — Nef de la cathédrale.

S’ils réussirent parfois, au prix d’une perpétuelle surveillance, ils s’aperçurent qu’enfin il existait des limites à la témérité et au surenchérissement. Ne pouvant aller plus haut, ils dirigèrent ailleurs leur inspiration. Dès lors la simplicité du xiiie siècle fit place à une capricieuse orgie de sculptures, de galeries, de pinacles, d’inutiles parures qui compliquent sans améliorer, ne reposent sur aucune logique, et semblent destinés surtout à éblouir par le pittoresque du détail sans atteindre au grandiose. Non que le xve siècle n’ait pas produit de nouveaux chefs-d’œuvre, en architecture comme dans les autres arts, mais adieu les vieilles traditions, les imposants modèles dont toute la chrétienté profita ! Dans la plupart des édifices élevés aux siècles précédents, on voit les architectes nouveaux, selon le mot d’Huysmans, enter leur génie sur celui de leurs prédécesseurs ; quant aux cathédrales élevées durant cette dernière période, on les crée dans un style artificiel et compliqué qui ira jusqu’à se compromettre avec des styles essentiellement différents. Voici quelques exemples.

La première pierre de la cathédrale de Nantes fut posée le 14 avril 1434 ; sa construction marcha très lentement, la façade et les tours furent terminées seulement dans les premières années du xvie siècle. Nous nommerons seulement l’un des premiers architectes, Mathurin Rodier qu’on croit originaire de Touraine : il paraît en 1455, était encore en fonctions en 1473 et mourut dix ans après.

La délicate église Saint-Maclou de Rouen est un type précieux de cette période : le plan en fut donné, en 1432, par Pierre Robin, le même sans doute qui une année plus tôt était maître d’œuvre de Notre-Dame de Paris.

En Champagne, on connaît l’auteur du petit portail gothique flamboyant qui décore élégamment la façade méridionale de l’église de Rethel : il se nomme Jesson Bailly et passa marché en 1512. Quelques années auparavant (1507), Henri Broyl construit l’église de Mézières. La grande église de Notre-Dame de l’Épine, près de Châlons-sur-Marne, née d’une tradition miraculeuse (ainsi que Notre-Dame d’Avioth, dans les Ardennes, qui en dérive), est un édifice de bon goût mais d’une époque avancée ; commencée vers 1410, elle a subi l’influence indéniable de sa voisine la cathédrale de Reims, et on en ignore le premier maître d’œuvre, quoiqu’on l’ait sottement attribuée à un architecte anglais nommé Patrice. La vérité est qu’en 1453 les travaux étaient conduits par un certain Étienne Poutrise. Châlonnais, qui n’en est pas le créateur. Les chapelles absidales furent bâties en 1509 par Remi Gouveau, auteur du déambulatoire.

En Lorraine, on peut citer la grande église de Saint-Nicolas-du-Port, commencée en 1494 : l’un des premiers maîtres d’œuvre en fut Simon Moyset.

Dans le centre, l’église abbatiale de Souvigny, de fort belles proportions, avait été construite à l’époque romane par les moines de Cluny ; mais elle fut complètement remaniée au xve siècle, et cette restauration, bien reconnaissable, fut en partie l’œuvre de Jean Poncelet, cité en 1456 comme maître des œuvres du duc de Bourbon. Peut-être doit-on au même artiste le plan de la collégiale (aujourd’hui englobée dans la cathédrale) de Moulins, dont la première pierre a été posée en août 1468.

Dans le Midi, nous voyons encore apparaître des architectes originaires du nord de la France. À Carpentras, la construction de l’église Saint-Siffrein est commencée en 1404 par un Breton, Thomas Colin ; à Lectoure, la reconstruction de la cathédrale (vers 1475) est l’œuvre d’un Tourangeau, Mathieu Ragueneau, qui travailla ensuite à Agen, et auquel on attribue les plans de la cathédrale d’Auch (1489). Par contre, Pierre Esclanche, chargé, à la fin du xve siècle, de diriger les travaux de construction de la cathédrale de Sarlat, paraît bien être un Périgourdin.

L’exode des architectes français à l’étranger n’a pas continué au xve siècle ; ils n’y auraient plus trouvé le même accueil. Leur influence a sensiblement baissé. On connaît quelques noms ; aucun d’eux ne mérite d’être relevé.

