Aller au contenu

Les Aventures de Tom Sawyer/Traduction Hughes, 1884/20

La bibliothèque libre.
Traduction par William Little Hughes.
A. Hennuyer (p. 138-140).


XX

TOM SE RÉHABILITE.


Lorsque Tom rentra chez lui, les premières paroles que lui adressa sa tante lui apprirent qu’elle n’était nullement disposée à compatir à ses chagrins.

— Tom, j’ai envie de t’écorcher vif !

— Qu’est-ce qu’il y a, ma tante ?

— Ce qu’il y a ? Tu oses le demander ? Je suis allée comme une bécasse chez Mme Harper, espérant la voir tomber de son haut. Pas du tout ! Elle avait appris de Joe que tu t’es faufilé ici mercredi et que tu as entendu chaque parole que nous avons échangée… Ah ! c’est comme cela que tu as rêvé… Tom, je ne sais pas ce que deviendra un enfant qui joue de pareils tours à sa vieille tante. Tu n’ignorais pas que je comptais étonner Mme Harper, et tu n’as rien fait pour m’empêcher de me couvrir de ridicule.

Tom vit alors la chose sous un nouveau jour. Sa plaisanterie, qui lui avait paru très ingénieuse quelques heures auparavant, lui sembla indigne.

— Ma tante, dit-il en baissant la tête, je suis très fâché de ce que j’ai fait ; je n’ai pas réfléchi.

— Non, tu ne réfléchis jamais. Tu ne songes qu’à toi et à tes amusements. Tu as bien pensé à venir de l’île Jackson au milieu de la nuit pour rire de nos peines ; tu as bien pensé à te moquer de moi en débitant un long mensonge, et tu n’as jamais pensé à nous épargner seulement une heure de chagrin. — Ma tante, je reconnais maintenant que j’ai mal agi, mais je ne croyais pas agir si mal. Vrai ! D’ailleurs je ne suis pas revenu ce soir-là pour rire de ton chagrin.

— Pourquoi es-tu revenu alors ?

— Je voulais te dire de ne pas t’inquiéter, parce que nous n’étions pas noyés du tout.

— Ne mens pas, Tom. Je remercierais le ciel si je pouvais croire que tu as eu cette bonne idée.

— Ce n’est pas un mensonge, ma tante, c’est la vérité vraie. Je t’assure que je voulais t’empêcher de te chagriner. Je ne suis pas venu pour autre chose.

— Je donnerais beaucoup pour en être certaine. Cela couvrirait une foule de péchés, Tom, et je ne t’en voudrais presque plus. Mais ce n’est pas croyable, puisque tu n’as rien fait pour dissiper nos craintes.

— Vois-tu, ma tante, quand tu as parlé des funérailles, j’ai pensé que ce serait drôle de surprendre tout le monde en nous cachant dans l’église, et la surprise aurait été gâtée si j’avais parlé. Alors j’ai remis l’écorce dans ma poche et je n’ai pas desserré les dents.

— Quelle écorce ?

— L’écorce sur laquelle j’avais écrit pour te dire que nous étions devenus pirates. Je suis fâché maintenant que tu ne te sois pas réveillée lorsque je t’ai embrassée, vrai !

Le visage de la vieille dame se rasséréna ; elle regarda Tom d’un œil attendri.

— Alors tu m’as embrassée, Tom ? Ce n’est pas encore là une de tes histoires ?

— Non, ma tante ; et j’ai eu joliment peur de te réveiller.

— Pourquoi m’as-tu embrassée ?

— Parce que cela me faisait de la peine de t’entendre marmonner. Tante Polly regarda son neveu dans le blanc des yeux et demeura convaincue.

— Allons, embrasse-moi encore, dit-elle ; dépêche-toi de retourner à l’école ou tu seras en retard, et tâche de ne plus me tourmenter.


Allons, embrasse-moi.
Dès qu’il eut le dos tourné, elle éprouva de nouveaux doutes. Elle courut à une armoire, d’où elle tira la jaquette que Tom portait à son départ pour le repaire des pirates et qui maintenant n’était plus qu’une loque. Au moment de se livrer à une enquête, elle s’arrêta d’un air indécis.

— Non, je n’ose pas, se dit-elle. Pauvre enfant, il a peut-être menti. En tout cas le bon Dieu lui pardonnera ce mensonge-là, j’en suis sûre, car il l’a fait pour me consoler. Mais je ne veux pas regarder, je ne veux pas savoir qu’il a menti.

Elle remit la jaquette dans l’armoire et demeura un instant rêveuse. Deux fois elle allongea le bras pour reprendre le vêtement, et deux fois elle s’abstint. Enfin elle s’arma de courage en se disant : « C’est un mensonge innocent et je ne m’en affligerai pas trop. » Une minute après elle avait fouillé dans la poche et lisait à travers ses larmes le message griffonné sur le bout d’écorce.

— Moi aussi je pourrais lui pardonner maintenant, s’écria-t-elle, quand même il aurait commis un million de péchés !