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Les Merveilles de la science/Moteur électrique - Supplément

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Furne, Jouvet et Cie (Tome 1 des Supplémentsp. 452-463).
SUPPLÉMENT
au
MOTEUR ÉLECTRIQUE

Dans le tome II des Merveilles de la science [1], en terminant la description du Moteur électrique, nous disions que cet appareil, dans lequel on ne fait usage, comme force motrice, que de l’attraction des aimants, était sans avenir, et nous détournions les inventeurs de poursuivre plus longtemps la solution du problème de l’emploi de simples aimants comme agents de force.

C’est en 1870 que nous écrivions ces remarques, et l’expérience ultérieure n’a fait que les confirmer. Aucun des divers appareils moteurs ayant pour principe la simple attraction du fer par un aimant, naturel ou artificiel, n’a produit de résultats utiles. Ce sont de simples joujoux, propres à animer certains mécanismes enfantins, ou à figurer dans des cabinets de physique, mais incapables de développer une puissance utilisable dans la pratique. C’est à peine, en effet, s’ils fournissent la force d’un sixième de cheval-vapeur. On ne peut donc les considérer comme de véritables moteurs.

L’insuccès des moteurs électriques que l’on a construits jusqu’à l’année 1870, s’explique, d’ailleurs. La force attractive d’un aimant est très bornée, parce qu’elle décroît comme le carré de la distance ; ce qui limite beaucoup l’amplitude des mouvements, et rend presque impossibles les transmissions. Ajoutez que des courants d’induction prennent naissance au moment de la formation du courant principal, et qu’ils réagissent en sens inverse de ce courant. En outre, les aimants ont une grande dimension, et on ne peut en utiliser qu’une faible partie. Enfin, le commutateur dont il faut faire usage s’oxyde promptement, ainsi que le conducteur, par des étincelles électriques, dont on ne peut empêcher la production.

Limité à l’aimant naturel ou à l’électro-aimant, le moteur électrique était donc dans une véritable impasse, et les inventeurs sérieux avaient cessé de s’en préoccuper, lorsqu’une véritable révolution s’opéra dans cette question.

Nous avons décrit, dans le Supplément à l’Électro-magnétisme, les machines magnéto-électriques, qui ne sont que l’exécution en grand, pour les usages de l’industrie, de la vieille machine de Clarke, ou de Pixii, dans laquelle on produisait un courant d’induction en faisant tourner des aimants autour d’une armature de fer. Nous avons décrit et représenté [2] la machine de M. de Méritens, c’est-à-dire l’appareil qui produit l’électricité par le mouvement d’un aimant naturel, et nous avons également fait connaître les autres machines aujourd’hui en usage, et ayant le même principe physique pour base, telle que les machines magnéto-électriques Gramme, Siemens, Brüsh, etc.

Ainsi, une machine magnéto ou dynamo-électrique, peut produire de l’électricité, quand on imprime un déplacement relatif à l’inducteur et à l’induit ; mais, réciproquement, si l’on vient à diriger un courant électrique, d’une force suffisante, dans cette même machine, elle se met en mouvement. Ce qui revient à dire que, si à une machine dynamo-électrique on imprime un mouvement, on a de l’électricité ; si, au contraire, on lui fournit de l’électricité, on a du mouvement.

D’où il résulte que si l’on prend deux machines dynamo-électriques semblables, qu’on les place à une certaine distance l’une de l’autre, et qu’on les réunisse par un fil conducteur, quand on fera tourner la première, pour engendrer l’électricité, et qu’on enverra l’électricité ainsi produite à la seconde, au moyen d’un fil conducteur, cette dernière se mettra en mouvement, et pourra accomplir un travail mécanique.

