Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCIV

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 251-252).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCCIV.


Comment le roi d’Escosse fit secrètement son mandement pour faire guerre aux Anglois ; et comment la roine d’Angleterre fit son mandement d’autre part pour résister aus Escots.


Je me suis longuement tenu de parler du roi David d’Escosse : mais jusques à maintenant je n’ai eu nulle cause d’en parler, car, si comme ci-dessus est contenu, les trêves qu’ils prirent et donnèrent par accord l’un à l’autre furent bien tenues, sans enfreindre ni briser de l’une des parties. Or avint que quand le roi d’Angleterre eut assiégé la forte ville de Calais, les Escots s’avisèrent qu’ils feroient guerre aux Anglois, et contrevengeroient les grands ennuis qu’ils leur avoient faits, car leur pays étoit tout vuit de gens d’armes, pour ce que le roi en tenoit foison devant Calais ; et si en avoit aussi grand plenté en Bretagne, en Poitou et en Gascogne. À cette guerre et émouvement adonc rendit grand’peine le roi Philippe de France, qui avoit grands alliances au roi d’Escosse ; car il vouloit, s’il pouvoit, si ensonnier les Anglois, que le roi d’Angleterre brisât son siége de devant Calais et s’en retournât en Angleterre. Si fit le roi d’Escosse son mandement tout secrètement à être en la ville de Saint-Jean sur Tay[1] en Escosse. Si vinrent là tenir leurs parlemens les comtes, les prélats et les barons d’Escosse ; et furent tous d’un accord que, au plus hâtivement qu’ils pourroient, et le plus efforcément aussi, ils entreroient en Angleterre, du côté devers Rosebourg, si forts et si bien pourvus que pour combattre la puissance de tout le remenant d’Angleterre, qui pour lors étoit au pays.

En tel accord furent avec le roi tous les barons, les prélats, les chevaliers et les écuyers du royaume d’Escosse, où plus eut de cinquante mille combattans, que uns que autres ; et firent leur assemblée tout coiement, pour plus gréver les ennemis ; et fut adonc prié et mandé Jean des Adult-isles, qui gouvernoit les sauvages Escots, et qui obéissoient à lui et non à autre, que il voulsist être en leur armée et compagnie. Il s’y accorda légèrement et y vint à trois mille hommes, tous des plus outrageux de son pays.

Oncques le roi d’Escosse ni les barons de son royaume ne sçurent si secrètement faire leur mandement ni leur assemblée, que madame la roine Philippe d’Angleterre, qui se tenoit au nord sur les marches d’Evruich, n’en fut toute informée, et quelle n’y pourvut de remède et de conseil. Sitôt que la très bonne dame sçut ce, elle fut toute conseillée d’écrire et de prier ses amis et mander tous ceux qui tenoient du roi d’Angleterre son seigneur ; et s’en vint la bonne dame, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne, tenir en la cité d’Iorch, que l’on dit Evruich, en la contrée de Northonbrelande.

Quand le roi d’Angleterre passa outre, étoient demeurés le sire de Percy, le sire de Ros, le sire de Neufville et le sire de Moutbray, quatre grands barons, pour aider à garder le pays, si il convenoit : si furent tantôt ces seigneurs pourvus et avisés, quand ils sçurent le mouvement des Escots, et s’en vinrent à Evruich devers leur dame, qui les reçut à grand’joie. Au mandement de la vaillant dame, qui s’étendit jusques à Londres et outre, s’émut grand’foison de bonnes gens d’armes et d’archers, qui étoient encore au pays ; et se prit chacun du plus près qu’il put pour être à celle journée contre les Escots ; car telle étoit l’intention de la dite roine et la teneur de son mandement, que les Escots seroient combattus, et que chacun, pour son honneur, se hâtât le plus tôt qu’il pût et s’en venist devers Neuf-Châtel sur Tyne, là où le mandement se faisoit.

  1. Perth.