Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 252-253).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCCV.


Comment le roi d’Escosse entra en Angleterre ardant et détruisant le pays jusques à la cité de Bervich.


Entrementes que la roine d’Angleterre faisoit son assemblée, les Escots, qui étoient tous pourvus de leur fait, se partirent de Saint-Jean, en grand arroy et à grand’route, et s’en vinrent ce premier jour à Donfremelin ; et lendemain passèrent un petit bras de mer qui là est[1] ; et le roi s’en vint à Strumelin. Là passa-t-il à l’étroit l’eau, et le second jour il vint à Haindebourc. Là se recueillirent et rassemblèrent tous les Escots. Si étoient trois mille armures de fer, chevaliers et écuyers, et bien trente mille d’autres gens, et tous montés sur haquenées ; car nul ne va à pied en Escosse, mais tous à cheval. Si exploitèrent tant qu’ils vinrent, à Rosebourc, la première forteresse d’Angleterre à ce côté, de laquelle messire Guillaume de Montagu avoit la garde et le gouvernement, et jadis l’avoit bâtie contre les Escots. Le château de Rosebourc est durement beau et fort, ni ne fait mie à prendre si légèrement. Si passèrent les Escots outre et point n’y assaillirent, et s’en vinrent loger entre Persi et Vitol, sur une rivière qui là est ; et commencèrent à détruire et ardoir la contrée de Northonbrelande[2] moult vilainement et coururent, leurs coureurs jusques à Bervich, et ardirent tout ce qui dehors les murs étoit et tout contreval la marine ; et puis revinrent à leur grand ost qui étoit logé à une journée de Neuf-Châtel sur Tyne.

  1. C’est ce qu’on appelle le Queen’s Ferry.
  2. Les récits de cette expédition des Écossais sont fort succincts dans Th. Otterbourne, dans Jean de Fordun, dans la scala chronica et dans Robert d’Avesbury. Leur témoignage ajoute toutefois à l’autorité de Froissart et prouve qu’il écrivait d’après d’excellens matériaux. J. de Fordun met cette expédition au mois d’octobre 1346. La scala chronica et les autres historiens se contentent de dire : à la fin de l’été. R. d’Avesbury et la scala chronica tracent aussi à peu près de la même manière que Froissart la marche de l’armée envahissante ; ils font prendre par le corps d’armée le fort de Lyddale, tandis qu’une autre partie se porte, en suivant la route de Roxburgh, sur Newcastle et sur Berwick. Persy et Vitol, désignés par Froissart, sont sans doute Percy’s Cross et Witton ou Long Witton. La rivière, qui n’est pas nommée, est probablement le Coquet placé entre ces deux endroits. Johnes, dans sa traduction, dit Précy et Lincoln ; il croit que la rivière est l’Irrthing qui se jette dans le Solway-Forth près de Carlisle et les deux villes de Lidel et Lauercrost. La scala chronica appuie ce témoignage en disant que les Écossais entrèrent par le Cairluel shire (comté de Carlisle).