Il y avait dans ce fait, c’est-à-dire dans l’union, dans la conjugaison, de deux machines dynamo-électriques, le principe de toute une révolution pour le moteur électrique. On avait cru, à l’origine, que de même qu’il suffit de jeter du charbon dans le foyer d’une chaudière à vapeur, pour produire de la force dans une machine à vapeur, de même il suffit de brûler du zinc dans une pile voltaïque, pour produire de l’électricité. Le principe était vrai ; seulement il n’y a point de limite à la production de la force au moyen de la vapeur, tandis qu’il faudrait brûler des quantités incommensurables de zinc dans une pile de Volta, pour donner à un courant électrique l’énergie proportionnée aux travaux que l’industrie réclame.

Le principe de l’emploi de deux machines dynamo-électriques, ou comme l’on dit aujourd’hui réversibles (l’une pouvant remplacer l’autre) a fourni la solution du problème du moteur électrique par un moyen tout à fait inattendu, et en même temps certain. Car, tandis qu’on est vite arrêté dans la production d’une force mécanique, avec la pile de Volta, on peut produire autant d’énergie motrice qu’on le désire, en augmentant le nombre de chevaux-vapeur que peut donner la machine à vapeur.

Et non seulement ce principe a fourni la solution du problème du moteur électrique, mais il a doté la science et l’industrie d’un principe absolument nouveau, à savoir, le transport de la force à distance. En effet, comme les deux machines dynamo-électriques réversibles peuvent être placées à une distance quelconque l’une de l’autre, on peut, au moyen du fil conducteur qui les réunit, transporter à un éloignement quelconque la force primitive. Et cette force primitive, remarquons-le, d’ailleurs, peut être une force artificielle, comme la vapeur, ou une force naturelle, comme une chute d’eau ou le vent.

Toute machine dynamo-électrique, en vertu du principe de la réversibilité, peut fonctionner comme génératrice d’électricité, ou comme réceptrice du courant électrique, c’est-à-dire faire l’office de moteur électrique ; mais on réserve aujourd’hui le nom de moteur électrique à des appareils de petites dimensions, construits spécialement en vue de transformer l’énergie électrique en énergie mécanique, et qui sont susceptibles de fournir de petites quantités de travail, applicable à des machines spéciales, telles que la machine à coudre, les tours mécaniques, les ventilateurs, les forets à percer, les laminoirs, etc.

Une machine réceptrice Gramme pourrait servir de moteur électrique, mais, nous le répétons, on réserve aujourd’hui ce nom à des machines ayant beaucoup moins de force, et qui sont construites en vue d’un faible travail mécanique. Nous allons passer en revue, dans un premier chapitre, les principaux moteurs électriques connus aujourd’hui, renvoyant au chapitre suivant l’étude de la grande question du transport de la force à distance par les machines dynamo-électriques.




CHAPITRE PREMIER

les petits moteurs électriques. — le moteur électrique deprez. — le moteur électrique trouvé. — le moteur griscom. — le moteur électrique de méritens. — le moteur électrique ayrton et ferry.

L’une des premières machines dynamo-électriques construites par M. Gramme (1875) est une réceptrice, d’une forme spéciale, qui peut fonctionner comme petit moteur électrique. Elle est munie de quatre balais et de quatre pièces polaires entourant l’anneau, comme dans la dynamo Gramme octogonale, que nous avons décrite dans le Supplément à l’Électro-magnétisme [3]. Mais son usage, à ce point de vue, n’a pas pris d’extension.

Fig. 390. — Petit moteur électrique Deprez.

En 1879, M. Marcel Deprez a imaginé une forme très commode de petit moteur, que nous représentons ici (fig. 390). C’est une bobine Siemens, A, montée longitudinalement entre les branches parallèles d’un aimant en acier, B, et que l’on fait tourner au moyen d’une manivelle. Mais son commutateur, C, étant en deux parties, a le défaut de présenter un point mort. Ce défaut a été corrigé par l’emploi de deux armatures en avance de 90 degrés l’une sur l’autre ; de telle sorte que l’une étant au point mort, l’autre fût en pleine action. Quand la machine est mise en action, elle fait tourner l’arbre.

