Les Singularitez de la France antarctique/03

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 10-14).


CHAPITRE III.

De l’Afrique en general.


Passans outre ce destroict, pour ce qu’auions costoyé le païs d’Afrique l’espace de huit iournées, semblablement à senestre iusques au droit du cap de Canti[1], distant de l’equinoctial trente trois degrez, nous en escrirons sommairement. Quatre parties de la terre selon les modernes géographes. Afrique selon Ptolemée, est une des trois parties de la terre, (ou bien des quatre, selon les modernes géographes, qui ont escrit depuis, que par nauigations plusieurs païs anciennement incongneus ont esté découuers, comme l’Inde Amerique, dont nous pretendons escrire) appellée selon Iosephe[2], Etymologie diuerse de ce mot Afrique.Afrique, de Afer, lequel comme nous lisons ès histoires Grecques et Latines, pour l’auoir subiugée, y a regné, et faict appeller de son nom : car auparauant elle s’appelloit Libye, comme veulent aucûs, de ce mot grec Λίβυς, qui signifie ce vent du midy, qui là est tant frequent et familier : ou de Libs, qui y regna. Ou bien Afrique a esté nommée de ceste particule a, et Φρίκή, qui signifie froid, comme estant sans aucune froidure : et parauant appellée Hesperia. Situatiô de l’Afrique.Quant à sa situation elle commence veritablement de l’Ocean Atlantique, et finit au destroit de l’Arabie, ou à la mer d’Egypte, selon Appian : comme pareillement en peu de parolles escrit tres bien Àristote. Les autres la font commencer du Nil, et vers Septentrion à la mer Mediterranée. Dauantage l’Afrique a esté appellée (ainsi que descrit Iosephe aux Antiquités Iudaïques) tout ce qui est côpris d’un costé depuis la mer de Septêtrion, ou Mediterranée, iusques à l’Océan meridional, separée toutefois en deux, vieille et nouuelle : la nouuelle commence aux monts de la Lune ayant son chef au cap de Bonne Esperance, en la mer de midi, trente-cinq degrez, sus la ligne, de sorte qu’elle contient de latitude, vingt-cinq degrez. Quant à la vieille elle se diuise en quatre prouinces, la premiere est la Barbarie, contenant Moritanie ou Tingitaine, Cyrene et Cesariense. Là tout le peuple est fort noir : autresfois ce païs a esté peu habité, auiourd’huy beaucoup plus, sans parler de diuers peuples au milieu de ceste contrée, pour la diuersité des mœurs et de leur religion, la cognoissance desquelz meriteroit bien voyage tout expres. Ptolemée n’a faict mention de la partie exterieure vers le midy, pour n’auoir esté decouuerte de son temps. Plusieurs l’ont descritte plus au long, comme Pline, Mela, Strabo, Apian, et autres, qui m’empeschera de plus m’y arrester. Ceste region dit Herodian estre feconde et populeuse, et pourtant y auoir gens de diuerses Calmes de sortes, et façons de viure. Colônes de pierre ou sont caracteres Pheniciens. Que les Pheniciens quelquefois soyent venuz habiter l’Afrique, monstre ce caracteres qu’est escrit en langue Phenicienne en aucunes colonnes de pierre[3], qui se voyent encores en la ville de Tinge, nommée à present Tamar, appartenant au Roy de Portugal. Quant aux meurs : tout ainsi qu’est diuerse la temperature de l’air, selon la diuersité des lieux : ainsi acquerent les personnes variété de temperamens, et par consequence de meurs, pour la sympathie qu’il y a de l’ame auec le corps : côme monstre Galien au liure qu’il en a escrit. Nous voyons en nostre Europe, mesme en la France, varier aucunement les meurs selon la varieté des païs. Comme en la Celtique autrement qu’en l’Aquitanie, et la autremêt qu’en la Gaule Belgique : encores en chacune des trois on trouuera quelque varieté. Meurs et religions des Africains. En general lon trouue les Africains cauteleux : comme les Syriens auares : les Siciliens subtils : les Asians, voluptueux. Il y a aussi grande varieté de religions : les uns gentilisent mais d’une autre façon qu’au temps passé : les autres sont Mahometistes, quelques uns tiennent le Christianisme d’une maniere fort estrange, et autrement que nous. Quât aux bestes brutes, elles sont fort variables. Aristote dit les bestes en Asie estre fort cruelles, robustes en l’Europe, en Afrique monstrueuses. Cause pour laquelle proviennent en Afrique bestes môstrueuses. Pour la rarité des eaux[4], plusieurs bestes de diuerse espece sont contraintes de s’assembler au lieu où il se trouue quelque eau : et la bien souuent se communiquent les unes aux autres, pour la chaleur qui les rend aucunement promptes et faciles. De là s’engendrent plusieurs animaux monstrueux, despeces diuerses representées en un mesme individu. Proverbe. Qui a donné argument au prouerbe, que l’Afrique produit tousiours quelque chose de nouueau. Ce mesme prouerbe ont plus auant pratiqué les Romains, comme plusieurs fois ils ayent faict voyages et expeditions en Afrique, pour l’auoir par long temps dominée. Comme vous auez de Scipion surnommé Africain, ils emportoyent tousiours ie ne sçay quoy d’estrange, qui sembloit mettre et engendrer scandale en leur cité et Republique.

  1. Le cap Cantin actuel, au nord de Mogador.
  2. Voici le passage de Josèphe : Antiquités judaïques, I, 15.
  3. Thevet n’a jamais vu ces colonnes. Il en parle sans doute d’après Procope. De bello vandalico, ii, 10.
  4. Thevet s’est presque contenté de traduire Pline (H. N., vii, 17.) Africa hæc maxime spectat, inopia aquarum ad paucos amnes congregantibus se feris. Ideo multiformes ibi animalium partus, varie feminis cujusque generis mares aut vi aut voluptatc miscente, unde etiam vulgare Græciæ dictum : semper aliquid novi Africam afferre.