Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 220-221).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXVII.


Comment les Anglais ardirent et robèrent une partie de Chierebourc et prirent Montebourc et Carentan, lesquels ils ardirent et robèrent et emmenèrent les gens avec eux.


Après ce que la ville de Barfleus fut prise et robée, sans ardoir, ils s’espartirent parmi le pays, selon la marine. Si y firent une grand’partie de leurs volontés, car ils ne trouvèrent homme qui leur devéast. Et allèrent tant qu’ils vinrent à une bonne ville grosse et riche et port de mer, qui s’appelle Chierebourc. Si en ardirent et robèrent une partie ; mais dedans le châtel ne purent-ils entrer, car ils le trouvèrent trop fort et trop bien garni de gens d’armes, et puis passèrent outre, et vinrent vers Montebourc et Valongne[1] : si la prirent et robèrent toute, et puis l’ardirent ; et en telle manière grand’foison de villes en celle contrée ; et conquirent si fier et si grand avoir que merveilles seroit à penser et à nombrer. En après ils vinrent à une moult grosse ville et bien fermée que on appelle Carenten, où il a moult bon château ; et adonc y avoit grand’foison de soudoyers[2] qui la gardoient. Adonc descendirent les seigneurs et les gens d’armes de leurs navires et vinrent devant la ville de Carenten, et l’assaillirent vîtement et fortement. Quand les bourgeois virent ce, ils eurent grand’peur de perdre corps et avoir ; si se rendirent, saufs leurs corps, leurs femmes et leurs enfans, malgré les gens d’armes et les soudoyers qui avec eux étoient ; et mirent leur avoir à volonté, car ils savoient bien qu’il étoit perdu davantage. Quand les soudoyers virent ce, ils se trairent pardevers le châtel qui étoit moult fort ; et ces seigneurs d’Angleterre ne voulurent mie laisser le châtel ainsi. Si se trairent en la ville, et firent assaillir le châtel par deux jours, si fort que, ceux qui dedans étoient et qui nul secours ne véoient, le rendirent, saufs leurs corps et leur avoir. Si s’en partirent et allèrent autre part ; et les Anglois firent leur volonté de celle bonne ville et du fort châtel, et regardèrent qu’ils ne la pouvoient tenir : si l’ardirent toute et abattirent, et firent les bourgeois de Carenten entrer en leur navie, et allèrent ens avec eux, tout ainsi qu’ils avoient fait de ceux de Barfleus, de Chierebourc, de Montebourc, et des villes voisines qu’ils avoient prises et pillées sur la marine. Or parlerons-nous un petit de la chevauchée du roi d’Angleterre, comme nous avons parlé de cette.

  1. Valogne, ville à quatre lieues de Cherbourg et environ deux de Montbourg.
  2. On vient de voir qu’il n’était resté sur la flotte que lev comte de Huntingdon avec cent hommes d’armes et quatre cents archers ; mais ces forces n’eussent pas été suffisantes pour assiéger Carentan ; et d’ailleurs il eût été imprudent au comte d’abandonner ses vaisseaux et de se dégarnir de troupes, ayant à bord un grand nombre de prisonniers. Il faut donc supposer qu’une partie de l’armée s’étaît rembarquée, ce que ne dit point l’historien. On peut remarquer en général que la marche des différens corps de l’armée anglaise, depuis sa descente à La Hogue jusqu’à son arrivée à Caen, est obscurément décrite et difficile à suivre. On n’y remarque cependant point de fautes grossières contre la topographie ; mais il semble qu’il manque dans le texte quelques phrases dont l’omission jette du louche sur le reste du récit.