M. Trouvé a supprimé les points morts que présente le moteur Deprez, en modifiant légèrement la forme du noyau de la bobine Siemens. La courbe extérieure de ce noyau n’est plus un arc de cercle ayant son centre sur l’axe ; elle est limitée par un arc excentrique, de manière qu’en tournant, sa surface approche graduellement de celle du pôle magnétique.

Dans le moteur Trouvé, l’aimant naturel dont fait usage M. Marcel Deprez est remplacé par un électro-aimant. La bobine Siemens se meut entre les pôles de l’électro-aimant, qui est excité par le courant lui-même. De cette façon, on peut faire varier l’énergie électrique obtenue, entre des limites éloignées, sans que les intensités magnétiques de l’organe fixe et de l’organe mobile cessent de demeurer dans la relation voulue.

L’armature est placée entre les pôles mêmes de l’électro-aimant, et non plus parallèlement à ses branches.

La figure 391 représente le moteur électrique Trouvé, contenu dans une caisse, en bois, D. a, a, est l’électro-aimant fixe ; f est la bobine mobile, et E le bâti en fonte qui supporte le tout.

Fig.391. — Petit moteur électrique Trouvé. Fig. 392. — Petit moteur électrique Griscom.



Un petit moteur très commode et qui s’adapte aux machines à coudre, a été imaginé en Amérique, par M. Griscom. Ce moteur que nous représentons dans la figure 392, est très répandu aux États-Unis et en Europe. Il se compose d’une simple armature Siemens, en double T, dont les pôles, légèrement excentrés, sont bombés vers le milieu. Cette bobine se trouve entièrement renfermée dans l’inducteur. Les noyaux métalliques des électro-aimants sont en fonte malléable ; ce qui en rend la fabrication très économique, sans influer sur le fonctionnement de l’appareil, car la force coercitive de la fonte est à peu près aussi faible que celle du fer doux.

Malgré ses faibles dimensions (il n’est pas plus gros que le poing), le moteur Griscom donne des résultats satisfaisants.


Fig. 393. — Petit moteur électrique de M. de Méritens.

Un autre type de moteur représenté figure 393 a été inventé par M. de Méritens, qui emploie une armature ou anneau, tout à fait semblable à celui du moteur Griscom, mais qui la monte entre des électro-aimants très compactes et très légers, servant en même temps de bâti à la machine.

D’après des expériences précises, le moteur électrique de M. de Méritens, qui ne pèse que 32 kilogrammes et demi, produit une force de trois quarts de cheval-vapeur, avec un rendement de 50 p. 100.

Fig. 394. — Petit moteur électrique Ayrton et Perry.

MM. les professeurs Ayrton et Perry, de Londres, ont imaginé un moteur électrique, très compacte, et d’une puissance considérable, relativement à son poids. La figure 394 représente l’induit et l’inducteur de cette machine. L’armature, A, est fixe, et l’électroaimant, F, se meut à l’intérieur. Celui-ci est du type de la simple bobine Siemens, à double T, dont nous avons parlé dans le Supplément à l’électro-magnétisme. L’armature est un anneau allongé, du genre Pacinotti, à dents en saillie, entre lesquelles sont roulées les bobines élémentaires. Cet anneau est formé de disques plats en tôle douce dentelée. Les balais tournent avec l’électro-aimant et le collecteur est fixe.

Fig. 395. — Petit moteur électrique Ayrton et Perry actionnant un ventilateur.

Nous représentons dans la figure 395, le moteur électrique de M. Ayrton et Perry actionnant un ventilateur.


Tels sont les principaux moteurs électriques, c’est-à-dire les petites machines dynamo-électriques réceptrices pouvant fonctionner comme agents moteurs, pour la production de petites forces. Leur usage n’est point, toutefois, à dédaigner, puisque l’un d’eux, comme le moteur Ayrton et Perry, donne, comme nous l’avons dit, un rendement de 50 pour 100.

