Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXXII

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Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XXXII.


Comment les Hainuyers furent en grand meschef et peine par l’espace de quatre semaines, pour la crainte des Anglois.


En cette tribulation demeurèrent eux en ce faubourg, par l’cspacc de quatre semaines, que tous les jours on leur rapportoit telles nouvelles ou pires assez, et telles fois pires un jour que l’autre ; et en virent plusieurs apparences, qui durement les ébahissoit. Car au voir dire, ils n’étoient qu’une poignée de gens dedans, au regard de la communauté du royaume d’Angleterre qui là étoit assemblée, ni ils n’osoient éloigner leurs hôtels, ni leurs armures, ni entrer en la cité, excepté les seigneurs qui alloient voir le roi et la roine et leur conseil, pour festier et pour apprendre des nouvelles ; ni ne savoient combien longuement on les tiendroit en telle angoisse. Et si le meschef de la mésaventure et le péril n’eût été, ils séjournoient assez aise ; car la cité et le pays d’entour eux étoit si plentureux que, en plus de six semaines que le roi et tous les seigneurs d’Angleterre et les étrangers, et leurs gens, dont il y avoit plus de soixante mille hommes, séjournèrent là, ne renchérirent les vivres qu’on n’eût la denrée pour un denier, aussi bien qu’on avoit par avant qu’ils vinssent ; bons vins de Gascogne, d’Ausay[1] et de Rhin à très bon marché, poulaille et toutes manières d’autres vivres aussi ; et leur amenoit-on devant leurs hôtels le foin, l’avoine et la litière, dont ils étoient bien servis et à bon marché.

  1. Quelques manuscrits disent Ausoies, d’autres Aussy : lord Berners dit Angiew, Anjou La ressemblance du nom cité dans les manuscrits français avec celui d’Auxois, canton de Bourgogne qui produit beaucoup de vins, aurait pu faire croire qu’il s’agissait ici de ce canton : mais on ne saurait douter que le mot Ausay ne désigne l’Alsace, qu’on trouve souvent appelée de ce nom dans les historiens des quatorzième et quinzième siècles. On sait d’ailleurs qu’à cette époque les vins de Bourgogne ne sortaient guère de la province, tandis que ceux d’Alsace étaient depuis long-temps recherchés de toute l’Europe.