Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXXVII

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Livre I. — Partie I. [1338]

CHAPITRE LXXVII.


Comment le duc de Brabant envoya monseigneur Louis de Cranehen par devers le roi de France pour lui excuser qu’il ne voulût croire nulle mauvaise information contre lui.


Ainsi se départirent ces seigneurs : chacun en ralla en son lieu, et le roi Édouard, vicaire de l’Empire, s’en revint à Louvain, de-lez madame la roine sa femme, qui nouvellement étoit là venue à grand’noblesse et bien accompagnée de dames et de damoiselles d’Angleterre[1]. Si tinrent à Louvaing leur tinel moult honorablement tout cet hiver, et fit faire monnoie d’or et d’argent à Anvers, à grand’foison ; mais pour ce ne laissa le duc de Brabant de renvoyer soigneusement devers le roi de France monseigneur Louis de Cranehen son plus espécial chevalier et conseiller, pour lui excuser ; mais en la fin il le fit demeurer tout coi devers le roi, et lui chargea et enjoignit expressément que toujours il le excusât devers le roi, et contredit toutes les accusations qui pouvoient venir au dit roi à l’encontre de lui. Le dit messire Louis n’osa escondire le commandement du duc son seigneur, ains en fit toujours bien son devoir à son pouvoir ; mais au dernier il en eut pauvre guerdon ; car il en mourut en France de deuil, quand on vit apparemment le contraire de ce dont il excusoit le duc si certainement ; et en devint si confus qu’il ne voulut oncques puis retourner en Brabant. Si demeura tout coi en France pour soi ôter de soupçon tant qu’il vécut : ce ne fut mie longuement, si comme vous orrez en avant recorder en l’histoire.

  1. On ignore la date précise de l’arrivée de la reine d’Angleterre en Brabant ; on sait seulement qu’au commencement de septembre elle se disposait à passer la mer.