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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXVII

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Texte établi par J. A. C. BuchonA. Desrez (Ip. 184).
Livre I. — Partie I. [1344]

CHAPITRE CCXVII.


Comment le comte Derby se partit de Bordeaux pour aller vers Bergerac, où le comte de Lille et ses gens se tenoient.


Quand le comte Derby eut séjourné en la cité de Bordeaux environ quinze jours, il entendit que ces barons et chevaliers de Gascogne se tenoient à Bergerac, et dit qu’il iroit celle part, et ordonna ses besognes pour partir le matin ; et fit maréchaux de son ost messire Gautier de Mauny et messire Franque de Halle. Si chevauchèrent celle matinée, tant seulement trois lieues, à un châtel qui se tenoit pour eux, que on appelle Moncuq[1], séant à une petite lieue de Bergerac. Là se tinrent les Anglois tout le jour et la nuit aussi : lendemain les coureurs allèrent courir jusques aux barrières de Bergerac ; et rapportèrent ces coureurs à messire Gautier de Mauny qu’ils avoient vu et considéré une partie du convenant des François ; mais il leur sembloit assez simple. Ce propre jour dînèrent les Anglois assez matin : dont il avint que messire Gautier de Mauny séant à table, il regarda dessus le comte Derby ; et jà avoit ouïes les paroles que les coureurs de leur côté avoient rapportées ; si dit : « Monseigneur, si nous étions droites gens d’armes et bien apperts, nous burions à ce souper des vins de ces seigneurs de France qui se tiennent en garnison en Bergerac. » Si répondit le comte Derby tant seulement : « Jà pour moi ne demeurera. » Les compagnons qui ouirent le comte et messire Gautier ainsi parler, mirent leurs têtes ensemble[2] et dirent l’un à l’autre : « Allons nous armer, nous chevaucherons tantôt devant Bergerac. » Il n’y eut plus fait ni plus dit ; tous furent armés, et les chevaux ensellés et tous montés. Et quand le comte Derby vit ses gens de si bonne volonté, si fut tout joyeux, et dit : « Or chevauchons, au nom de Dieu et de saint George, devers nos ennemis. » Donc s’arroutèrent toutes manières de gens, et chevauchèrent, bannières déployées, en la plus grand’chaleur du jour ; et firent tant qu’ils vinrent devant les barrières de Bergerac, qui n’étoient mie légères à prendre, car une partie de la rivière de Garonne[3] les environne.

  1. Un peu au-dessous de Bergerac de l’autre côté de la Dordogne.
  2. Délibérèrent ensemble.
  3. Lisez la rivière de Dordogne.