La question préalable des petits moteurs électriques étant éclaircie, arrivons au grand fait de l’application de la réversibilité des machines dynamo-électriques, pour le transport, à toutes distances, des forces naturelles ou artificielles.




CHAPITRE II

le transport de la force à distance par la réversibilité des machines dynamo-électriques.

On s’est demandé souvent à quel physicien il faut attribuer l’idée de la liaison de deux machines dynamo-électriques, pour transporter au loin la force. La question est aujourd’hui bien éclaircie. C’est en 1873, à l’Exposition d’électricité de Vienne (Autriche ) que cette idée fut réalisée pour la première fois, par M. Hippolyte Fontaine, ingénieur de la Compagnie des machines Gramme ; et c’est un autre ingénieur français, M. Charles Félix, qui en suggéra l’idée à M. Hippolyte Fontaine.

Ce dernier avait, à l’exposition de Vienne, une machine dynamo-électrique, que faisait tourner un simple moteur à gaz. Une autre machine, exposée également par M. Fontaine, à côté de la précédente, fonctionnait comme moteur électrique, et était alimentée par une pile de Volta. M. Charles Félix, s’étant arrêté près de l’Exposition de M. H. Fontaine, lui fit cette remarque :

« Puisque vous avez une première machine qui produit de l’électricité, et une seconde qui en consomme, pourquoi ne pas faire passer directement l’électricité de la première dans la seconde, et supprimer votre pile ? Vous auriez, par ce moyen, une double transformation du mouvement en électricité et de l’électricité en mouvement. »

L’opération n’était ni longue, ni dispendieuse. En quelques instants, on relia les deux machines dynamo-électriques, l’une à l’autre, par un fil conducteur isolé, et la première machine qui produisait de l’électricité, provoqua le mouvement de la seconde, placée à quelque distance.

Voila comment la réversibilité des machines dynamo-électriques et le moyen de transformer l’énergie électrique en énergie mécanique, ont été découverts.

Cette expérience intéressante fut répétée, le 3 juin 1873, devant l’empereur d’Autriche, avec un plein succès. Une machine Gramme, actionnée par un moteur à gaz, envoyait son courant au moyen d’un câble conducteur de 100 mètres de long, à une seconde machine Gramme toute pareille, qui, sous l’action du courant qu’elle recevait, fut mise en mouvement et fit fonctionner une pompe à eau.

Le principe du transport de la force par l’électricité étant trouvé, ses applications ne tardèrent pas à se produire.

En 1879, M. Charles Félix, dont nous venons de rappeler l’importante intervention, fit une expérience du plus grand intérêt, dans sa sucrerie de Sermaize (Orne).

Aidé d’un ingénieur de grand mérite, M. Chrétien, il effectua un labourage en transportant jusqu’au champ à labourer la force de la machine à vapeur de son usine. Par le même moyen MM. Félix et Chrétien mirent en mouvement les grues qui servaient à décharger les bateaux, qui amenaient les betteraves à la sucrerie de Sermaize.

À Paris, M. Arbey fit usage du transport de la force pour mouvoir des scies rotatives servant à diviser le bois en planches.

Des concasseurs de pierres, dans des carrières, et un marteau-pilon, dans une usine, furent actionnés grâce au même moyen, par un autre industriel, M. Piat.

Dans le midi de la France, pour produire la submersion des vignes, M. Dumont, ingénieur, manœuvra des pompes à eau, à distance, au moyen d’une machine à vapeur fixe et d’un courant électrique allant aux pompes.

À partir de 1881, dans un grand nombre d’usines ou de chantiers de construction, le transport de la force par l’électricité fut mis en pratique.

À la fonderie de Rueil, on commanda électriquement à distance, des machines-outils, des perceuses, etc.

