Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 218-219).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXV.


Comment le roi d’Angleterre arriva en Normandie ; et comment le roi de France y envoya le comte de Ghines son connétable et le comte de Tancarville pour garder le pays.


Le roi d’Angleterre, qui étoit alors en la fleur de sa jeunesse, et qui ne désiroit fors à trouver les armes et ses ennemis, s’inclina de grand’volonté aux paroles de messire Godefroy de Harecourt, qu’il appeloit son cousin. Si commanda à ses mariniers qu’ils tournassent vers Normandie ; et il même prit l’enseigne de l’amiral le comte de Warvich, et voulut lui-même être amiral pour ce voyage ; et se mit tout devant, comme patron et gouverneur de toute la navie ; et singlèrent au vent qu’ils avoient à volonté. Si arriva la navie du roi d’Angleterre en l’île de Cotentin sur un certain port que on appelle la Hogue-Saint-Vast[1]. Ces nouvelles s’espartirent sur le pays, que les Anglois avoient là pris terre ; et vinrent messagers accourans jusques à Paris, devers le roi de France, envoyés de par les villes de Cotentin. Bien avoit ouï recorder le roi de France en celle saison, que le roi d’Angleterre mettoit sus une grand’armée de gens d’armes, et l’avoit-on vu sur la mer, des bandes de Normandie et Bretagne : mais on ne savoit encore quel part ils vouloient traire. Donc, sitôt que le roi entendit que les Anglois avoient pris terre en Normandie, il fit hâter son connétable le comte de Ghines, et le comte de Tancarville, qui nouvellement étoient venus d’Aiguillon, et leur dit que ils se traissent devers Caen et se tinssent là, et gardassent la ville et les marches contre les Anglois. Cils répondirent volontiers, et qu’ils en feroient leur pouvoir. Si se partirent du roi et de Paris à grand’foison de gens d’armes ; et toujours leur en venoit ; et chevauchèrent tant qu’ils vinrent en la bonne ville de Caen, où ils furent reçus à grand’joie des bourgeois et des bonnes gens d’environ, qui s’y étoient retraits. Si entendirent les dessus dits seigneurs aux ordonnances de la ville, qui pour le temps n’étoit point fermée, et aussi à faire armer et appareiller et pourvoir d’armures chacun selon son état. Or reviendrons au roi d’Angleterre qui étoit arrivé en la Hogue-Saint-Vast, assez près de Saint-Sauveur-le-Vicomte, l’héritage de messire Godefroy de Harecourt.

  1. Suivant Robert d’Avesbury et les Chroniques de France, le roi d’Angleterre arriva à La Hogue le mercredi 12 juillet. Quant à la dénomination d’Île que Froissart, ainsi que la plupart de nos anciens écrivains, donnent au Cotentin, personne n’ignore qu’elle est impropre, et que ce canton tient à la Normandie par un isthme qui a plusieurs lieues de largeur.