En France même, l’élan des jours glorieux a disparu, l’évolution est consommée, on a perdu le souvenir des vieilles traditions et des saines disciplines. Jamais on n’y reviendra, et lorsqu’au xixe siècle on songera à imiter nos vieilles cathédrales gothiques, les résultats seront imparfaits ou ridicules. Dans l’histoire de l’architecture, il n’est réellement qu’un siècle qu’on puisse comparer à celui d’Ictinos et de Périclès, c’est celui où vécurent Villard de Honnecourt, Jean d’Orbais, Robert de Luzarches et Pierre de Montereau.
NOMS DES ARCHITECTES CITÉS



Albert (Guillaume), 101.
Amalric (André), 100.
Andely (Jean d’), 61
Angicourt (Pierre d’), 115.
Anthony (Bernard), 100.
Arler (Henry), 108.
Arler (Pierre), 108.
Arras (Mathieu d’), 108.
Aubigny (Albert d’), 64.
Audis (Jean), 95.
Auxtabours (Jean), 60, 61.
Aycard (Raymond), 101.

Bailly (Jesson), 120.
Bayeux (Guillaume de), 62, 63.
Bayeux (Jean I de), 62, 63.
Bayeux (Jean II de), 62, 63.
Beaujeu (Jacques de), 102.
Berneval (Alexandre de), 63.
Berneval (Colin de), 63.
Beroult (Les), 95.
Bertel (Jean), 102.
Beuthaut, 32.
Binche (Arnould de), 44.
Bleuet (Florent), 69.
Blondel (Jean), 71.
Bolant (Jacques), 70.
Bonaventure (Philippe), 112.
Bonneuil (Étienne de), 107.
Bosquet (Guillaume), 100.
Botarel (N.), 101.
Bouchain (Jean de), 71.
Brissard (Pierre), 96.
Brisset (Colart), 68.
Brisset (Henry), 48.
Broyl (Henri), 120.


Camelin (Jean), 63.
Carrières (Jean des), 59.
Cébazat (Pierre de), 96.
Chaudun (Pierre), 70.
Chaumes (Nicolas de), 59, 83, 84.
Chelles (Jean de), 44.
Chelles (Pierre de), 47, 59.
Chinard (Philippe), 115.
Colard, 31.
Colard, 75.
Colard (Noël), 70.
Colas (Antoine), 80.
Colin (Thomas), 121.
Colombier (Guillaume), 115.
Corbie (Hue de), 71.
Corbie (Mathieu de), 71.
Corbie (Pierre de), 43, 112.
Cormont (Renaud de), 68.
Cormont (Thomas de), 68.
Coucy (Robert de), 72, 75.
Gourmont (Guillaume), 83.
Courtois (Adam), 69.
Croquet (Jean du), 71.

Daguon (Simon), 59.
Dammartin (Jean de), 88, 92.
Damnand (Jean), 99.
Davy (Jean), 62.
Delarbre (Guillaume), 95.
Dervillers (Jean), 70.
Deschamps (Jean), 96, 100.
Despinay (Jean), 101.
Dijon (Jean de), 75.
Dolhas (Gérard), 100.
DoLHAs (Raymond), 100.
Douterrains (Jean), 70.
Durand le Maçon, 61.

Durant (Jean), 32.
Durant (Jean), 88.
Durant (Jean), dit d’Auvergne, 99.

Enguerrand, 61.
Esclanche (Pierre), 1:21.
Étienne, 99.
Étienne le Maçon, 96.

Favières (Jacques de), 101.
Frèredoux (André), 88.

Garnache (Jenson), 80.
Gaspar (Pons), 32, 99.
Gauteyron (Guillaume), 101.
Gauthier, 102.
Gautier, 79.
Gautier, 111.
Geoffroy, 79.
Gérard (frère), 70.
Géraud (Guillaume), 101.
Gille (Colin), 32.
Gilles le Maçon, 75.
Givry (Colard de), 76.
Gouveau (Rémi), 120.
Guillaume, 92.

Hardiot (Michelin), 79.
Hattonchatel (Tristan de), 79.
Henri, 79.
Honnecourt (Villard de), 40, 70, 111.
Huward, 71.

