Les Rétractations (Augustin)/I/III

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Œuvres complètes de Saint Augustin, Texte établi par Poujoulat et Raulx, L. Guérin & Cie (p. 309-310).
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CHAPITRE III.

de l’ordre. — deux livres

1. À cette même époque, et entre les livres sur les Académiciens, j’en écrivis deux sur l’Ordre, où je traite cette grande question Si l’ordre de la divine Providence contient tous les biens et les maux. Mais comme je remarquai que cette matière, si difficile à comprendre, ne pouvait, qu’avec assez de peine, parvenir par la discussion jusqu’à l’intelligence de mes interlocuteurs, je préférai les entretenir de l’ordre à observer dans leurs études et au moyen duquel on peut s’élever des choses corporelles aux incorporelles.

2. Mais il me déplaît dans ces livres d’avoir prononcé souvent encore le mot de « Fortune[1]. » Je regrette aussi de n’avoir pas ajouté « du corps », quand j’ai nommé les sens[2] comme également d’avoir beaucoup attribué aux sciences libérales[3], qu’ignorent beaucoup de saints et que plusieurs connaissent sans être des saints. Je suis fâché d’avoir parlé des Muses, même en plaisantant, comme de déesses[4] ; d’avoir appelé « l’admiration » un défaut[5], et d’avoir dit de philosophes sans piété véritable, qu’ils avaient brillé de l’éclat de la vertu. De même j’ai, non pas sur la foi de Platon ou des Platoniciens, mais de moi-même, admis deux mondes, l’un sensible, l’autre intelligible, allant même jusqu’à supposer que Notre-Seigneur l’avait voulu enseigner, parce qu’il n’a pas dit : « Mon royaume n’est point du monde » mais « mon royaume n’est point de ce monde[6]. » Il y a bien cependant quelque locution qui peut s’entendre ainsi ; et si le Seigneur Jésus a eu en vue un autre monde, ce monde-là doit plus convenablement s’entendre de celui où il y aura une « nouvelle terre » et « de nouveaux cieux » alors que cette prière sera accomplie : « Que votre règne arrive[7] » Aussi Platon ne s’est-il pas trompé en ce qu’il a dit qu’il y a un monde intelligible ; si toutefois nous avons soin de faire attention à la chose même et non à un mot qui, sur cette matière, n’est pas dans les habitudes de l’Église. Il a appelé monde intelligible cette raison éternelle et immuable par laquelle Dieu a fait le monde. Si on niait cette raison, il faudrait admettre que Dieu a fait ce qu’il a fait sans raison, ou bien que, pendant qu’il le faisait ou avant qu’il le fit, il ne savait pas ce qu’il faisait ; ce qui serait arrivé s’il n’y avait pas eu en lui la raison de le faire. Que si au contraire cette raison était en lui, ce dont on ne saurait douter, c’est elle que Platon paraît avoir voulu désigner sous le nom de monde intelligible. Toutefois, si nous eussions été assez avancé déjà dans les sciences ecclésiastiques, nous ne nous fussions pas servi de ce terme.

3. Il me déplaît aussi qu’après avoir dit : « Le plus grand soin doit être apporté aux bonnes mœurs, » j’aie ajouté bientôt après : « Car autrement notre Dieu ne pourrait nous exaucer : tandis que ceux qui vivent bien, il les exaucera très-facilement[8] » On pourrait inférer de ces paroles que Dieu n’exauce pas les pécheurs. Quelqu’un a dit cela dans l’Évangile, mais il ne connaissait pas encore le Christ, qui déjà lui avait ouvert les yeux du corps[9]. Je suis au regret d’avoir donné tant de louanges au philosophe Pythagore[10]. Celui qui les écouterait ou les lirait, pourrait penser que je crois qu’il n’y a point d’erreurs dans la doctrine pythagoricienne, au lieu qu’il y en a de nombreuses et de capitales.

Cet ouvrage commence ainsi : « L’ordre des choses, mon cher Zénobe. »

  1. Liv. II, C. IX, n. 27.
  2. Liv. I, C. I, II, et suiv.
  3. Ibid. C. VIII et liv. II, C. XIV.
  4. Ibid. C. III, n. 6.
  5. Ibid. n. 8.
  6. Jean, XVIII, 36.
  7. Matth. VI, 10.
  8. Liv. II, C. XX, n. 52.
  9. Jean, IX, 30, 31.
  10. Liv. II, C. XX, n. 53.