Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Lancelot du lac/30

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Léon Techener (volume 3.p. 214-216).

XXX.



Le chevalier vainqueur des géants avait, en sortant de la forêt, rencontré un vavasseur revenant de la chasse avec un beau chevreuil troussé sur le roncin d’un écuyer. Ce vavasseur lui offrit l’hospitalité : « Vous serez bel et bien reçu, et vous aurez de ce chevreuil à votre souper. » Le Chevalier ne refusa pas et passa la nuit dans ce logis. Le lendemain, après avoir entendu la messe, il se fit armer et prit congé du vavasseur.

À quelques jours de là, il arrive devant une chaussée qui avait une lieue de longueur et qu’on avait pratiquée sur un terrain humide et marécageux. À l’entrée se tenait un chevalier armé qu’il lui fallut encore défier, dès qu’il se fut déclaré l’ennemi du roi Artus et de celui qui avait juré de combattre tous ceux qui aimeraient moins le chevalier navré que celui qui l’avait navré. Notre chevalier eut beau le conjurer de se dédire, il fut contraint de se mesurer avec lui et de lui arracher la vie, pour échapper au parjure. Cette rencontre devait lui coûter cher. Comme en suivant la chaussée il approchait d’une ville appelée le Puy de Malehaut, il fut devancé par deux écuyers qui portaient, l’un le heaume, l’autre l’écu de celui qu’il venait d’immoler. Dès qu’il eut franchi lui-même les portes de Malehaut, elles se refermèrent sur lui ; il entendit de grands cris confus, et bientôt il se vit entouré d’une foule furieuse de chevaliers, écuyers et sergents qui se ruèrent à l’envi sur lui et commencèrent par tuer son cheval. Il se dégagea vivement et tint longtemps en respect plus de quarante glaives tendus vers lui ; enfin, il gagna les degrés d’une maison forte[1] voisine, et continua une défense désespérée. Accablé de lassitude, il venait de tomber à genoux, quand la dame de la maison descendant jusqu’à lui offrit de le recevoir prisonnier : « Qu’ai-je fait, dame, pour mériter d’être pris ? Vous avez tué le fils de mon sénéchal et vous n’échapperez pas autrement à la vengeance de ses parents et de ses amis. » Il tendit son épée à la dame ; la multitude s’arrêta, et il se laissa conduire dans une geôle ou prison pratiquée à l’un des bouts de la grande salle. Cette geôle avait deux toises de large, et la longueur d’un jet de pierre. Les parois s’en rapprochaient à mesure qu’elles arrivaient au faîte. Deux fenêtres de verre, ouvertes de ce côté, permettaient au prisonnier de voir tout ce qui se passait dans la salle[2]. C’est là que fut enfermé notre chevalier.

  1. On disait maison fort. De là le nom propre si commun de la Maisonfort.
  2. Il n’est pas aisé de bien se rendre compte de la description de cette geôle, qui varie dans les différentes leçons et même dans la même leçon, à quelques alinéas de distance ; voici la plus intelligible : La geole estoit au chief de la salle ; si estoit lée par desoz, et par dessus greille. Si avoit deux toises en tout sens, et haut jusqu’à la couverture de la salle ; à chascune quarréure de la salle avoit deux fenestres d’ivoire (s. d. de voirre) si clers, que cil qui estoit dedens povoit veoir tout ce qui entour estoit en la salle. »