Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXXX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 112-113).
Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXXX.


Comment les seigneurs qui étoient demeurés en Escosse capitaines, par le commandement du roi de France, recouvrèrent plusieurs forteresses en Escosse et coururent en Angleterre trois journées loin.


Vous devez savoir que messire Guillaume de Douglas, fils du frère à messire Jacques de Douglas qui demeura en Espagne, si comme dit est ci-dessus, le jeune comte de Moret, le comte de Patris, le comte de Surlant, messire Robert de Versy[1], messire Simon Fraisel et Alexandre de Ramesay, étaient demeurés capitaines du remenant d’Escosse, et se tenoient et tinrent longuement en ces forêts de Ghedours, par hiver temps et par été, par l’espace de sept ans et plus, comme très vaillans gens ; et guerroyoient toujours les villes et les forteresses où le roi Édouard avoit mis ses gens et ses garnisons ; et souvent leur avenoient de belles aventures et périlleuses, desquelles ils se partoient à leur honneur : par quoi on les doit bien compter entre les preux ; et aussi fait-on.

Si advint, en ce temps que le roi anglois étoit par deçà et guerroyoit le royaume de France, et séoit devant Tournay, que le roi Philippe envoya gens en Escosse, qui arrivèrent en la ville de Saint-Jehan ; et prioit adonc le roi de France à ces dessus nommés d’Escosse qu’ils voulussent émouvoir et faire guerre si grande sur le royaume d’Angleterre, qu’il convint que le roi anglois s’en r’allât outre, et défit son siége de devant Tournay, et leur promit aider de puissance de gens et d’avoir. Si que, en ce temps que le siége fut devant Tournay, ces seigneurs d’Escosse se pourvurent, à la requête du roi de France, pour une grand’chevauchée sur les Anglois. Quand ils furent bien pourvus de grands gens ainsi qu’il leur falloit, ils se partirent de la forêt de Gedeours, et allèrent par toute Escosse reconquérir des forteresses celles qu’ils purent ravoir, et passèrent outre la bonne cité de Bervich et la rivière de Thyne, et entrèrent au pays de Northonbrelande qui jadis fut royaume. Là trouvèrent bêtes grasses en grand’foison : si gâtèrent tout le pays, et ardirent jusques à la cité de Duremme, et assez outre ; puis s’en retournèrent par un autre chemin, gâtant et ardant le pays, tant qu’ils détruisirent bien en cette chevauchée trois journées loin du pays d’Angleterre, et puis rentrèrent dedans le pays d’Escosse, et reconquirent toutes les forteresses que les Anglois tenoient, hormis la bonne cité de Bervich et trois autres forts châteaux, qui leur faisoient trop grand ennui et souvent, par les vaillans gens qui les gardoient et le pays d’entour aussi. Et sont encore ces trois châteaux si forts, que à peine pourroit-on trouver si forts en nul pays ; et appelle-t-on l’un Sturmeling, l’autre Rosebourch et le tiers et le souverain d’Escosse Haindebourch. Le châtel d’Haindebourch sied sur une haute roche, par quoi on voit tout le pays d’environ ; et est la montagne si roide que à peine y peut un homme monter, sans reposer deux fois ou trois, et aussi un cheval à demie charge ; et étoit celui adonc qui faisoit plus de contraires à ces seigneurs d’Escosse et à leurs gens ; et en étoit châtelain et gardien pour le temps un vaillant chevalier anglois qui s’appeloit messire Gautier de Limosin, frère germain de messire Richard de Limosin qui si vaillamment se tint et défendit à Thun-l’Évêque contre les François.

  1. Les imprimés anglais disent Robert Keith.