Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XIX

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Livre I. — Partie I. [1326]

CHAPITRE XIX.


Comment les barons d’Angleterre allèrent à l’encontre de la roine et eurent conseil qu’ils iroient assiéger le roi et les Despensiers qui étoient dedans Bristo.


Adonc s’épandirent nouvelles par le pays, tant qu’elles vinrent à ceux à quel sûreté et mandement la dite dame étoit repassée. Si se appareillèrent le plutôt qu’ils purent de venir vers son fils qu’ils vouloient avoir à seigneur. Et le premier qui vint encontre lui, et plus grand confort donna à ceux qui étoient venus avec li, ce fut le comte Henry de Lancastre au-tort-Col, qui fut frère au comte Thomas de Lancastre qui fut décolé, si comme vous avez ouï dessus, et fut père au duc de Lancastre qui fut si bon chevalier et si recommandé, si comme vous pourrez ouïr en cette histoire, ainçois que vous venez à la conclusion. Ce comte Henry de Lancastre desuss dit vint à grand’compagnie de gens d’armes. Après, vinrent tant d’uns et d’autres, comtes, barons, chevaliers et écuyers[1] atout gens d’armes, qu’il leur sembla bien qu’ils étoient hors de tous périls ; et tous les jours leur croissoient gens d’armes ainsi qu’ils alloient avant. Si eurent conseil entre eux madame la roine et les barons, chevaliers et écuyers qui venus étoient encontre li, qu’ils iroient droit à Bristo[2] atout leur pouvoir, là où le roi se tenoit adonc[3] et, les Despensiers qui étoit bonne ville, grosse et riche et fortement fermée, séant sur un bon port de mer ; et si y a un châtel trop durement fort, séant sur mer qui flotte tout entour. Là endroit se tenoit le roi, messire Hue le Despensier le père, qui étoit près de l’àge de quatre vingt et dix ans, messire Hue le Despensier le fils, maître conseiller du roi, qui tous les mauvais faits lui conseilloit, le comte d’Arondel[4], qui avoit à femme la fille messire Hue le Despensier le jeune, et aussi plusieurs chevaliers et écuyers, qui repairoient entour le roi et entour la cour, ainsi que gens d’état repairent volontiers entour leur seigneur. Si se mit madame la roine et toute sa compagnie, messire Jean de Hainaut, ces comtes, ces barons d’Angleterre et leurs routes, au droit chemin pour aller celle part ; et par toutes les villes où ils entroient on leur faisoit fête et honneur ; et toujours leur venoient gens à dextre et à senestre de tous côtés ; et tant firent par leurs journées qu’ils vinrent devant la dite ville de Bristo, et l’assiégèrent à droit siège fait.

  1. Le comte de Norfolk, grand maréchal d’Angleterre, le comté de Leicester, les évêques d’Ely, de Lincoln, d’Hereford, de Dublin, furent des premiers à embrasser le parti de la reine.
  2. Avant de se présenter devant Bristol, la reine publia un manifeste dans lequel elle exposait que son unique but était de délivrer l’église et l’état du mauvais gouvernement d’Édouard II et de la tyrannie des Spensers. Ce manifeste est daté de Wallingford le 15 octobre 1326.
  3. Le roi n’était point dans Bristol lorsque cette ville fut assiégée. Ne se sentant pas en état de résister à la reine, il s’était embarqué avec le jeune Spenser et le chancelier Baldock pour se rendre à Chepstow dans le pays de Galles, espérant pouvoir atteindre aisément l’île de Couday sur la Saverne, qui était parfaitement approvisionnée de tout et où on eût pu faire une heureuse défense à cause de sa situation imprenable ; mais les vents contraires les empêchèrent d’aborder, et ayant été jetés par la tempête sur les côtes du comté de Glamorgan, ils se réfugièrent dans l’abbaye de Neath.
  4. Il s’appelait Edmon Fitz-Allan, et descendait d’une fille de la maison des Saint-Albin, comtes d’Arundel. Son fils Richard Fitz-Allan, et non pas lui, avait épousé Isabelle, fille de Hugh Spenser, qu’il répudia par la suite.