Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XLV

La bibliothèque libre.
Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XLV.


Comment les barons et les seigneurs d’Angleterre envoyèrent légats en Hainaut pour parler du mariage de la fille du comte et du roi Édouard.


Ainsi fut cette grande et dure chevauchée départie que le roi Édouard, le premier an de sa création, fit contre les Escots. Ne demeura mie gramment de temps après que ce roi, madame sa mère, le comte de Kent son oncle, le comte Henry de Lancastre, messire Roger de Mortimer, et les autres barons d’Angleterre, qui étoient demeurés du conseil du roi pour lui aider à conseiller et gouverner, eurent avis et conseil de le marier. Si envoyèrent un évêque[1], deux chevaliers bannerets[2], et deux bons clercs à monseigneur Jean de Hainaut, pour lui prier qu’il y voulût bon moyen être, et mettre bon conseil à ce que le jeune roi leur sire fût marié ; parquoi monsieur son frère le comte de Hainaut et de Hollande lui voulût envoyer une de ses filles ; car il l’auroit plus chère que nulle autre, pour l’amour de lui. Le sire de Beaumont fêta et honora ces messages et commissaires du roi anglois quant qu’il put, car bien le savoit faire. Quand bien fêtés les eut, il les mena à Valenciennes pardevers son frère, qui moult honorablement les reçut aussi, et fêta si souverainement bien que longue chose seroit à raconter.

Quand assez fêtés furent, ils firent leurs messages sagement et à point, ainsi que chargé leur étoit. Le comte leur répondit moult courtoisement, par le conseil de monseigneur Jean son frère et de madame la comtesse mère à la demoiselle, et leur dit : que moult grands mercis à monseigneur le roi et à madame la roine et aux seigneurs par quel conseil ils étoient là venus, quand tant leur étoit que de lui faire tel honneur que, pour telle chose, ils avoient si suffisans gens à lui envoyés ; et que moult volontiers s’accorderoit à leur requête, si notre saint père le Pape et sainte église s’y accordoient. Cette réponse leur suffit assez grandement ; puis envoyèrent deux de leurs chevaliers et deux clercs en droit pardevers le saint père à Avignon[3], pour impétrer dispensation de celui mariage accorder[4] ; car sans le congé du saint père, faire ne se pouvoit, pour le lignage de France dont ils étoient moult prochains, si comme en tiers degré ; car leurs deux mères étoient cousines germaines issues de deux frères[5]. Assez tôt après ce qu’ils furent venus en Avignon, ils eurent faite leur besogne ; car le saint père et le collège s’y consentirent assez bénignement, pour la haute noblesse dont tous deux étoient issus.

  1. Le docteur Roger Northborough, évêque de Litchfield et de Coventry.
  2. Les chevaliers bannerets étaient autrefois des gentilshommes puissans par leurs possessions territoriales et le nombre de leurs vassaux dont ils formaient des compagnies en temps de guerre. On les appelait bannerets, parce qu’ils avaient droit de porter une bannière. Ils subsistèrent jusqu’à la création des compagnies d’ordonnance par Charles VII.
  3. Les papes y résidaient depuis 1309.
  4. Édouard avait déjà écrit au pape pour obtenir cette dispense : ses lettres, datées d’Yorck, le 15 d’août, supposent même qu’il lui avait précédemment écrit pour le même sujet. Aussi les chevaliers trouvèrent-ils la bulle de dispense toute dressée : elle est datée du 3 des calendes de septembre, c’est-à-dire du 30 août, jour auquel ils ne pouvaient pas encore être arrivés à Avignon.
  5. Isabelle de France, mère d’Édouard, était fille de Philippe-le-Bel ; Jeanne de Valois, mère de Philippe de Hainaut, était fille de Charles de Valois, frère du même Philippe-le-Bel.