Nous avons vu, en 1885, à l’usine de M. Farcot, à Saint-Ouen, une grue mise en action à distance par un fil conducteur, qui lui envoie la force d’une machine à vapeur faisant tourner une machine Gramme.

Dans les magasins de la Belle Jardinière, à Paris, on fait passer par un fil la force de la machine à vapeur, qui est dans les caves, jusqu’au quatrième et au cinquième étage, pour faire mouvoir des machines à coudre, des scies à rubans, etc.

Aux magasins du Louvre, un fil passant par-dessus la rue Saint-Honoré, envoie de la force empruntée au moteur, placé dans les caves, jusque dans la rue de Valois, à 150 mètres de distance.

Dans les mines, certains appareils sont commandés par un fil conducteur qui transporte la force d’une machine à vapeur placée près des puits d’extraction.

Dans les pays de montagne, abondants en cours d’eau, la force de ces cours d’eau, recueillie par une machine Gramme, est envoyée à une deuxième machine, pour fournir de l’électricité, qui sert à produire l’éclairage.

On voit à Saint-Moritz, dans le canton des Grisons, un foyer de lumière électrique alimenté par la chute d’un torrent.

Aujourd’hui, dans toutes les expositions industrielles renfermant une galerie de machines, la plupart des machines fonctionnent sans moteur visible, parce que la force leur est envoyée, à distance, par une machine à vapeur installée à l’extérieur. Nous avons parlé avec détails, dans le Supplément à la machine à vapeur, des ventilateurs Geneste et Herscher, qui produisent la ventilation dans les salles de l’Hôtel de Ville de Paris, et de l’École centrale, par transmission électrique [4].


Nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer les applications déjà réalisées du transport de la force par un fil électrique, grâce aux machines dynamo-électriques conjuguées. Nous ne pouvons cependant nous dispenser de signaler les essais qui ont été faits pour l’application du moteur électrique au transport des voyageurs sur les chemins de fer.

C’est à un constructeur allemand, Werner Siemens de Berlin, (mort en 1886), qu’est due la première application du transport électrique de la force, pour traîner les convois sur les voies ferrées. Werner Siemens réalisa, pour la première fois, à l’Exposition d’électricité de Paris, en 1881, la traction des convois sur les chemins de fer par l’électricité.

Werner Siemens faisait usage d’une machine à vapeur fixe produisant de l’électricité dans une machine Gramme, laquelle envoyait son courant à une seconde machine Gramme, installée sur la voiture. Le conducteur qui amenait l’électricité à la deuxième machine Gramme, était une barre de fer placée entre les deux rails, isolée par des blocs de bois, sur laquelle venaient frotter, en passant, des lames flexibles, amenant le courant à la machine réceptrice.

Ce système de transport de la force pour produire la locomotion sur les voies ferrées, a été beaucoup modifié plus tard ; mais, disons-le, sans avoir encore amené de grands résultats pratiques.


M. Marcel Deprez a attaché son nom à l’application en grand du transport des forces naturelles ou artificielles au moyen d’un fil électrique. Il a eu le mérite de déterminer dans quelle proportion la force est transmise, c’est-à-dire le degré de rendement de la force primitive.

Dès 1880, M. Marcel Deprez élaborait un projet de transmission et de distribution électrique de la force produite par un moteur à vapeur, aux diverses machines-outils d’un atelier. Il réalisa ce projet, et en 1881, il montrait, à l’Exposition d’électricité, les résultats qu’il avait obtenus. Diverses petites machines étaient mises en action par la transmission électrique de la force d’un moteur à vapeur.

Lors de l’Exposition d’électricité, de Munich, en 1882, la municipalité de cette ville ayant eu connaissance des travaux de M. Marcel Deprez, lui demanda de faire une démonstration pratique et publique de son système de transport de force par l’électricité.

