Les Hautes Montagnes/44

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(p. 87-90).

44. La baignade.

De tous les enfants c’est Panos qui aime le plus l’eau. Il s’assit sous la fontaine le corps dévêtu et se baigne. S’il trouve une citerne en chemin, il est capable de se déshabiller et d’y plonger.

M. Stéphane l’a surnommé Merle-Panos.

Le merle d’eau n’est-il pas l’oiseau se déchaîne pour l’eau ? S’il entend de l’eau qui coule, il siffle dans sa cage. Et si Panos entend de l’eau, il bondit et devient fou de joie.

Dès qu’il a entendu qu’on irait au moulin pour la farine, quelle fête il a fait !

« Moi, dit-il, je me déclare meunier, moi ! »

À partir de là il ne pense plus qu’à s’assoir nu sous la pluie du moulin, là où les gouttes jaillissent. Il l’a déjà fait une fois, et il n’oublie cette fraîcheur.


Les femmes des bûcherons ont préparé le pain des enfants contre paiement. Par contre pour le blé, ils doivent le porter eux-mêmes à moudre au moulin.

Ils ont envoyer chercher une mule chez les bûcherons. Le matin Panos, Kaloyannis, Mathieu, Costakis et Phanis se sont mis en route. Cinq meuniers.

Pour la route ils se sont renseignés dès la veille et ils savent où aller ; ils ont bien noté les indications. Après ils ne peuvent pas se tromper puisqu’ils ont avec eux un guide précieux, la mule.

Celle-ci va toute seule au moulin. Elle comprend comme une personne. Elle sait maintenant où veulent aller les enfants. C’est un animal qui marche d’un pas assuré au bord des précipices. Il voit la nuit, et se souvient de tous les chemins où il est passé dans le noir.

Et sa cloche de cuivre résonne si bien dans les ravins !


Ils avaient marché environ une heure.

« Vous entendez, les gars ? » dit Costakis en s’arrêtant. Les autres s’arrêtèrent aussi pour écouter. Un bruit leur parvenait.

« De l’eau ! » dirent les enfants.

Immobile, Costakis tendit l’oreille et comme il entendait une cascade, il s’écria ravi :

« La Roumèle ! »

Comme à l’annonce d’un bon ami qui arrive, ils dévalèrent la pente pour la voir au plus vite.

C’était la Roumèle. Elle descendait fièrement et ses eaux grondaient.

Sur chacune de ses rives les platanes jouissaient de l’eau. Sur les côtés d’autres arbres se penchaient pour boire.

Ici la rivière s’élargissait pour former un étang, on y voyait au fond jusqu’au plus petit caillou.

Ailleurs il y avait des gradins de pierres brillantes. L’eau descendait les marches en faisant des cataractes blanches.


Le temps de profiter du panorama, ils ont vu Panos déshabillé qui entrait dans l’eau.

« Non, non ! lui criaient-ils ; tu vas avoir froid. Sors de là ! »

Panos y allait d’autant plus. Il battait l’eau de ses mains, s’éclaboussait le corps, plongeait la tête dans l’eau. Il riait et projetait une pluie de gouttes d’eau dans les airs.

« Vous avez peur ! Ouhou, vous avez peur ! » criait-il en les éclaboussant.


Costakis a commencé à enlever ses vêtements. Il se tenait debout sur la rive, tout nu.

« Tu vas plonger, Costakis ? Saute ! Allez, courage ! Quoi, tu ne sautes pas ? » lui criaient-ils.

Costakis a mis le pied dans l’eau mais il s’est arrêté terrifié ; il la trouvait froide. Il a fait demi-tour mais Panos, l’attrapant par le bras, l’a tiré dedans et l’a fait plonger tout entier.

Au premier plongeon Costakis a été saisi. Il a cru attraper une pneumonie et trépasser ! Mais aussitôt il a compris que c’est sa peur qui lui donnait froid, pas l’eau. Sur le coup il a senti le froid, maintenant il sentait la fraîcheur et le bien-être. Il s’est mis à asperger les autres.


« Ben voyons, même Costakis nous éclabousse maintenant ! » ont pensé les trois autres.

Ils se sont déshabillés aussi pour sauter à l’eau.

Le ravin leur renvoyait leurs rires et leurs cris en écho. Deux merles d’eau qui avaient eu peur au début sont revenus tout prêt se mouiller. Les platanes ont entremêlé leurs branches par-dessus pour faire un arc vert. L’eau était claire comme le diamant ; elle sortait du cœur de la montagne.

Roumèle, fraiche Roumèle !


« Et maintenant comment est-ce qu’on va se sécher ? » demande Costakis, une fois sorti de l’eau.

Bien-sûr ils n’avaient pas des serviettes avec eux. Ils sont donc allés auprès de celui qui sèche et réchauffe les pauvres et les démunis, le soleil.

Tout en restant au soleil, ils se frottaient vigoureusement la peau avec des feuilles de platane, de chêne et de lentisque. Ils se sont séchés ainsi et se sont rhabillés.

Leurs pensées n’avaient pas quitté la baignade ; ils ne pouvaient pas à l’oublier. Ils étaient devenus légers ; ils se sentaient eux-mêmes comme des feuilles, de l’eau, l’air.

Qu’est-ce qu’ils ont bien fait d’oser ! Mais tout ça grâce à qui ? À Merle-Panos.

« Venez, venez qu’on le soulève » ont-ils dit.

Ils l’ont soulevé haut en lui criant « Hourra ! »

La clochette de la mule qu’on entendait plus loin leur a rappelé qu’il était temps d’aller au moulin.