Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXXI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 186-187).
Livre I. — Partie I. [1345]

CHAPITRE CCXXI.


Comment ceux de Bergerac se rendirent au comte Derby, et lui firent féauté et hommage au nom du roi d’Angleterre.


Quand vint au matin, les Anglois, qui étoient tous réconfortés d’entrer en la ville de Bergerac, fut bellement ou autrement, entrèrent de rechef en leur navie, et y vinrent, tout nageant, à cet endroit où ils avoient rompu les palis. Si trouvèrent illec grand’foison de ceux de la ville, qui étoient tous avisés d’eux rendre, et prièrent aux chevaliers qui là étoient qu’ils voulsissent prier au comte Derby qu’il les voulsist prendre à merci, sauve leurs vies et leurs biens, et dès-or-en-avant ils se mettroient en l’obéissance du roi d’Angleterre. Le comte de Penebroch et le comte de Kenfort répondirent qu’ils en parleroient volontiers, et puis demandèrent où le comte de Lille et les autres barons étoient. Ils répondirent : « Certainement nous ne savons ; car ils chargèrent et troussèrent dès la mie nuit tout le leur, et se partirent ; mais point ne nous dirent quel part ils se trairoient. » Sur ces paroles se départirent ces deux comtes dessus nommés, et vinrent au comte Derby, qui n’étoit mie loin de là, et lui dirent tout ce que les gens de Bergerac vouloient faire. Le dit comte Derby, qui fut moult noble et très gentil de cœur, répondit : « Qui merci prie, merci doit avoir ; dites-leur qu’ils ouvrent leur ville et nous laissent entrer dedans : nous les assurons de nous et des nôtres. »

Adonc retournèrent les deux chevaliers dessus dits, et recordèrent à ceux de Bergerac tout ce que vous avez ouï, dont ils furent tous joyeux, quand ils virent qu’ils pouvoient venir à paix. Si vinrent en la place et sonnèrent les saints, et s’assemblèrent tous, hommes et femmes ; et firent ouvrir leurs portes, et vinrent à procession moult humblement contre le comte Derby et ses gens, et le menèrent en la grand’église, et lui jurèrent féauté et hommage, et le reconnurent à seigneur, au nom du roi d’Angleterre, par vertu de la procuration qu’il en portoit[1]. Ainsi eut en ce temps le comte Derby la bonne ville de Bergerac, qui se tint toujours depuis angloise. Or reviendrons-nous aux seigneurs de Gascogne qui étoient retraits en la ville et au château de la Réole, et vous conterons comment ils se maintinrent.

  1. Le comte de Derby prit possession de Bergerac le 26 août jour de saint Barthélémy 1345, suivant une chronique manuscrite qui est à la tête des coutumes de Bordeaux, de Bergerac et de Bazadois. Biblioth. R., n.1481.