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Les Petites Religions de Paris/Les Lucifériens

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Léon Chailley (p. 155-164).

LES LUCIFÉRIENS

La Semaine religieuse de Paris, organe officiel du catholicisme, a reconnu l’existence de l’Antipape Lemmi, à qui les Palladistes, le 20 septembre dernier, confièrent la tiare de Lucifer. Le culte de l’Antéchrist est maintenant un fait et l’Église ne l’ignore plus. Déjà le P. Deschamps, M. Claudio Saunet, Mgr Fava, Dom Benoît, Mgr Meurin, M. l’abbé Mustel de Coutances divulguèrent maintes fois les progrès modernes du Diable nouveau, annoncé par l’Apocalypse et dont le règne commencera au vingtième siècle, selon les prophéties.

Voici les extraordinaires documents que je tiens du docteur Bataille, initié au culte de Lucifer, mais qui ne cessa jamais d’être catholique et pratiquant, même pendant son passage dans la secte :

« Sous la maçonnerie qui agonise, inconsciente, une religion formidable a germé, le Palladisme, qui a son directoire suprême à Charleston, la Jérusalem du Messie de l’enfer, son comité exécutif à Rome et son administration à Berlin.

» Pour devenir palladique, il faut être affilié au rite de Misraïm et de Memphis, porter le titre de chevalier Kadosch et, en tout cas, ne pas être trente-troisième avec l’anneau, comme M. Floquet, car lorsqu’on a reçu l’anneau, c’est qu’on n’est capable d’aucune initiation mystique. Le but du palladisme n’est pas la simple conquête du pouvoir politique, mais la possession du monde entier et sa déchristianisation. Là se recrutent les grands inspecteurs généraux en mission permanente, « garants d’amitié », tels que Cornélius Herz, Hœnkel, Bleichrœder. Parmi eux, deux femmes : mesdemoiselles Sophia Walder et Diana Vaughan.

» On a beaucoup parlé de ces deux prêtresses lucifériennes, et M. François de Nion raconta le flamboiement, sur l’épaule nue de Sophia, des prophéties contre le Saint-Siège. En les grandes séances évocatoires, cette vierge sert de pythonisse ; ses révélations font foi. Mais ce qui donne à celle nommée encore « Sapho » ces terribles pouvoirs (dont celui de « bilocation »), c’est qu’elle fut désignée par Lucifer en personne pour devenir la trisaïeule de l’Antéchrist. « Le nombre des papes d’Adonaï et de Jésus est limité, avoua-t-elle ; je serai mère à trente-trois ans d’une fille qui elle-même, à trente-trois ans, mettra au monde une autre fille, et la dernière de la tige sera la mère de l’Antechrist ; celui-ci, existant maintenant à l’état de démon, s’incline déjà vers moi quand, avec Chambers et Mackey, nous l’appelons ; — et il me nomme Sainte Mère. »

Monsieur l’abbé Mustel, du clergé de Coutances, rédacteur à la Revue catholique de ce diocèse, ayant parlé à plusieurs reprises du culte rendu au diable par cet étrange sectaire que plusieurs appellent la femme au serpent, reçut d’elle cette lettre significative :

(Ici En la Vallée Centrale
le triangle palladique) sous l’œil de D∴ L∴
Palladium (Dieu Lucifer)
Réformé Nouveau et au sein de notre

Sainte Loge Mère de Lotus
Souveraine
Grande Maîtrise
de Orient de Paris
France, Suisse, Belgique. le 2 février 000893.
sous
l’obédience immédiate
du
Suprême Directoire
Dogmatique
de Charleston.


« Monsieur,


» Une de nos sœurs de Cherbourg nous fait savoir qu’un jésuite de robe courte, agissant évidemment d’après vos instructions et mouchardant pour votre compte, se livre à une enquête au sujet d’une question d’ordre tout à fait privé. Notre devoir est de vous faire observer que nous ne nous occupons pas de ce qui se passe dans vos couvents. Par conséquent, veuillez donner contre-ordre à vos mouchards ; sinon il pourrait bien leur en cuire, nous vous en prévenons bien. Mêlez-vous de dire votre messe. Nous disons, nous, la nôtre ainsi qu’il nous convient. Chacun honore la divinité comme il la comprend.

