Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXLVIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 128-129).
Livre I. — Partie I. [1341]

CHAPITRE CXLVIII.


Comment ceux de Limoges reçurent le comte de Montfort comme droit seigneur ; et comment les barons de Bretagne ne voulurent venir à son mandement.


Cependant, et la fête attendant, il se partit de Nantes à grand’foison de gens d’armes, et s’en alla vers la bonne cité de Limoges ; car il savoit et étoit informé que le grand trésor que le duc son frère avoit amassé de long temps étoit là enfermé. Quand il vint là, il entra en la cité en grand bobant ; et fut noblement reçu des bourgeois, de tout le clergé et de la communauté de la cité ; et lui firent tous féauté, comme à leur droit seigneur ; et lui fut tout ce grand trésor délivré par le grand accord qu’il acquit aux bourgeois de la cité, par grands dons et promesses qu’il leur fit. Et quand il eut là tant fêté et séjourné qu’il lui plut, il s’en partit atout le grand trésor, et s’en revint droit à Nantes, là où madame sa femme étoit, qui eut grand’joie du grand trésor que son sire avoit trouvé. Si demeurèrent à Nantes tous cois, grand’fête demenans, jusques au jour que la fête devoit être et la grand’cour tenue ; et faisoient grands pourvéances pour cette grand’fête parfournir.

Quand le jour de cette fête fut venu, et nul n’y venoit, pour mandement que fait lui fut, fors un seul chevalier qu’on appeloit messire Hervey de Léon, noble homme et puissant, le comte de Montfort et la comtesse sa femme en furent durement courroucés et ébahis. Si firent leur fête par trois jours des bourgeois de Nantes et des bonnes gens de là entour, au mieux qu’ils purent ; et eurent grand dépit des autres qui n’eurent daigné venir à leur mandement. Et eurent conseil entre eux de retenir soudoyers à cheval et à pied, tous ceux qui venir voudraient, et de départir ce grand trésor que trouvé avoient, pour mieux venir le dit comte à son propos de la dite duché de Bretagne, et pour contraindre tous rebelles de venir à sa merci. À ce conseil se tinrent tous ceux qui là furent, chevaliers, clercs et bourgeois ; et furent retenus soudoyers venans de tous côtés, et largement payés ; tant qu’ils en eurent grand’plenté et à cheval et à pied, nobles et non nobles, de plusieurs pays.