Ivry (Huguet d’), 59.
Ivry (Jean d’), 60.

Jacquemin (Girard), 79.
Jacquemin (Roger), 79.
Jacquin (Étienne), 83.
Jacquin (Jean), 83.
James (Jean), 48.
Jean le Maçon, 91.
Jonchéry (Michel de), 79.
Juglar (Pierre), 99.
Julien (Mathieu), 91.

Langlois (Jean), 80, 116.
Largent (Gilles), 70, 71.
Largent (Pierre), 68.
Leras (Jean), 101.
Lebel (Jean), 70.
Le Bouteiller (Jean), 47.
Lécluse (Nicolas de), 91.
Lecoustre (Jean), 71.
Lejosne (Jean), 71.
Leloup (Jean), 72.
Lepapelart (Michel), 76.
Leroux (Guillaume), 88.
Le Roy (Jean), 95.
Libergier (Hue), 71, 73.
Loisart (Pierre), 112.
Lonay (Martin de), 31.
Longmont (Jean de), 102.
Louvain (Martin de), 71.
Lusurier (Antoine), 81.
Luzarches (Robert de), 67.

Mans (Simon du), 88, 91.
Mantes (Colin de), 70.
Marescot (Jean), 62.
Marsat (Guillaume), 102.
Martres (Vital de), 101.
Masse (Jean), 69.
Mercier (Simonet), 84.
Michelin (Thomas), 79.
Mignot (Jean), 112.
Moireau (Jean), 48.
Montain (Antoine), 103.
Montereau (Eudes de), 56, 116.
Montereau (Pierre de), 51.
Montgeron (Renaud de), 31.
Moreau (Verain), 83.
Morel (Jacques), 100, 102.
Mortagne (Étienne de), 88.
Moyset (Simon), 120.

Narbonne (Henri de), 101.
Nobis (François), 84.
Noyset (Pierre), 102.

Orrais (Jean d’), 72.
Outremepuich (Jean d’) 71.

Papin (Jean), 88.
Perier (Jean), 24, 62.
Perrat (Pierre), 79.

Pierre, 112.
Placen (Jean), 99.
Poisson (Jean), 115.
Poly (Jean), 24.
Poncelet (Jean), 120.
Pontifs (Guillaume), 63.
Poutrise (Étienne), 120.

Ragueneau (Mathieu), 121.
Ranqueval (Jean de), 79.
Ravegy (Martin), 111.
Ravy (Jean), 47.
Reims (Gaucher de), 72.
Reims (Michel de), 71.
Remacin (Jean de), 102.
Reuilly (Nicolas de), 83.
Richard, 100.
Richard (Jean), 102.
Richer, 79.
Richer (Geoffroy), 62.
Robert (Jean), 102.
Robert le Maçon, 102.
Robert le Maçon, 71.
Robin (Guillaume), 95.
Robin (Jean), 95.
Robin (Pierre), 48, 120.
Rodier (Mathurin), 119.
Roger (Conrad), 100.
RoissY (Pierre de), 83.
Roussel (Jean), 24, 62.
Roussel (Martin), 62.
Roussel (Robert), 32.
Roye (Guillaume de), 64.

Saint-Albin (Jean de), 102.
Saint-Hilaire (Gautier de), 62.
Saint-Nicaise (Gilles de), 75.
Salvart (Jean), 62.
Sawalle (Jean), 71.
Sens (Guillaume de), 80, 104.
Sermati (Jean), 100.
Sermati (Vincent), 100.
Sevestre (Geoffroy), 60.
Soissons (Bernard de), 75.
Sonier (Thibaut), 100.

Tarisel (Pierre), 68, 69.
Tassard, 69.
Temple (Jean du), 48.
Temple (Raymond du), 32, 48, 60.
Terrelion (Jean), 80.
Texier (Jean), dit de Beauce, 60.
Thierry (Jean), 79.
Thomas, 79.
Torvoye (Jean de), 79.
Toul (Jean de), 115.
Touraine (Robert de), 87.
Toustain (Thomas), 91.
Tranchant (Colin), 101.
Trestant (Sébastien), 70, 76.
Turpin (Jean), 69.

Varinfroy (Gautier de), 84.
Varinfroy (Jean de), 83, 84.
Varinfroy (Pierre de), 84.
Verdun (Simon de), 79.
Vuatier (Laurent), 60.


