Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 254-255).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCCVII.


Comment la roine d’Angleterre manda à l’écuyer qui avoit pris le roi d’Escosse, qu’il le lui amenât, lequel répondit qu’il ne le rendroit fors qu’au roi son seigneur.


Quand la roine d’Angleterre, qui se tenoit au Neuf-Châtel, entendit que la journée étoit pour elle et pour ses gens, si en fut grandement réjouie ; ce fut bien raison ; et monta tantôt sur son palefroi, et s’en vint le plutôt qu’elle put sur la place où la bataille avoit été. Les quatre prélats et les quatre barons, qui chefs et ordonneurs de cette besogne avoient été, reçurent la noble dame moult doucement et moult joyeusement, et lui recordèrent assez ordonnément comment Dieu les avoit visités et regardés, que une poignée de gens que ils étoient, avoient déconfit le roi d’Escosse et toute sa puissance. Lors demanda la roine que le roi d’Escosse étoit devenu. On lui répondit que un écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Jean de Copelant, l’avoit pris et mené avec lui, mais on ne lui savoit dire où, ni quel part. Donc eut la roine conseil qu’elle écriroit devers le dit écuyer et lui manderoit tout acertes qu’il lui amenât son prisonnier le roi d’Escosse, et que pas bien à point n’avoit fait, ni au gré de li, quand ainsi l’en avoit mené hors des autres et sans congé. Ces lettres furent écrites et envoyées par un chevalier de madame la roine. Entrementes que le dit chevalier fit son message, s’ordonnèrent les Anglois et se tinrent tout le jour sur la place que gagnée avoient vaillamment, et la roine avec eux, qui honoroit et fêtoit grandement les bons et vaillans chevaliers qui à cette besogne avoient été. Là lui furent présentés le comte de Moret, le comte de La Marche et tous les autres ; et retournèrent lendemain, à grand’joie, la roine et tous les seigneurs, en la ville de Neuf-Châtel. Or vous parlerons de Jean de Copelant comment il répondit aux lettres et au message que madame la roine d’Angleterre lui envoya. C’étoit son intention que le dit roi d’Escosse son prisonnier il ne rendroit à homme ni à femme, fors à son seigneur le roi d’Angleterre, et que on fut tout assur de lui, car il le pensoit si bien garder qu’il en rendroit bon compte. Madame d’Angleterre à cette fois n’en put avoir autre chose, et ne se tint pas pour bien contente de l’écuyer ; et fit tantôt lettres écrire et sceller, et les envoya à son cher seigneur le roi d’Angleterre, qui séoit devant Calais. Par ces lettres fut le roi tout informé de tout l’état d’Angleterre et de la prise du roi David d’Escosse. Si eut grand’joie en soi-même de la belle fortune que Dieu avoit envoyée à ses gens. Si ordonna tantôt le roi d’aller quérir ce Jean de Copelant, et le manda bien acertes qu’il vint parler à lui devant Calais. Quand Jean de Copelant se vit mandé de son seigneur le roi d’Angleterre, si en fut tout réjoui, et obéit ; et mit son prisonnier en bonnes gardes et sûres en un fort châtel sur la marche de Northonbrelande et de Galles ; et puis se mit à chemin parmi Angleterre, et fit tant qu’il vint à Douvres, et passa la mer ; et vint devant Calais et au logis du roi.