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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXLIV

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Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXLIV.


Comment les deux rois firent trêves jusques à un an ; et comment le siége se départit de devant Tournay.


Quand ils furent venus à la dite chapelle, ils se saluèrent moult aimablement et fêtèrent grandement ; et après ils entrèrent en leur traitement. Toute cette première journée ces traiteurs traitèrent par plusieurs voies d’accord ; et toudis étoit la bonne dame, madame Jeanne de Valois, en my eux, qui moult humblement et de grand cœur leur prioit que chacune partie se voulût près prendre d’accorder. Toutefois cette première journée passa sans aucun certain accord : chacun s’en ralla en son lieu, sur convenant de revenir. Lendemain ils revinrent tous à la dite chapelle en tel point, et commencèrent à traiter comme devant, et chéirent sur aucunes voies assez accordables ; mais ce fut si tard que on ne les put escripre de jour. Si se partit le parlement adonc et créanta chacun de revenir là endroit, pour parfaire et accorder le remenant. Au tiers jour ces seigneurs revinrent à grand conseil. Là fut accordée une trêve à durer un an entièrement[1] ; et devoit entrer tantôt entre ces seigneurs et ces gens qui là étoient d’une part et d’autre ; et entre ceux qui guerroyoient en Escosse et en Gascogne, en Poitou et en Saintonge, elle ne devoit entrer jusqu’à quarante jours ; dedans lesquels quarante jours chacune des parties le devoit faire savoir[2] aux siens, sans nul engin. S’ils les vouloient tenir, si les tinssent, et si tenir ne les vouloient, si guerroyassent assez l’un l’autre. Mais France, Picardie, Bourgogne, Bretagne et Normandie la tenoient sans nulle exception. Et devoient les deux rois dessus nommés, chacun pour lui et au nom de lui, envoyer quatre ou cinq personnes notables, et le pape deux cardinaux en légation en la cité d’Arras ; et ce que ces parties ordonneroient, les deux rois le tiendroient et confirmeroient sans nul moyen. Et fut encore cette trêve présentée et accordée, sur cette condition que chacun devoit tenir paisiblement ce dont il étoit saisi.

Quand cette trêve fut accordée sur cette condition que dit est d’une part et d’autre, chacun s’en retourna en son ost : si le firent tantôt crier par tout l’ost d’une part et d’autre, dont les Brabançons eurent grand’joie, car ils avoient là logé et été un grand temps moult ennuis. Qui lendemain, sitôt que jour fut, eut vu tentes abattre, charriots charger, gens for-hâter, emblaver et entouiller, bien put dire : « Je vois un nouveau siècle. »

  1. Cette trêve fut signée le 25 septembre 1340 et devait durer jusqu’au 25 juin, lendemain de la saint Jean-Baptiste de l’année suivante.
  2. Chacun des deux rois devait faire publier la trêve en Gascogne et en Aquitaine dans vingt jours, à compter de la date du traité ; et le roi d’Angleterre devait la faire notifier en Angleterre et en Écosse dans vingt-cinq jours, à compter de la même date. Il n’est point fait explicitement mention des articles suivans dans la charte, excepté de celui où il est dit que chacune des deux parties tiendra paisiblement, durant la trêve, les places dont elle est saisie : mais en revanche on y trouve plusieurs clauses omises par Froissart et les autres historiens contemporains, et de plus la liste des états ou des particuliers qui, outre les deux rois et leurs principaux alliés, furent compris dans la trêve.