Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXVIII

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 221-222).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXVIII.


Comment le roi d’Angleterre fit messire Godefroy de Harecourt conduiseur de son ost, lequel ardit et exila tout le pays où il arriva.


Quand le roi d’Angleterre eut envoyé ses gens selon la marine[1], l’un de ses maréchaux, le comte de Warvich et messire Regnault de Cobehen ainsi que vous avez ouï[2], assez tôt après se partit de la Hogue-Saint-Vast, là où il étoit arrivé, et fit messire Godefroy de Harecourt conduiseur de tout son ost, pourtant qu’il savoit les entrées et les issues en Normandie ; lequel messire Godefroy se partit, comme maréchal de la route du roi, à cinq cents armures de fer et deux mille archers, et chevaucha bien six ou sept lieues loin de l’ost du roi, ardant et exillant le pays. Si trouvèrent le pays gras et plentureux de toutes choses, les granges pleines de blés, les maisons pleines de toutes richesses, riches bourgeois, chars, charrettes et chevaux, pourceaux, brebis, moutons et les plus beaux bœufs du monde que on nourrit en ce pays. Si en prirent à leur volonté desquels qu’ils voulurent, et amenèrent en l’ost du roi. Mais les varlets ne donnoient point, ni rendoient aux gens du roi l’or et l’argent qu’ils trouvoient, ainçois le retenoient pour eux.

Ainsi chevauchoit messire Godefroy de Harecourt chacun jour d’encoste le grand ost du roi, au dextre côté, et revenoit le soir à toute sa compagnie là où il savoit que le roi devoit loger ; et tel fois étoit qu’il demeuroit deux jours, quand ils trouvoient gras pays et à fourrer. Si prit le dit roi son chemin et son charroi devers Saint-Lo en Cotentin, mais ainçois qu’il y arrivât, il se logea sur une rivière[3], attendant ses gens qui avoient fait la chevauchée sur la marine, ainsi que vous avez ouï. Quand ils furent revenus, et ils eurent tout leur avoir mis à voiture, le comte de Warvich, le comte de Suffolch, messire Thomas de Holland et messire Regnault de Cobehen, et leur route reprirent le chemin à senestre, ardant et exillant le pays, ainsi que messire Godefroy de Harecourt faisoit ; et le roi chevauchoit entre ces batailles ; et tous les soirs se trouvoient ensemble.

  1. Pour l’intelligence de la phrase il faut suppléer le mot, savoir.
  2. Il n’a point dit précédemment que Regnault de Cobham eût accompagné le comte de Warwick.
  3. Vraisemblablement la Vire qu’il lui fallait passer pour arriver à Saint-Lô.