Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXLVII

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Livre I. — Partie I. [1345]

CHAPITRE CCXLVII.


Comment le roi d’Angleterre vint à l’Escluse et amena avec lui son fils le prince de Galles, en intention de le faire seigneur de Flandre, par le consentement de Jacques d’Artevelle.


En ce temps régnoit encore au pays de Flandre, et en grand’prospérité et puissance, ce bourgeois de Gand, Jacques d’Artevelle ; et étoit si bien du roi d’Angleterre qu’il vouloit ; car il lui promettoit qu’il le feroit seigneur et héritier de Flandre, et en revêtiroit son fils le prince de Galles, et feroit de la comté de Flandre une duché. De quoi, sur cette entente, le roi d’Angleterre étoit en cette saison, environ la Saint-Jean-Baptiste[1], l’an mil trois cent quarante-cinq, venu à l’Escluse à grand’foison de baronnie et de chevalerie d’Angleterre ; et avoit là amené le jeune prince de Galles son fils sur les promesses de ce d’Artevelle. Si se tenoit le dit roi et toute sa navie au hâvre de l’Escluse, et aussi son tinel ; et là le venoient voir et visiter ses amis de Flandre. Et là eut là plusieurs parlemens entre le roi d’Angleterre et d’Artevelle d’une part, et les consaulx des bonnes villes d’autre, sur l’état dessus dit ; dont ceux du pays n’étoient mie bien d’accord au roi, ni à Artevelle, qui prêchoit sa querelle de déshériter le comte Louis leur naturel seigneur, et son jeune fils Louis, et hériter le fils du roi d’Angleterre ; cette chose n’eussent-ils faite jamais. Donc, au dernier parlement qui avoit été à l’Escluse, dedans la navie du roi d’Angleterre que on appeloit Katherine, qui étoit si grande et si grosse que merveilles étoit à regarder, ils avoient répondu d’un commun accord, et dit ainsi : « Cher sire, vous nous requérez d’une chose moult pesant et qui, au temps avenir, pourroit trop toucher le pays de Flandre et nos hoirs. Voir est que nous ne savons aujourd’hui au monde seigneur de qui nous aimerions tant le profit et l’avancement, que nous ferions de vous : mais cette chose nous ne pouvons pas faire de nous tant seulement, si toute la communauté de Flandre entièrement ne s’y accorde. Si se retraira chacun devers sa ville, et remontrerons cette besogne généralement aux hommes de notre ville ; et où la plus saine partie se voudra accorder, nous l’accorderons aussi : et serons ci arrière dedans un mois, et vous répondrons si à point, que vous en serez bien contens. » Le roi d’Angleterre et d’Artevelle n’en purent adonc avoir d’autre réponse ; et l’eussent bien avoir voulu plus bref, s’ils eussent pu ; mais nennin. Si répondit le roi : « À la bonne heure. » Ainsi se départit ce parlement, et retournèrent les consautx des bonnes villes en leurs lieux. Or demeura Jacques d’Artevelle encore un petit de-lez le roi d’Angleterre, pour cause de ce que le roi se découvroit à lui fiablement de ses besognes ; et lui promettoit toudis et assuroit qu’il le feroit venir à son entente. Mais non fit, si comme vous orrez avant recorder ; car il se déçut quand il demeura derrière, et qu’il ne vint à Gand aussitôt que les bourgeois qui avoient été envoyés à l’Escluse à parlement, de par tout le corps de la ville.

  1. Édouard s’embarqua le dimanche 3 juillet de cette année dans le port de Sandwich.