» Donc, cessez de vous occuper de ce qui ne vous regarde pas.

» Sophia. »


« Le palladisme se sert du carbonarisme et de l’anarchie afin de détruire la société présente et d’édifier sur ses ruines le culte de celui qu’il appelle « le Dieu bon ». Il a son pape (le premier fut Albert Pike), sa ville sainte, Charleston, son Vatican et son sérénissime grand conseil de cardinaux à qui Lucifer apparaît rituellement. C’est même une de ses façons de railler notre Adonaï : « Voyez, dit-il, l’impuissant ! Son pape ne peut même pas le faire apparaître ; il est vaincu et déjà mort sur cette terre comme dans les autres étoiles — d’où je l’ai chassé, moi Lucifer ! »

« À Paris, où ils ne disposent pas encore d’une grande puissance, les lucifériens possèdent deux temples : le premier rue Rochechouart, pas très loin du Sacré-Cœur ; le second sur la rive gauche, tout près de l’archevêché. L’un d’eux est le fameux triangle Saint-Jacques. On y dit la « messe blanche » et là ont lieu les tenues maçonniques avec évocation.

» Le vendredi, à trois heures, Lucifer se montre à Charleston et il se manifeste aussi dans les divers centres, sauf à Rome.

» La « messe blanche », c’est la messe retournée. Le « mage élu » ou la « maîtresse templière » qui la prononce porte une chasuble avec la croix en bas. La communion se donne sous les deux espèces ; l’hostie est noire avec présence réelle de Lucifer. Et l’officiant commence ainsi :

» Introïba ad altare Dei optimi maximi.

» Sur le retable de l’autel, Lucifer, jeune homme aux ailes déployées, semble descendre du ciel de flammes. Sa droite érige un flambeau, sa gauche répand une corne d’abondance. Il foule un crocodile, — papauté et royauté, — portant la tiare et la couronne. Au-dessous de l’idole, sur la table de l’autel, trois statuettes : la première, Belzébuth, avec auprès de lui la sphère terrestre enlacée d’un serpent, lève la main pour annoncer l’arrivée de Lucifer ; la seconde, Astarot au doux visage, aux doigts ornés d’une rose, tient contre sa jambe le médaillon du Taureau ; la troisième, plus terrible, Moloch, serre une hache et se défend par une sorte de bouclier où est sculptée une tête de lion…

» L’Évangile de la messe est extrait du livre Apadno, écrit à l’encre verte par Lucifer et signé par lui. Ce manuscrit, donné à Albert Pike, est enfoui au Sanctum Regnum, dans l’autel triangulaire de Charleston, là où s’étale non plus l’idole de Lucifer, mais le Dieu lui-même, le Baphomet qu’aucune force humaine n’a pu arracher de son temple. Il ressemble au Bouc Androgyne des Templiers, mais le caducée a été remplacé par la rose sur la croix, au pied de laquelle se sacrifie le Pélican. »

Commenter ces étranges révélations serait les affaiblir. Il fallait certes les lassitudes de notre siècle pour imaginer ou rétablir cette religion de l’Archange tombé. Dois-je ajouter que les Lucifériens méprisent les satanistes et regardent comme tels les occultistes contemporains ? Leur morale veut être aussi pure que la nôtre, car ce n’est pas le Dieu du mal qu’ils adorent, c’est le « Dieu bon », et ils appellent Adonaï « le Dieu méchant ». Le docteur Bataille m’a affirmé encore qu’ils possèdent déjà l’Inde, la Chine, que l’Amérique va être conquise et qu’en Europe va se livrer le suprême et définitif combat.

Assurément, si ces sociétés de thaumaturges n’étaient pas de redoutables adversaires, — (un schisme immense se préparerait dans l’Église catholique), — il faudrait les louer de nous éblouir par un tel faste de miracles ; les féeries n’amusent pas que les enfants : mais les choses trop scintillantes sont parfois trompeuses, et j’ai grand’peur que ces temples, ces prêtresses, ces anges et ces dieux ne soient le plus souvent que les hallucinations d’un rêve de flamme.