Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCVI

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Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CCVI.


Comment le sire de Cliçon et le sire de Léon furent pris des Anglois à une escarmouche devant Vennes, et le sire de Stanfort y fut pris de ceux de Vennes.


Entrementes que le roi d’Angleterre alloit, venoit et chevauchoit le pays de Bretagne, ses gens qui séoient devant la cité de Vennes y faisoient et livroient tous les jours maint assaut, car durement la convoitoient à gagner par fait d’armes, pourtant que les chevaliers qui dedans étoient l’avoient en cette même saison reconquise sur eux. Dont il avint un jour, le siége pendant, que à l’une des portes un grand assaut se fit, et se trairent celle part toutes les bonnes gens d’armes d’un côté et d’autre. Là eut mainte appertise d’armes faite ; car ceux de Vennes avoient, comme bons chevaliers et hardis, ouvert leur porte, et se tenoient aux barrières, pour cause de ce qu’ils véoient la bannière du comte de Warvich, et celle du comte d’Arondel, et du baron de Stanfort, et de messire Gautier de Mauny, qui s’abandonnoient, ce leur sembloit, follement. De quoi messire Olivier de Cliçon et messire Hervey de Léon et les autres chevaliers plus courageusement s’en aventuroient. Là eut fait tant de belles appertises d’armes que merveille seroit à raconter ; car les Anglois qui véoient la porte ouverte le tenoient à grand dépit, et les aucuns le réputoient à grand’vaillance. Là eut lancé et escarmouché et estiqué d’un côté et d’autre moult longuement. Finablement cet assaut se porta tellement que de premier les Anglois furent boutés et reculés moult arrière des barrières ; et ainsi qu’ils reculèrent, les chevaliers de Bretagne s’avancèrent et ouvrirent leurs barrières, chacun son glaive en son poing, et laissèrent six chevaliers des leurs garder les dites barrières avec grand’foison d’autres gens ; et puis tous à pied, en lançant et escarmouchant ils poursuirent les chevaliers anglois qui tout en reculant se combattoient. Là eut très bons piongnis et fort boutis de glaives et mainte belle appertise d’armes faite. Toute fois les Anglois multiplièrent et fortifièrent tellement qu’il convint les Bretons reculer, et non pas si réglément comme ils étoient avalés. Là eut grand’lutte et dur enchas ; et remontoient les chevaliers de Bretagne, le sire de Cliçon et messire Hervey de Léon, à grand’malaise : si eut maint homme mort et blessé. Quand ceux qui gardoient les barrières virent leurs gens chasser et reculer, ils retrairent leurs barrières, et si mal à point qu’il convint le sire de Cliçon demeurer dehors ; et fut pris devant la barrière, et aussi fut messire Hervey de Léon. D’autre part les Anglois qui étoient montés vitement, et tout premier le baron de Stanford, furent enclos, et sa bannière, entre les barrières et la porte. Là eut grand toullement et dur hutin ; et fut pris et retenu le baron de Stanford : oncques nul ne l’en put défendre ; et aussi furent plusieurs des siens qui étoient de-lez lui : oncques nul n’en échappa qu’il ne fût ou mort ou pris. Si se départit cette escarmouche atant ; et se retrairent les Anglois à leurs logis, et les Bretons en leurs hôtels dedans la cité de Vennes.