Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXLVI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 203-204).
Livre I. — Partie I. [1345]

CHAPITRE CCXLVI.


Comment messire Godefroy de Harcourt chéy en l’indignation du roi Philippe ; et comment il fut banni du royaume de France.


En ce temps et en celle même saison eschéy en l’indignation et haine grandement du roi de France un des grands barons de Normandie, messire Godefroy de Harecourt, frère au comte de Harecourt pour le temps de lors, et sire de Saint-Sauveur-le-Vicomte et de plusieurs villes de Normandie ; et tout par accuse et par envie, car un peu paravant il étoit si bien du roi et du duc qu’il vouloit. Si fut banni publiquement de tout le royaume de France[1] ; et vous dis que si le roi de France l’eût tenu en son aïr il n’en eût pas moins fait qu’il fit de messire Olivier de Cliçon et des autres qui avoient été l’année passée décolés à Paris. Si eut le dit messire Godefroy amis en voie, qui lui dénoncèrent comment le roi étoit dur informé sur lui et mal mené. Si partit le dit chevalier et vida le royaume de France, le plus tôt qu’il put, et s’en vint en Brabant de-lez le duc Jean de Brabant son cousin, qui le reçut liement. Si demeura là un grand temps, et dépendoit là sa revenue qu’il avoit en Brabant ; car en France n’avoit-il rien : mais avoit le roi saisi toute la terre de Cotentin et en fesoit lever les profits. Ainsy eschéy le dit chevalier en danger, et ne pouvoit revenir en l’amour du roi de France, pour chose que le duc de Brabant sçut ni put prier. Cette haine coûta depuis si grossement au royaume de France, et par espécial au pays de Normandie, que les traces en parurent cent ans après, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire.

  1. Suivant les Chroniques de France, chap. 32, Godefroy de Harcourt fut banni du royaume au mois d’août 1344 ; ce qui s’accorde très bien avec la suite du récit de Jean Froissart, où il est dit qu’il demeura long-temps en Brabant. S’il n’eût été banni de France qu’en 1345, il n’aurait pas fait un long séjour en Brabant, puisqu’il est certain qu’il était en Angleterre et qu’il avait reconnu Édouard pour roi de France et lui avait fait hommage en cette qualité avant le 13 juin de cette même année. Nous apprenons ces faits des lettres par lesquelles Édouard s’engage à le protéger contre tous, à ne faire ni paix ni trêve avec le roi de France qu’il n’y soit compris, et à le remettre en possession de ses terres de Normandie, dès qu’il se sera rendu maître de cette province.