Sceau d’un architecte du moyen-âge
Sceau d’un architecte du moyen-âge
SCEAU D’UN ARCHITECTE DU MOYEN-ÂGE.

LISTE DES CATHÉDRALES
ET AUTRES ÉDIFICES CITÉS
[Les édifices non spécifiés sont des cathédrales.]

Agen, 121.
Alençon (église Notre-Dame), 60.
Amiens, 9, 25, 35, 36, 40, 64-68, 108.
Anagni, 115.
Angers, 45, 95-96, 117.
Assise, 112.
Auch, 121.
Audenarde (église), 44.
Auxerre, 37, 83, 84.
Avignon (Palais des Papes), 115.
Avila, 112.
Avioth (église), 120.
Bamberg, 108.
Barlella, 115.
Baijenx, 45, 91, 92, 107.
Beauvais, 33, 35, 36, 37, 38, 63-64.
Bologne, 112.
Bordeaux, 36, 96, 101, 105.
— (église Saint-Michel). 101.
— (église Saint-Seurin), 101.
Bourges, 45, 85, 87, 112.
Braisne (église abbatiale), 108.
Burgos, 111.
Caen (église Saint-Étienne), 92.
Calocza, 111.
Cambrai, 43, 70-71, 75, 111,
Canterbury, 36, 84, 104, 109.
Carpentras (église Saint-Siffrein), 121.
Casamari (église abbatiale), 112.
Cassova, 111.
Châlons-sur-Marne, 36, 37, 75, 76.
— (église Notre-Dame), 76.
Chartres, 21, 25, 29, 32, 35, 37, 40, 43, 47, 56-60, 108, 111, 112.
Clermont-Ferrand, 93, 96, 100.
Clermont-l’Hérault (église), 96.
Cologne, 108.
Cosenza, 115.
Coutances, 91, 92, 107, 113.
Elne, 23.
Évreux, 38, 95.
Famagouste, 116.
Gênes, 112.
Gerona, 101, 111.
Halbersladt, 108.
La Chaise-Dieu (église abbatiale), 96.
La Ferté-Bernard (église collégiale), 95.
Lanciano, 115.
Laon, 21, 36, 37, 43, 76, 108.
La Victoire (église abbatiale), 55.
Le Bec (église abbatiale), 61.
Lectoure, 121.
Le Lys (église abbatiale), 55.
Le Mans, 23, 40, 88-92.
Léon, 112.
Les Andelys (églises), 61.
Limbourg-sur-Lahn, 108.
Limoges, 93, 96, 100.
Lisieux, 92.
Lucera, 115.
Lyon, 35, 102.
Magdebourg, 107.
Malmö, 107.
Mantes, (église Notre-Dame), 60.