M. Marcel Deprez accepta avec empressement. La machine génératrice d’électricité fut installée à Miesbach, petite ville du sud de la Bavière, où se trouvent des mines importantes de charbon, et qui est située à 57 kilomètres de Munich ; la machine réceptrice du courant fut placée dans cette dernière ville, dans la grande nef de l’Exposition, où elle actionnait une pompe centrifuge, employée à alimenter une petite cascade artificielle. La ligne se composait de deux fils télégraphiques ordinaires, en fer galvanisé, qui avaient été mis gratuitement à la disposition des expérimentateurs par le gouvernement bavarois. On n’avait pas jugé nécessaire de faire recouvrir les fils d’une enveloppe isolante.

On ne réussit qu’à transporter la force d’un quart de cheval-vapeur, et l’on ne put obtenir qu’un rendement de 30 pour 100 de la force primitive.

En 1883, à la gare du chemin de fer du Nord, à Paris, nouvelle expérience, avec une machine dynamo-électrique spéciale pour la production de l’électricité, machine construite sur les plans donnés par M. Deprez. On opérait sur un fil télégraphique de 17 kilomètres de longueur. On envoya ainsi deux chevaux-vapeur à 8 kilomètres et demi de distance, avec un rendement de 40 pour 100.

Une autre série d’expériences fut entreprise par M. Marcel Deprez, à Grenoble, pour transporter, non pas la force artificielle d’une machine à vapeur, mais la force naturelle d’une chute d’eau. On abandonna le fil télégraphique de fer galvanisé, et on le remplaça par un fil spécial, en bronze silicieux, de deux millimètres de section. On sait que le bronze silicieux offre beaucoup plus de résistance que le simple fil de fer.

La distance était de 14 kilomètres, et on réussit à transporter jusqu’à 7 chevaux-vapeur, avec un rendement de 62 pour 100.

Nous représentons dans les figures 396 et 397 la belle expérience de Grenoble.

Fig. 396. — Expérience pour le transport de la force par le courant électrique, faite de Vizille à Grenoble, par M. Marcel Deprez. (Appareil de Vizille pour la production de l’électricité au moyen de la chute d’eau.)
Fig. 397. — Expérience du transport de la force par le courant électrique, faite de Vizille à Grenoble, par M. Marcel Deprez. (Appareil récepteur de Grenoble contenant une pompe pour l’élévation de l’eau.)

On voit par la figure 396 la chute d’eau de Vizille faisant tourner une turbine, T, et le mouvement de cette turbine transmis, par une série d’arbres et de pignons, A, à une machine dynamo-électrique, C, laquelle engendre par le mouvement, un courant électrique, qui est recueilli et transporté par le fil, D, et le conducteur métallique en bronze silicieux, qui le transmet à Grenoble.

La figure ci-dessus montre l’arrivée du fil conducteur à Grenoble, dans la galerie de l’Exposition, et la machine réceptrice, R, qui, recevant le courant électrique de Vizille, transforme l’électricité en énergie mécanique. La force ainsi transmise actionne une pompe, qui élève l’eau d’un réservoir et la fait retomber, en cascade.

Enfin, dans une nouvelle série d’expériences faites de Paris à Creil, le bronze silicieux fut remplacé par un fil de cuivre, de 5 millimètres de diamètre.

Au point de vue du rendement, à intensité égale de courant, la perte par le conducteur avec le bronze silicieux était une fois moindre que celle qu’avait donné à Munich le simple fil télégraphique en fer. On transmit, de Paris à Creil, une force de 4 chevaux-vapeur et demi, avec un rendement de 48 pour 100. C’était un progrès sur la première expérience du chemin de fer du Nord, en 1883, qui n’avait donné qu’un rendement de 40 pour 100, comme il est dit plus haut.

À la suite de ces expériences, qui, malgré leurs médiocres résultats, furent jugées encourageantes, MM. de Rotschild se déclarèrent prêts à subvenir aux dépenses nécessaires pour l’expérience en grand du transport de la force de Paris à Creil, sur le chemin de fer du Nord, c’est-à-dire à la distance de 58 kilomètres. Il s’agissait de transporter à cette distance une force de 200 à 250 chevaux-vapeur.

