Les Hautes Montagnes/3

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(p. 7-12).

3. Le départ.

Ils doivent leur départ à M. Stéphane. De retour de la forêt, ce brave homme donna sa parole à leurs parents qu’il les accompagnerait. Il dit qu’il ferait attention à eux où qu’ils soient, qu’il leur faciliterait les choses autant que possible, et qu’il leur rapporterait des nouvelles souvent, quand il redescendrait à la ville.

Aiguiseur

C’est uniquement comme ça qu’ils réussirent à avoir l’autorisation. Il leur fallut deux ou trois jours pour se préparer et à la fin, un matin, la grande et vive caravane s’est mise en route.

Ils partent en haute montagne. Ils sont vingt-cinq enfants. Quinze vont à pied, les dix autres chevauchent les mules chargées que conduisent trois muletiers. M. Stéphane les suit sur sa jument rousse.

Et les vingt-cinq enfants sont devenus méconnaissables. Ils tiennent chacun un bâton. Sacs et gourdes leurs pendent dans le dos. Ils portent des chapeaux de paille et de grosses chaussures.

Ils sont vêtus pour vivre en montagne. Les mêmes habits, qu’ils porteront du matin au soir, devront résister aux épines et aux pierres, ils se déchireront et ils seront raccommodés. Ils n’ont pas pris d’habits neufs.

Quels modestes enfants ils sont devenus !


Avec leurs gros sacs ils ont l’air des maçons et des camelots qui descendent en ville.

Le cordonnier du village

Tous se les rappellent à cet instant, et les imitent l’un après l’autre, tels qu’ils sont, avec leur allure, avec leurs cris.

Dimitrakis fait le rétameur et hurle « cuivres à rétaaamer… »

Costakis le savetier : « chaussures à répaaaarer… »

Georges à son tour fait le rémouleur : « couteaux, cisailles, canifs à aiguiiii…’ser ».

Phanis se souvient d’un marchand qu’ils ont oublié. Il vend les herbes aromatiques, l’origan et les simples ; on l’appelle le cueilleur des montagnes : « Câpres, belles câp… ! »


Un rétameur

Dans ces éclats de rires, Kaloyannis se rappelle de la chanson « Tsiritro » et commence à chanter. Toute la compagnie entonne le drôle de refrain et ils chantent en frappant le sol de leurs bâtons :

Sur une grappe de raisin
sont tombés huit gros moineaux
Ils en font un bon festin…

Tsiri-tiri tsiritro
tsiritri
tsiritro

Ils tapaient fort de leur bec
Ils se tortillaient la queue
Et les rires sonnaient joyeux

Tsiri-tiri tsiritro
tsiritri
tsiritro
Oh la la la, quel festin
Sur la grappe de raisin
Quels cris, quel festin !
Ils l’ont laissée dégarnie

Tsiri-tiri tsiritro
tsiritri
tsiritro

Et le jour entier enivrés
Ils vont par-ci et par-là
En chantant à tous les vents

Tsiri-tiri, tsiritro
tsiritri
tsiritro


Seul Foudoulis ne chante pas ; il est le dernier. Le pauvre, le gros, le rond, le petit Foudoulis ! Sa mule est très paresseuse, elle n’obéit ni aux ordres ni aux coups de cravache. Pourquoi l’ont-ils mis sur cet animal ? Pour qu’il soit à la traîne ?

Foudoulis bataille pour l’amener devant, mais celui-ci reste derrière. Finalement Foudoulis commence à craindre que son animal ne soit pas une mule. Il lui examine attentivement les oreilles. « Peut-être qu’ils m’ont donné un âne par erreur… »

Mais les autres ne le laissent pas non plus tranquille, et à la fin ils finiront par lui faire croire :

« Foudoulis, ton pur-sang a les oreilles trop grandes ! »

« Attends, Foudoulis, il va bien finir par brailler ! »

Mais Foudoulis, qui ne se fâche jamais, se prend à rire avec les autres.

La caravane monte aux Trois-Pics en réveillant les vallées avec ses rires, ses éclats de voix, ses foulées sur les chemins pierreux.