Marbourg, 111.
Marmoutier (église abbatiale), 88.
Meaux, 36, 41, 43, 83, 84, 87.
Mende, 24, 32, 37, 99.
Metz, 76-79.
Mézières (église), 120.
Milan, 112.
Moulins, 121.
Nantes, 28, 119.
Naples, 115.
Narbonne, 96, 97, 100-101, 111.
Naumbourg, 108.
Nevers, 84.
Nicosie, 115, 116.
Notre-Dame-de-l’Épine (église). 75, 120.
Noyon, 67, 68-70.
Orbais (église abbatiale), 72.
Pamele [Notre-Dame de] (église), 44.
Paris, 8, 13, 32, 36, 37, 44, 47-48, 87, 120.
— (collège de Navarre), 84.
— (église des Cordeliers), 116.
— (Sainte-Chapelle), 52, 53, 116.
— (Saint-Germain-des-Prés), 55.
— (Saint-Martin-des-Champs), 52.
Poissy (église Saint-Louis), 63.
Pantoise (église Notre-Dame), 48.
Prague, 108.
Ratisbonne, 108.
Reims, 23, 38, 40, 43, 37, 70, 72-76.
— (église Saint-Nicaise), 38, 71, 73, 75.
Rethel (église), 120.
Riom (Sainte-Chapelle), 99.
Rodez, 36, 37, 45, 96, 99-100.
Rome, 115.
Rouen (archevêché), 63.
— (cathédrale), 24, 28, 29, 35, 61-63, 95.
— (église Saint-Maclou), 62, 119.
— (église Saint-Ouen), 32, 62, 63, 65.
Royaumont (église abbatiale), 55.
Saint-Denis (église abbatiale), 35, 47, 49, 51-52, 55-56.
Saint-Flour, 99.
Saint-Germain-en-Laye (Sainte-Chapelle), 55-56.
Saint-Germer (Sainte-Chapelle), 40, 53, 55.
Saint-Gilles (église collégiale), 31.
Saint-Nicolas-du-Port (église), 120.
Saint-Omer (abb. de Saint-Bertin), 68, 71.
Saint-Quentin (église abbatiale), 70, 71, 75.
Saint-Sulpice-de-Favières (église), 56
Salamanque, 112.
San Galgano (église abbatiale), 112.
Sarlat, 121.
Sées, 35, 36.
Senlis, 35, 37.
Sens, 17, 35, 36, 37, 80-84, 107, 109.
— (église Saint-Jean), 56.
Sienne, 112.
Soissons, 76.
— (église Saint-Jean-des-Vignes), 75.
Souvigny (église abbatiale), 120.
Stavanger, 107.
Strasbourg, 108.
Tolède, 112.
Toul, 79.
Tournai, 71.
Tours, 38, 87-88.
Trêves, 108.
Trondjhem, 107.
Troyes, 28, 35, 36, 38, 79-80.
— (église Saint-Urbain), 80, 81, 116.
Ulm, 108.
Upsal, 107.
Val de Dios (église abbatiale), 111.
Valmagne (église abbatiale), 96.
Vaucelles (église abbatiale), 43, 70.
Verdun, 79.
Vernon (église Notre-Dame), 60.
Vienne, 96.
Villeneuve-sur-Yonne (église), 56.
Wimpfen (église collégiale), 108.
Xanlen, 108.
Zamora, 112.

Amiens. — Nef de la cathédrale 
 9
Paris. — Cathédrale Notre-Dame 
 13
Sens. — Façade de la cathédrale 
 17
Chartres. — Façade de la cathédrale 
 21
Laon. — Façade de la cathédrale 
 21
Plans-types de cathédrales gothiques : Chartres, Reims, Le Mans, Amiens 
 25
Chartres. — Cathédrale portail nord 
 29
Rouen. — Cathédrale portail de la Calende 
 29
Beauvais. — Chœur de la cathédrale 
 33
Page de l’album de l’architecte Villard de Honnecourt 
 41
Plans-types de cathédrales gothiques : Bayeux, Bourges, Angers, Rodez 
 45
Saint-Denis. — Nef de l’église abbatiale 
 49
Paris. — Sainte-Chapelle 
 53
Saint-Germer. — Sainte-Chapelle 
 53
Chartres. — Nef de la cathédrale 
 57
Reims. — Nef de la cathédrale 
 57
Rouen. — Église Saint-Ouen 
 65
Pierre tombale de Hue Libergier, architecte de Saint-Nicaise de Reims 
 73
Metz. — Nef de la cathédrale 
 77
Troyes. — Église Saint-Urbain 
 81
Bourges. — Cathédrale 
 85
Le Mans. — Chœur de la cathédrale 
 89
Clermont-Ferrand. — Nef de la cathédrale 
 93
Limoges. — Nef de la cathédrale 
 93
Narbonne. — Abside de la cathédrale 
 97
Bordeaux. — Abside de la cathédrale 
 105
Sens. — Cathédrale 
 109
Canterbury. — Cathédrale 
 109
Coutances. — Abside de la cathédrale 
 113
Angers. — Nef de la cathédrale 
 117
Sceau d’un architecte du moyen âge 
 124


