Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCIX

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Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCCIX.


Comment le siége durant devant Calais, il y eut maintes belles escarmouches par mer et par terre d’un côté et d’autre.


Le siége se tint longuement devant Calais, et y avinrent moult de grandes aventures et de belles prouesses, d’un côté et d’autre, par terre et par mer, lesquelles je ne pourrois mie nommer, ni la quatrième partie écrire ni recorder ; car le roi de France avoit fait établir si bonnes gens d’armes et tant, par les forteresses qui sont et étoient pour ce temps ès marches des comtés de Ghines, d’Artois et de Boulogne, et autour de Calais, et tant de Gennevois et de Normands et d’autres mariniers sur mer, que les Anglois qui vouloient issir hors, à cheval ou à pied, pour aller fourrer ou aventurer, ne l’avoient mie d’avantage, mais trouvoient souvent des rencontres dures et fortes. Et aussi y avoit souvent plusieurs paletis et escarmouches entour les portes et sur les fossés, dont point ne se partoient sans morts et sans navrés. Un jour perdoient les uns, l’autre jour perdoient les autres, ainsi que on voit souvent avenir en telles besognes. Aussi le roi d’Angleterre et son conseil étudioient nuit et jour à faire engins et instrumens pour ceux de Calais mieux appresser et contraindre ; et ceux de la ville de Calais contrepensoient le contraire et faisoient tant à l’encontre, que ces engins et instrumens ne leur portoient nul dommage. Ni rien ne les grévoit ; ni pouvoit tant gréver que l’affamer ; mais nulles pourvéances ne leur pouvoient venir fors en larcin, et par deux mariniers qui étoient maîtres et conduiseurs de tous les autres, lesquels on nommoit, l’un Marant et l’autre Mestriel ; et étoient demeurans à Abbeville. Par ces deux mariniers étoient ceux de Calais confortés souvent en larcin, et par eux hardiment aventurer ; et s’en mirent par plusieurs fois en grand péril ; et en furent moult de fois chassés et presque pris et attrapés entre Boulogne et Calais, mais toujours échappoient eux : et firent maints Anglois mourir et noyer, ce siége durant devant Calais.