Les expériences, commencées au mois d’octobre 1885, durèrent plus d’une année. Un rapport fait à l’Académie des sciences, par M. Maurice Lévy, au mois de mai 1886, a donné de grands éloges à M. Marcel Deprez, mais cette approbation n’a pas trouvé beaucoup d’échos dans le public savant. Il nous suffira, pour le prouver, de citer l’opinion d’un recueil impartial, le Bulletin international d’électricité, qui apprécie en ces termes les expériences de Creil :


« Le programme, dit ce recueil, n’a pas été rempli, La machine génératrice d’électricité fonctionnant à Creil n’a pu utiliser qu’un peu plus que la moitié de la force mise à sa disposition. Au lieu de recevoir à Paris 100 chevaux-vapeur, avec un rendement de 50 pour 100, on a obtenu au maximum 52 chevaux, avec un rendement de 45 pour 100. Au lieu d’avoir à Paris trois réceptrices, entre lesquelles on devait distribuer le courant électrique, des raisons d’ordre administratif ont contraint M. Deprez à opérer avec une seule réceptrice.

Si la machine génératrice d’électricité a donné lieu à toutes sortes de mécomptes lorsqu’on a voulu modifier les principes de Gramme, la réceptrice, dont l’anneau est un véritable anneau Gramme, a toujours très bien fonctionné, sans exiger la moindre réparation.

M. Maurice Lévy a condamné l’isolement du conducteur, et a expliqué par une condensation électrique l’accident du 5 décembre 1885, où la génératrice et plusieurs postes télégraphiques ont été mis hors de service. L’emploi de fils nus placés hors de toute atteinte, à une distance de 1 mètre des fils téléphoniques ou télégraphiques, et isolés seulement au voisinage et à l’intérieur des ateliers, se recommande donc dans les applications futures de l’électricité.

Au début, il n’était question que d’une génératrice et de trois réceptrices. On a reconnu que, si l’on ne voulait pas exposer ces machines à une destruction plus ou moins complète à chaque variation de quelque importance dans les résistances à vaincre, il fallait recourir à des excitatrices séparées. Chaque machine s’est ainsi trouvée doublée d’une excitatrice, d’où diminution sensible du rendement, par suite de la force absorbée par celle-ci, augmentation des dépenses de premier établissement et complication du matériel.

La distribution de la force à la chapelle est obtenue par un procédé auquel l’électricité n’a rien à voir. L’arbre de la réceptrice commande mécaniquement, par courroie, une machine Gramme, qui à son tour joue le rôle de génératrice, et envoie un nouveau courant dans diverses réceptrices.

En résumé, la commission d’examen a procédé, le 24 mai 1886, à une expérience, une seule, qui a duré 2 ou 3 heures (la durée n’est même pas indiquée), et pendant laquelle la force électromotrice a varié de 4 887 à 6 290 volts pour la génératrice, et de 3 902 à 5 081 volts pour la réceptrice ; le travail fourni à la génératrice a varié de 66,7 à 116 chevaux, et le travail recueilli au frein de la réceptrice de 27,2 à 52 chevaux ; le rendement mécanique industriel a varié de 40,78 pour 100 au début à 44,81 pour 100 à la fin.