 44
 116




  1. Le moyen âge, au contraire, était loin de dédaigner les beautés de l’art grec. Par exemple, le roi d’Aragon, en 1380, envoie douze hommes en Grèce, pour garder l’Acropole.
  2. Aussi M. Bauchal a-t-il eu grand tort de donner asile, dans son Nouveau Dictionnaire des architectes français, à des personnalités telles que Henri de Saxe (improprement dit de Sassoine), médecin et chanoine de Nevers, Guillaume Toisier, chanoine de la cathédrale de Moulins, Aymeric et Pierre, tous deux chanoines de la cathédrale de Toulouse. Étienne d’Azaire, chanoine de la cathédrale d’Angers, Guillaume Périou, chanoine de la cathédrale de Quimper, et beaucoup d’autres, pour lesquels le doute n’est point permis.
  3. Les maîtres d’œuvre jouissaient d’ailleurs d’une réelle considération. Par maint exemple nous le savons, ils étaient enterrés dans les églises qu’ils avaient contribué à édifier, et où une inscription disait à la postérité leurs mérites indiscutés. Les labyrinthes placés dans le dallage des cathédrales de Reims et d’Amiens, qui faisaient connaître aux passants leurs effigies et leurs noms, monuments commémoratifs inaugurés à l’occasion de l’achèvement de la partie principale du monument, sont demeurés longtemps des témoins précieux qui rappelaient leur participation successive à l’œuvre accomplie. À Chartres, au Mans, à Saint-Germer, des vitraux contemporains comportent une figuration de tailleurs de pierre où l’on croit voir l’effigie des architectes du monument.
  4. Nous renvoyons le lecteur curieux des théories de géométrie et de mécanique appliquées à l’architecture, des procédés pour dessiner l’ornement ou la figure, des méthodes de coupe de pierre, d’assemblage, de perspective, de profil et d’élévation, à l’article où Quicherat a très habilement su mettre le tout en relief.
  5. Ce livre n’étant pas un manuel d’archéologie et n’ayant aucune prétention à l’être, nous passerons successivement chaque édifice en revue, sans nous préoccuper des changements introduits dans sa lente construction par l’application des nouvelles théories et par l’éducation de ses architectes successifs ; nous réserverons toutefois pour un chapitre spécial les églises qui, nées au temps de la décadence, n’ont pas connu la période où l’art gothique représenta dans sa marche ascensionnelle la plus saisissante manifestation du beau. Malheureusement nous n’aurons guère la chance de trouver, dans nos monuments français, un document aussi capital que cette inscription encastrée dans le chevet du chœur de la charmante église de Notre-Dame de Pamele, à Audenarde (Belgique), spécimen curieux du style de transition (1235), où nous lisons, rapprochés sur une même pierre, la date d’inauguration des travaux et le nom complet du premier maître d’œuvre : Anno Domini M. CC. XXX. IIII : m Id. Martii : incepta : fui : eccla : ista : a. magro. Arnulfo : de. Bincho.
  6. ................... vivens doctor lathomorum,
    Quem rex cœlorum perducat in alta polorum

    (comme on lisait sur son tombeau à Saint-Germain-des-Prés).

  7. Il semble bien qu’elle ait été importée dans cette île lointaine par Eudes de Montereau (et non de Montreuil), proche parent et probablement fils de Pierre, héritier d’un nom illustre et de traditions précieuses, qui connut aussi la faveur royale et dont il sera question plus loin.
  8. Peut-être n’est-il pas inutile de rapprocher des noms ainsi recueillis ceux de certains architectes qui travaillèrent à l’édifice de l’église Saint-Michel, car ils ont fort bien pu être employés à la cathédrale : Botarel, avec lequel on traita en 1448, puis Jean Lebas, père et fils, originaires de Saintes (1404-1495), qui sont les maîtres d’œuvre du clocher de Saint-Michel (le plus populaire des édifices de la cité), terminé en 1492, et furent remplacés par Guillaume Gauleyron.
  9. N’oublions pas qu’à l’époque du séjour de Villard en Hongrie régnait dans ce pays le roi Béla dont la sœur, Élisabeth de Hongrie, plus tard nonisée, fit de larges offrandes pour la reconstruction de la cathédrale de Cambrai ; et à Marbourg, en 1235, fut commencée, sous l’invocation de cette reine récemment décédée, une magnifique église dont le style tout français appartient peut-être au même architecte.
  10. Mignot, arrivé en 1399, avait vivement critiqué le travail de ses collègues italiens ; pendant longtemps on lui donna raison, et l’on le déclara « bonus magister et conveniens pro fabrica » ; mais après la mort de l’archevêque qui le soutenait, il fut destitué de ses fonctions (1401), et dès lors la construction fut réservée presque exclusivement à des artistes italiens.