Les Hautes Montagnes/45

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(p. 91-93).

45. Le meunier soûl.

Du meunier de ce moulin, on dit qu’il ne dessaoule jamais. Son nom est Père-Coukis.

Père-Coukis essayait d’enfiler son gilet sans y parvenir…

— Père-Coukis, lui dit Costakis, on est venus pour te faire moudre deux sacs de blé.

— Déch… moul… fit le meunier.

Ça voulait dire ceci : « déchargez-le qu’on le moule ».

Il est encore bourré !

Les enfants dénouèrent et posèrent les deux sacs. Panos demanda au meunier :

« À quelle heure ça sera fait, pour qu’on sache ? » Le meunier ne répondit pas. Il avait bu autant ce qu’il fallait pour ne plus entendre grand-chose. Peut-être qu’il a entendu, mais vas-y que sa langue est emmêlée !

De temps en temps il éternuait puis se disait à lui-même : « t’soué », c’est-à-dire : « à tes souhaits ».

Plus tard il s’est souvenu de la question qu’on lui avait posée, et a répondu :

« f’ra… ment… nu… » c’est-à-dire : « on le fera le moment venu ».


Pour bien faire, la femme du meunier est venue prendre les sacs. Elle est très efficace. C’est elle qui tient le moulin. Mais elle a tellement honte de son méchant homme qu’elle reste la tête basse devant les visiteurs.

Elle jeta un regard à l’ivrogne et un autre aux enfants, comme pour dire : « voyez à quoi en est réduit un homme à cause du vin ! » Et elle a poursuivi son travail.


Père-Coukis essayait d’enfiler son gilet sans y parvenir ; Il le portait à l’envers. Il essayait aussi de chanter une chanson sans succès ; il l’oubliait et éternuait.

Malgré tout il voulait enfiler le gilet, et terminer la chanson. Il recommençait :

Cette terre que nous piétinons,
tous y retourner nous allons…

Cinq fois il a éternué, mais il continuait ; jamais il ne perd son courage. Puis il a regardé les sacs, les meules et les tamis, s’est retourné et a dit aux meubles :

« Si je bois encore une goutte, traitez-moi tous d’ivrogne. » Pas une goutte, mais quatre cent gouttes qu’il boira !… l’après-midi en allant au bistrot.