Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXXIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 107-108).
Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXXIII.


Comment le comte de Hainaut, quand il sçut la venue du roi d’Angleterre, se partit de devant Thun-l’Évêque et s’en alla à Valenciennes ; et comment Jaquemart d’Artevelle prêcha et montra devant tous les seigneurs le droit que le roi anglois avoit en France.


Quand cette victoire, ainsi que dessus est dit, fut avenue au roi anglois, il demeura toute celle nuit, qui fut la veille de Saint Jean-Baptiste[1], sur mer en ses naves devant l’Escluse, en grand bruit et grand’noise de trompes et de nacaires, tabours, cornets et de toutes manières de menestrandies, tellement qu’on n’y ouït pas Dieu tonnant ; et là le vinrent voir ceux de Flandre qui étoient informés de sa venue. Si demanda le dit roi nouvelles aux bourgeois de Bruges de Jaquemart d’Artevelle ; et cils répondirent qu’il étoit à une semonce du comte de Hainaut contre le duc de Normandie à plus de soixante mille Flamands, Quand ce vint à lendemain, le jour de Saint Jean, le roi et toutes ses gens prirent port et terre, et se mit le roi tout à pied, et grand’foison de sa chevalerie, et s’en vinrent en tel état en pélerinage à Notre-Dame d’Ardenbourch. Là, ouït messe le roi et dîna, et puis monta à cheval et vint celui jour à Gand, où madame la roine sa femme étoit, qui le reçut à grand’joie ; et toutes les gens du roi et tout leur harnois vinrent cette part depuis petit à petit.

Le roi d’Angleterre avoit écrit et signifié sa venue aux seigneurs qui encore étoient à Thun-l’Évêque, devant les François. Si très tôt qu’ils surent qu’il étoit arrivé, et qu’il avoit déconfit les Normands, ils se délogèrent ; et donna le dit comte de Hainaut, à quel prière et mandement ils étoient venus, à toutes manières de gens congé, excepté les corps des seigneurs : mais ceux amena-t-il à Valenciennes ; et les fêta et honora grandement, par espécial, le duc de Brabant et Jaquemart d’Artevelle. Et là prêcha le dit d’Artevelle, emmy le marché, devant tous les seigneurs et ceux qui le purent ouïr, et montra de quel droit le roi d’Angleterre avoit eu la chalange de France, et aussi quelle puissance les trois pays avoient, c’est à savoir, Flandre, Hainaut et Brabant, quand ils étoient d’un accord et d’une alliance ensemble ; et fit tant adonc par ses paroles et son grand sens, que toutes manières de gens qui l’ouïrent et entendirent dire qu’il avoit grandement bien parlé et par grand’expérience ; et en fut de tous moult loué et prisé ; et dirent qu’il étoit bien digne de gouverner et exercer la comté de Flandre.

Après ces choses faites et devisées, les seigneurs se partirent là l’un de l’autre, et prirent un bref jour d’être ensemble à Gand de-lez le roi d’Angleterre : ce fut le huitième jour après. Et vinrent vers le roi anglois, qui les reçut à grand’chère, et les fêta moult liement, et aussi fit la roine d’Angleterre, Philippe de Hainaut, qui nouvellement étoit relevée d’un fils qui s’appeloit Jean, et fut depuis duc de Lancastre, de par madame Blanche sa femme, fille au duc de Lancastre, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire. Adonc fut pris et assigné certain jour de parlement à être à Vilvort tous les seigneurs et leurs conseils et les conseils des bonnes villes de leurs pays. Si se partirent du roi d’Angleterre et s’en r’alla chacun en son lieu, attendant que le terme devoit venir pour être à Vilvort, si comme dessus est dit. Or vous conterons du roi de France et d’aucunes de ses ordonnances qu’il fit, depuis qu’il sçut que le roi anglois étoit arrivé en Flandre.

  1. En suivant les Chroniques de France, Édouard remporta cette victoire le lendemain de la fête de saint Jean-Baptiste ; mais cette date n’est pas plus exacte que celle de Froissart : il est certain que la bataille se donna le jour même de la fête.