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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre CXXXVIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 760-761).

CHAPITRE CXXXVIII.

Comment certains traiteurs et sages hommes pourparlèrent, et prirent unes trèves, à durer trois ans, entre les François et Anglois, et tous leurs alliés, tant d’une partie comme d’autre, par mer et par terre.


Vous savez comment unes trèves furent prises entre les parties et garnisons d’outre la rivière de Loire, de tous côtés jusques à la rivière de Dordogne et de Gironde, à durer jusques à la Saint-Jean-Baptiste, qu’on compta, pour lors, en l’an de grâce mil trois cens quatre vingt et neuf. Ces trèves durans en cel état, aussi d’autre part s’ensonnioient grands seigneurs et sages, entre les parties de France et d’Angleterre, pour traiter unes trèves, â durer trois ans, par mer et par terre ; et étoit l’intention des traiteurs qui de ce s’ensoignoient, que dedans ces trèves seroient enclos, pour la partie du roi de France, tous ceux qui de sa guerre s’ensoignoient : et premièrement le royaume de Castille tout entièrement, par mer et par terre, et aussi tout le royaume d’Escosse, par mer et par terre ; et d’autre part, du côté du roi d’Angleterre, tous ses alliés ; et enclos dedans le roi et le royaume de Portingal, et plusieurs barons de la haute Gascogne. Si eurent moult de peine et de travail ces traiteurs, avant qu’ils pussent avenir à leur entente, car nullement les Escots ne s’y vouloient assentir. Et, quand les nouvelles furent venues en Escosse, de par le roi de France, au roi Robert d’Escosse, il, de sa personne, s’y accorda légèrement, car il ne demandoit point la guerre. Si fit venir un jour à Haindebourch, sa maîtresse ville, tous les barons et prélats d’Escosse auxquels de celle besogne répondre en appartenoit ; car, sans leur sçu, le roi ne l’eut point fait ; et, s’il l’eût accordé, ils ne l’eussent pas tenu. Si furent en la présence d’iceux lues les lettres que le roi de France leur envoyoit ; et vouloit par ses paroles qu’ils scellassent et s’accordassent à ces trèves de trois ans.

Ces nouvelles leur furent trop dures ; et dirent adoncques : « Le roi de France ne sert fors a trèver quand il est temps de guerroyer. Nous avons en celui an rué jus les Anglois ; et encore se taille bien la saison que nous les ruerons jus secondement, et tiercement. » Là eut plusieurs paroles retournées entre eux, car nullement ils ne s’y vouloient assentir ni accorder. Finablement, il fut accordé qu’ils envoyeroient un évêque et trois chevaliers, de par eux, en France, devers le roi et son conseil, pour briser tous ces traités, et pour remontrer la bonne volonté du royaume d’Escosse. Si en furent ordonnés l’évêque de Saint-Andrieu, et, des chevaliers, messire Archebaus de Douglas, messire Guillaume de Lindesée, et messire Jean de Saint-Clar. Ceux se départirent le plus tôt qu’ils purent ; et montèrent en mer, et arrivèrent à l’Escluse ; et puis chevauchèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Paris devers le roi et son conseil, et montrèrent les lettres de créance de tous les barons et prélats du royaume d’Escosse. Ils furent ouïs et volontiers entendus, pour la grand’affection qu’ils avoient de procéder en la guerre à l’encontre des Anglois : mais, nonobstant ce, la chose étoit des parties si avant menée, traitée et pourparlée, qu’on ne la pouvoit ni vouloit reculer. Si fut répondu aux Escots doucement ; et convint que la chose se fît. Si le firent : et prirent unes trèves, par l’aide des moyens qui s’en ensoignèrent ; et eurent plusieurs journées de traités et de parlemens à Lolinghen, entre Boulogne et Calais ; et tant fut parlé, traité, et mené, qu’unes trèves furent prises, données et accordées, entre France et Angleterre. Et ceux qui s’ensoignoient de mener les traités étoient prélats, et hauts barons, et sages des deux royaumes : c’est à savoir de France et d’Angleterre ; et les avoient si approchées, qu’il convenoit qu’elles se fissent.

Or furent-elles prises entre les deux royaumes de France et d’Angleterre, et tous leurs ahers, conjoints et alliés, par mer et par terre, à durer fermement, sans dissimulation ni ombre nulle de mal engin, trois ans, entre toutes les parties. Si se tenoient à Boulogne les traiteurs pour celles trèves, de par le roi de France, l’évêque de Bayeux, le comte Wallerant de Saint-Pol, messire Guillaume de Melun, messire Nicolas Bracque, et messire Jean le Mercier : et en la ville de Calais, de par le roi d’Angleterre, messire Gautier Brion, l’évêque de Durem, messire Guillaume de Montagu, comte de Salberry, messire Guillaume de Beauchamp, capitaine de Calais, Jean Clanvou, Nicole de Gaberth, chevaliers et chambellans du roi Richard, et Richard Rohalle, clerc et docteur en lois. Et se tenoient les parlemens de ces parties sur le milieu du chemin, entre Boulogne et Calais, en un lieu, qu’on dit Lolinghen.

En ce temps étoient grands nouvelles en France, et en tous autres lieux et pays, d’une très puissante fête de joutes et d’ébattemens, que le jeune roi Charles de France vouloit faire à Paris, à la venue d’Ysabel, roine de France, sa femme, qui encore n’avoit été à Paris. Pour laquelle fête chevaliers et écuyers, dames et damoiselles, s’appareilloient partout grandement et richement ; et de laquelle fête je parlerai encore en avant en mes traités et aussi de la charte de la trève qui fut levée, grossoyée et scellée de toutes parties. Mais au jour que je cloys ce livre, je ne l’avois pas encore ; si m’en convint souffrir ; et aussi, s’il plaît à mon très cher et honoré seigneur, monseigneur le comte Guy de Blois, à laquelle requête et plaisance j’ai travaillé à celle noble et haute histoire, le me dire ; et pour l’amour de lui je y entendrai ; et de toutes choses advenues depuis le tiers livre clos, je m’informerai volontiers.


FIN DU TROISIÈME LIVRE DES CHRONIQUES DE SIRE JEAN FROISSART.