Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XLVI

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Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XLVI.


Comment madame Philippe de Hainaut fut mariée au roi d’Angleterre, et comment elle fut honorablement reçue à Londres.


Quand ces messages furent revenus d’Avignon à Valenciennes, à toutes leurs bulles, ce mariage fut tantôt octroyé et affermé d’une part et d’autre. Si fit-on la devise pourvoir et appareiller de tout ce qu’il falloit, si honorablement comme à telle damoiselle qui devoit être roine d’Angleterre afféroit. Quand appareillé fut, comme dit est, elle fut épousée par vertu d’une procuration apparent suffisamment, qui là fut apportée de par le roi d’Angleterre[1] ; et puis fut mise en voie pour emmener en Angleterre pardevers son mari qui l’attendoit à Londres, là où l’on la devoit couronner. Et monta en mer la dite damoiselle Philippe de Hainaut à Wissant, et arriva, et toute sa compagnie, à Douvres[2] ; et la conduisit jusques à Londres ce gentil chevalier messire Jean de Hainaut, son oncle, qui grandement fut reçu, honoré et fêté du roi et de madame la roine sa mère, des autres dames, des barons et des chevaliers d’Angleterre. Si eut adonc à Londres grand’fête et grand’noblesse des seigneurs, comtes, barons, chevaliers, de hautes dames et de nobles pucelles, de riches atours et de riches paremens, de jouter et de bouhourder pour l’amour d’elles, de danser, de caroler, de grands et beaux mangers chacun jour donner ; et durèrent ces fêtes par l’espace de trois semaines.

Au chef de ces jours, messire Jean de Hainaut prit congé et s’en partit à toute sa compagnie de Hainaut, bien fournis de beaux joyaux et riches qu’on leur avoit donnés d’un côté et d’autre en plusieurs lieux ; et demeura la jeune roine Philippe à petite compagnie de son pays, hormis un jeune damoisel[3] qu’on appelait Watelet de Mauny[4], qui y demeura pour la servir et tailler devant elle[5] ; lequel acquit depuis si grand’grâce du roi et de tous les chevaliers et seigneurs du pays qu’il fut du secret et du plus grand conseil du roi, au gré de tous les nobles du pays ; et fit depuis si grands prouesses de son corps, en tant de lieux, qu’on n’en pourroit savoir le nombre, si comme vous orrez avant en l’histoire, s’il est qui le vous die.

Or nous tairons-nous de parler de lui tant qu’à présent et des Anglois, et retournerons aux Escots.

  1. Cette procuration était adressée à l’évêque de Coventry et de Litchfield, et datée de Nottingham, le 8 octobre.
  2. Elle n’y était point encore arrivée le 28 novembre, date des lettres de sauf-conduit données par Édouard pour elle, pour son père et pour leur suite, dans lesquelles il est parlé d’eux comme devant bientôt arriver, qui intra regnum nostrum proximò sunt venturi, dit le prince. Au reste, il ne paraît pas que le comte de Hainaut ait fait usage de ce sauf-conduit. S’il eût été en Angleterre avec sa fille, Jean-le-Bel, qui était attaché à la maison de Hainaut, et qui était peut-être de la suite de la princesse, n’aurait pas omis de le nommer conjointement avec Jean de Hainaut.
  3. Damoiseau, titre qu’on donnait aux fils des seigneurs qui n’étaient point encore armés chevaliers.
  4. C’est le même qui devint dans la suite si célèbre sous le nom de Gautier ou Wautier de Mauny.
  5. C’est-à-dire, pour couper les viandes à la table de la reine. On appelait écuyers tranchants ceux qui étaient chargés de cette fonction. Les jeunes gens de la plus haute naissance n’en étaient pas dispensés, et les enfans des rois exerçaient souvent cet office à la table de leurs pères.