Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXXXVIII

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Livre I. — Partie I. [1339]

CHAPITRE LXXXVIII.


Comment la ville de Guise fut toute arse ; et comment ceux de Nouvion furent déconfits et tout leur avoir perdu.


Or vous parlerons de la route messire Jean de Hainaut, où il avoit bien cinq cents combattans. Si s’en vint à Guise, et entra en la ville et la fit toute ardoir et abattre les moulins. Dedans la forteresse étoit madame Jeanne sa fille, femme au comte Louis de Blois, qui fut moult effrayée de l’arsure et du convenant monseigneur son père, et lui fit prier que pour Dieu il se voulût déporter et retraire, et qu’il étoit trop dur conseillé contre lui, quand il ardoit l’héritage de son fils le comte de Blois. Nonobstant ce, le sire de Beaumont ne s’en voulut oncques déporter ni délaisser, si eut faite son entreprise ; et puis s’en retourna devers l’ost du roi qui étoit logé en l’abbaye de Farvaques[1]. Endementres que ces gens d’armes couroient ainsi tout le pays, vinrent bien six vingts lances d’Allemands, dont le sire de Fauquemont étoit chef, jusques en Nouvion en Thierasche, une bonne grosse plate ville. Si étoient communément les gens de Nouvion retraits et boutés dedans les bois ; et y avoient mis et porté le leur à sauveté, et s’étoient fortifiés de roullis et de bois coupé et abattu environ eux. Si chevauchèrent les Allemands cette part ; et y survint monseigneur Arnoul de Blakehen et sa route ; et assaillirent ceux de Nouvion, qui dedans les bois s’étoient boutés ; lesquels se défendirent tant qu’ils purent : mais ce ne fut mie grandement, car ils ne tinrent, point de couroi et ne purent durer à la longue contre tant de bonnes gens d’armes. Si furent ouverts et leur fort conquis, et mis en chasse ; et en y eut bien, que morts que navrés, bien quarante, et perdirent tout ce que apporté là avoient. Et ainsi étoit, et fut ce pays de Thierasche couru et pillé sans déport ; et en faisoient les Anglois leur volonté. Si se partit le roi Édouard de Farvaques où il étoit logé, et s’en vint à Montreuil ; et là se logea un soir ; et lendemain il vint et tout son ost, loger à la Flamengerie ; et fit toutes ses gens loger environ lui, où il avoit plus de quarante quatre mille hommes : et eut conseil et intention qu’il attendroit là le roi Philippe et son pouvoir, et se combattroit à lui comment qu’il fut.

  1. Fervaques, ancienne abbaye de l’ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Noyon, qui est maintenant détruite.