Au point de vue scientifique, le seul point qui mérite d’être signalé dans les expériences de Creil, c’est la production de courants de très hautes tensions sans qu’il y ait eu de déperdition sensible par le conducteur isolé et mis sous plomb. »


Les expériences de Creil entreprises en 1885 et 1886, dans les conditions grandioses que nous venons de signaler, n’ont donc pas produit ce qu’on en espérait. Pour transporter à de grandes distances des forces considérables, il faut un conducteur de faibles dimensions. Sans cela, c’est-à-dire s’il fallait employer un très gros fil métallique, les dépenses d’installation de la ligne ôteraient tout le bénéfice du transport de l’énergie. Malheureusement, les expériences de M. Marcel Deprez sur la ligne du chemin de fer du Nord, de Paris, à Creil, ont prouvé qu’un fil de faible section ne peut réaliser avec avantage et sécurité le transport de telles forces. On a reconnu, dans les expériences dont il s’agit, qu’il faut donner à l’électricité qui parcourt ce fil, une tension prodigieuse. C’est, à vrai dire, la foudre qui parcourt le conducteur électrique, réduit aux dimensions de 3 millimètres de diamètre. De là, de grands dangers, comme l’ont prouvé des accidents graves survenus pendant les expériences, et des difficultés qui interrompirent souvent le passage du courant électrique. N’oublions pas, d’ailleurs, que la perte de force pendant le transport a été considérable, puisqu’elle n’est pas moins de 50 pour 100.

En résumé, les expériences entreprises par M. Marcel Deprez, avec le concours financier de MM. de Rotschild, ont échoué, il faut le reconnaître, mais le principe du transport de la force par l’électricité n’est point compromis par cet échec. Quand on se contentera de transporter, par le fil électrique, des forces raisonnables, on tirera de cette belle méthode d’excellents résultats, et le transport lointain des forces de la vapeur des chutes d’eau ou du vent, reste acquis à la science et à l’industrie, comme une des plus grandes découvertes de notre siècle.

Dans les mines, le transport de la force a déjà reçu, comme il a été dit plus haut, des applications très nombreuses, qui ne feront que s’accroître avec le temps. L’électricité permettra de distribuer, avec une singulière facilité, l’énergie mécanique dans tous les points d’une usine ou d’une manufacture où elle sera nécessaire. On s’en servira pour mettre en action les machines-outils, les grues, les pompes ; pour actionner les tours, les laminoirs, les métiers à tisser, etc.

Quant au transport des forces naturelles, un avenir plus important encore leur est réservé. Là où abondent les chutes d’eau, on pourra les recueillir en une chute unique, qui servira à faire tourner une machine dynamo-électrique ; et l’électricité ainsi engendrée sera expédiée pour produire, à distance, soit le mouvement pour les ateliers, soit l’éclairage électrique pour les villes, c’est-à-dire, le mouvement dans le jour, et l’éclairage la nuit. Depuis quelques années, en certaines localités de la Suisse, la force des torrents ainsi recueillie, sert à éclairer des villes, et des entreprises du même genre se préparent en Amérique et dans différents pays de l’Europe. Quand les dépenses nécessaires pour la captation des eaux ne seront pas trop fortes, on aura là l’immense avantage d’utiliser des forces naturelles perdues jusqu’ici. C’est un bienfait nouveau dont les populations devront se montrer reconnaissantes envers la science et les savants.


On voit, en définitive, et pour en revenir à l’objet de ce Supplément, que le moteur électrique a eu, dans son développement, deux périodes distinctes. La première période, de 1843 à 1870, que nous avons considérée dans les Merveilles de la science, n’a donné que des résultats négatifs, parce qu’elle se bornait à mettre en jeu le fait pur et simple de l’attraction du fer par l’aimant. Dans la seconde période, qui va de 1870 au moment actuel, et que nous avons considérée dans ce Supplément, le moteur électrique a fait un pas immense, parce que l’on a substitué à la simple attraction magnétique la production d’un courant d’électricité par la rotation des aimants autour d’une armature de fer. Et l’idée féconde de la liaison de deux machines dynamo-électriques, dont l’une produit le mouvement, et l’autre, placée à distance, reçoit l’électricité envoyée par la première, a fait surgir une des plus grandes découvertes dont notre siècle se soit enrichi : le transport de la force par le courant électrique.

fin du supplément au moteur électrique.
  1. Page 404.
  2. Page 450.
  3. Page 433.
  4. Page 22.