Les Hautes Montagnes/47

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Traduction par des contributeurs de Wikisource.
(p. 97-100).

47. Pour le coucher de soleil.

Phanis s’était attardé un peu en contrebas du sapin ; il voulait se couper un bâton.

De là où il était, il regardait au loin comme toujours. Il a vu les coteaux suspendus, les plantations de pin et de sapins tout droits, et alors l’envie l’a pris d’aller quelque part, ailleurs ; en haut pour voir de nouveaux endroits au loin.

Depuis des jours il pense monter en un lieu très haut pour contempler le soleil qui plonge dans la mer.

« Qu’est-ce qu’on voit de ce rocher dressé là-bas ? Peut-être la mer, s’est-il dit en lui-même… peut-être des villes, des villages avec leurs clochers… Quel drôle de rocher ! Comme il se tient debout ! Est-ce que quelqu’un est déjà monté là ? »

Phanis va y monter.


Au moment où les autres l’appelaient, il était loin. Il avançait, encore et encore.

Si quelqu’un l’avait vu, il se serait demandé : « Où va cet enfant tout seul ? »

En chemin, Phanis ne regardait rien. Il ne faisait attention ni aux arbres, ni aux lézards verts comme fraîchement peints qui s’enfuyaient sous les buissons.

Un merle tout noir au bec jaune est venu se poser sur une branche devant lui. Une autre fois quelle bonheur ç’aurait été pour Phanis ! Combien il aurait voulu l’attraper ! Maintenant c’est à peine s’il le regardait.

« Je vais monter au sommet, réfléchissait-il. Je vais voir le soleil qui va se coucher. Ça sera immense… il y aura des nuages rouges et dorés autour. Il y aura aussi les montagnes au loin ; il y aura aussi la mer… et peut-être des bateaux ».


Pendant qu’il réfléchissait à tout cela il a perdu son chemin. Ça s’est passé comme l’autre fois quand il est allé chez les Valaques.

Le sentier qu’il suivait a disparu, on ne le distinguait plus. Il aurait fallu qu’un troupeau de chèvres passe par là.

Il a essayé de le trouver à droite et à gauche mais il ne voyait que de la broussaille, pas de sentier.

Est-ce qu’il faut avancer encore ? Il a marché plus loin. Il regardait avec attention pour discerner un sentier quelque part, ailleurs. Et comme il n’en trouvait pas il a avancé, déterminé, en descendant le coteau pour arriver en bas de celui-ci.

« Forcément le coteau va m’amener au pied du rocher », pensait-il.

En effet, il est descendu dans un vallon. De là il s’est vite retrouvé sur le versant opposé, sur lequel s’élevait le rocher dressé.

« Maintenant il n’y a plus d’obstacle, a-t-il pensé. Je vais monter par ici. »

De loin il aurait vu la chose différemment, et en effet c’était tout autrement.

Il se trouvait bien au pied du rocher et il pouvait monter jusqu’à mi-hauteur.

Mais au-delà ? De grosses pierres, dressées à pic comme prêtes à tomber, ceinturaient le rocher. Il aurait fallu que Phanis en escalade plusieurs. Mais s’il réussissait à grimper des pierres aussi énormes, quand parviendrait-il là-haut ? Et quand redescendrait-il ?

C’est alors qu’il a commencé à réaliser qu’il était allé loin et que le temps avait passé.


Sur les sapins le soleil jetait une lumière rouge, indiquant qu’il était tard et qu’il fallait rebrousser chemin. Retourner au sapin ? Il fallait refaire tout le chemin parcouru — remonter tout ce qu’il avait descendu, et redescendre tout ce qu’il avait monté.

Mais maintenant les enfants seront certainement partis, en train le chercher partout. Peut-être qu’ils viennent par ici ?

Phanis s’est mis à crier.

Il n’entendait rien. « Il doivent être retournés au moulin », s’est-il dit en lui-même, et il a crié de nouveau :

« Costakis, Mathieu… les gaaaaars ».

Il a tendu l’oreille dans pour écouter tout ce désert alentour.

Dans le silence il a entendu un bruit lointain, un souffle, comme le vent, comme de l’eau. Ce bruit venait de l’autre côté du rocher, d’en bas.

Phanis a avancé dans cette direction et a observé. Il a vu sur sa gauche une défilé abrupt et profond. Et en bas, tout au fond, il a vu se dessiner une rivière.

Il a vu encore que de l’eau jaillissait en abondance d’une faille dans la falaise, un jet gros comme une racine d’arbre, pour se déverser dans la rivière. Elle tombait d’une brasse de haut en belle cascade, avec fougue et bruyamment.

De nombreux arbres verts et touffus cachaient la rivière. Et sous les arbres Phanis a distingué des maisons blanches.

Ah, quelle grâce ! Voilà donc qu’il va trouver des gens.


Il part sans perdre de temps.

Il suit des sentiers, les perd, en trouve d’autres.

Il descend en sautant. Il risque parfois de tomber dans le précipice, mais la joie le fait avancer léger comme un chevreau.

Il est arrivé aux platanes et près de l’eau. Ici aussi c’était le désert !

Son envie de voir des gens l’avait fait prendre les grandes pierres blanches pour des maisons construites sur l’autre bord de la rivière.

Non, ici il n’y avait pas âme qui vive. Que feraient des gens dans cet endroit sauvage ?

Quel écho ! le bruit de l’eau fait écho dans le défilé…

Et maintenant ? Est-ce ici qu’il va passer la nuit ? Ou bien va-t-il partir pour trouver des gens ? Mais il est très fatigué. Il fait une pause pour profiter des dernières lueurs du jour qui s’éteint. Dans peu de temps, tout sera noir.