Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXXIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 149-150).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXXIII.


Comment les seigneurs de France se partirent de Rennes et allèrent assiéger Hainebon où la comtesse de Montfort étoit.


Quand la cité de Rennes fut rendue, ainsi que vous avez ouï, et les bourgeois eurent fait féauté à messire Charles de Blois, messire Charles eut conseil quel part il pourroit aller atout son ost, pour mieux avant exploiter de conquérir le remenant. Le conseil se tourna à ce que il se traist pardevers Hainebon, où la comtesse étoit ; car puisque le sire étoit en prison, s’il pouvoit prendre la ville, le châtel, la comtesse et son fils, il auroit tôt sa guerre affinée. Ainsi fut fait : si se trairent tous vers Hainebon et assiégèrent la ville et le châtel tout autour tant qu’ils purent, par terre. La comtesse étoit si bien pourvue de bons chevaliers et d’autres suffisans gens d’armes qu’il convenoit pour défendre la ville et le châtel ; et toudis étoit en grand soupçon du secours d’Angleterre qu’elle attendoit ; et si n’en oyoit aucunes nouvelles : mais avoit doute que grand meschef ne leur fût avenu, ou par fortune de mer, ou par rencontre d’ennemis.

Avec elle étoit en Hainebon l’évêque de Léon en Bretagne, dont messire Hervey de Léon étoit neveu, qui étoit de la partie messire Charles ; et si y étoit messire Yves de Treseguidy, le sire de Landernaux, le châtelain de Guinganp, les deux frères de Kerriec, messire Henry et messire Olivier de Pennefort et plusieurs autres. Quand la comtesse et ces chevaliers entendirent que ces seigneurs de France venoient pour eux assiéger, et qu’ils étoient assez près de là, ils firent commander que on sonnât la ban-cloche, et que chacun s’allât armer et allât à sa défense, ainsi que ordonné étoit. Ainsi fut fait, sans contredit. Quand messire Charles de Blois et les seigneurs de France furent approchés de la ville de Hainebon, et ils la virent forte, ils firent leurs gens loger ainsi que pour faire siége. Aucuns jeunes compagnons gennevois, espaignols et françois allèrent jusques aux barrières pour paleter et escarmoucher ; et aucuns de ceux de dedans issirent encontre eux, ainsi que on fait souvent en tels besognes. Là eut plusieurs hutins ; et perdirent plus les Gennevois qu’ils n’y gagnèrent, ainsi qu’il avient souvent en soi trop follement abandonnant. Quand le vespre approcha, chacun se retraist à sa loge. Lendemain, les seigneurs eurent conseil qu’ils feroient assaillir les barrières fortement, pour voir la contenance de ceux de dedans, et pour voir s’ils y pourroient rien conquêter, ainsi qu’ils firent ; car au tiers jour y assaillirent au matin entour heure de prime aux barrières très fort ; et ceux de dedans issirent hors, les aucuns les plus suffisans, et se défendirent si vaillamment que ils firent l’assaut durer jusques à heure de nonne que les assaillans se retrairent un petit arrière, et ils laissèrent foison de morts, et en ramenèrent plenté de blessés. Quand les seigneurs virent leurs gens retraire, ils en furent durement courroucés ; si firent recommencer l’assaut plus fort que devant ; et aussi ceux de Hainebon s’efforcèrent d’eux très bien défendre ; et la comtesse qui étoit armée de corps, et étoit montée sur un bon coursier, chevauchoit de rue en rue par la ville, et sémonnoit ses gens de bien défendre, et faisoit les femmes, dames, damoiselles et autres, défaire les chaussées et porter les pierres aux créneaux pour jeter aux ennemis, et faisoit apporter bombardes et pots pleins de chaux vive pour jeter sur les assaillans.