Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste/Chap.32

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CHAPITRE XXXII.

SOLUTIONS PÉRIODIQUES DE DEUXIÈME ESPÈCE.


385.Reprenons les équations du no 13,

(1)

avec degrés de liberté. D’après ce que nous avons vu au no 42, ces équations admettront des solutions périodiques telles que, quand augmente de la période les variables augmentent respectivement de

Les entiers peuvent être quelconques.

Mais cela n’est vrai que si le hessien de par rapport aux n’est pas nul. La démonstration du no 42 est en défaut, quand-ce hessien est nul, et en particulier quand ne dépend pas de toutes les variables

Or, c’est précisément ce qui arrive dans le problème des trois corps. Je rappelle que représentent alors respectivement les longitudes moyennes des planètes, celles des périhélies et celles des nœuds, et que dépend seulement des deux premières variables et qui sont proportionnelles aux racines carrées des grands axes.

Considérons alors une solution périodique ; d’après les conventions faites, une solution sera regardée comme périodique pourvu que les différences des augmentent de multiples de quand augmente d’une période, et en effet ne dépend que de ces différences.

Soient donc

les quantités dont augmentent

quand augmente d’une période.

Tout ce que nous avons pu établir au Chapitre III, c’est qu’il existe des solutions périodiques correspondant à des valeurs quelconques de et mais en supposant et nuls.

On peut se demander s’il existe encore ici, comme dans le cas général, des solutions périodiques correspondant à des valeurs quelconques des cinq entiers solutions que je pourrai appeler de deuxième espèce.

386.Ces solutions de deuxième espèce existent-elles ? On sera tout d’abord tenté de répondre affirmativement, en s’appuyant sur des raisons de continuité et en réfléchissant qu’il suffit de modifier très peu la forme de la fonction pour retomber sur des équations canoniques auxquelles s’appliquent les raisonnements du no 42.

Mais alors une difficulté se présente : que deviennent ces solutions quand on annule la quantité que nous avons appelée et qui est proportionnelle aux masses perturbatrices ?

Si les masses perturbatrices sont nulles, les deux planètes suivent les lois de Képler ; les périhélies et les nœuds sont fixes, de sorte que les nombres et ne peuvent avoir, semble-t-il, d’autre valeur que zéro.

Voici comment cette difficulté peut être résolue. Si les masses sont infiniment petites, les deux planètes suivront les lois de Képler, à moins que leur distance ne devienne elle-même à certains moments infiniment petite.

Supposons, en effet, que les deux planètes, d’abord très éloignées l’une de l’autre, décrivent l’une et l’autre une ellipse képlérienne. Il pourra arriver que ces deux ellipses se rencontrent, ou passent très près l’une de l’autre, et cela de telle façon qu’à un certain moment la distance des deux planètes devienne très petite ; à ce moment, leur action perturbatrice mutuelle pourra devenir sensible et les deux orbites subiront des perturbations importantes. Puis les planètes, s’étant de nouveau éloignées l’une de l’autre, décriront de nouveau des ellipses képlériennes. Seulement ces nouvelles ellipses différeront beaucoup des anciennes ; les périhélies et les nœuds auront subi des variations considérables.

Je désignerai sous le nom de choc ce phénomène, bien qu’il ne s’agisse pas d’un choc au sens propre du mot, puisque les deux planètes ne viennent pas au contact et qu’il suffit que leur distance devienne assez petite pour que l’attraction soit sensible malgré la petitesse des masses.

Quoi qu’il en soit, si l’on tient compte de ces orbites avec chocs, il n’est plus vrai de dire que, pour les périhélies et les nœuds sont fixes et que, par conséquent, les nombres et doivent être nuls.

Nous sommes ainsi conduits à penser que les solutions de deuxième espèce existent et que, si l’on fait tendre vers zéro, elles tendent à se réduire à des orbites avec une série de chocs. Mais cet aperçu ne saurait suffire et un examen plus approfondi est nécessaire.

387.Rendons-nous compte d’abord de l’effet d’un choc ; soient et les ellipses décrites par la première planète avant et après le choc ; soient et les ellipses décrites par la seconde planète. Il est clair que ces quatre ellipses doivent se couper en un même point et de telle façon que les deux planètes en décrivant ces quatre orbites passent au point de rencontre à l’instant du choc.

En effet, tant que leur distance est sensible, les deux planètes décrivent des courbes peu différentes d’une ellipse ; pendant le temps très court où leur distance est très petite, elles décrivent au contraire des orbites très différentes d’une ellipse. Ces orbites se réduisent à de petits arcs de courbe de rayon de courbure très petit et très peu différents d’arcs d’hyperbole. À la limite, le temps très court du choc se réduit à un instant ; les petits arcs se réduisent à un point et l’orbite, se réduisant à deux arcs d’ellipse, présente un point anguleux.

Pour achever de définir les orbites il faut connaître en grandeur et en direction les vitesses des deux planètes et avant et après le choc. Quelles relations y a-t-il entre ces vitesses ? J’observe d’abord que la vitesse du centre de gravité des deux corps et doit être la même avant et après le choc et cela tant en grandeur qu’en direction.

Considérons maintenant la vitesse relative de par rapport à cette vitesse devra être la même en grandeur avant et après le choc ; mais elle pourra différer en direction.

Voici la règle pour déterminer la direction de cette vitesse après le choc.

Considérons des axes mobiles dont l’origine est en et considérons une droite qui représente en grandeur et direction la vitesse relative de par rapport à avant le choc. Cette droite doit passer par le point puisque le corps qui est animé de la vitesse qu’elle représente doit venir choquer le point fixe par rapport à nos axes mobiles. Mais cela n’est vrai qu’à la limite, cela n’est vrai que parce que nous regardons comme des infiniment petits les masses d’une part, et d’autre part la distance à laquelle l’attraction mutuelle de et commence se faire sentir, c’est-à-dire ce qu’on pourrait appeler le rayon d’action. Il serait donc plus exact de dire que la distance de à la droite est un infiniment petit du même ordre que le rayon d’action.

Soit maintenant la droite qui représente la vitesse relative de par rapport à après le choc ; est égale en grandeur à et la distance de à est égale à

Voici enfin la règle pour déterminer la direction de Le point et les deux droites et sont dans un même plan (à des infiniment petits près d’ordre supérieur) ; l’angle de et de est déterminé comme il suit : la tangente de la moitié de cet angle est proportionnelle à et au carré de la longueur de

On voit ainsi que la direction de peut être quelconque.

Les seules conditions auxquelles sont assujetties nos quatre vitesses sont donc les suivantes : permanence de la vitesse du centre de gravité en grandeur et en direction ; permanence de la vitesse relative en grandeur seulement. Ces conditions peuvent encore s’énoncer ainsi :

La force vive et les constantes des aires ne doivent pas être altérées par le choc.

388.Cherchons à construire les orbites avec chocs qui sont les limites vers lesquelles tendent les solutions de deuxième espèce quand tend vers zéro.

J’observe d’abord que pour qu’une semblable orbite soit périodique, il faut supposer au moins deux chocs. Supposons d’abord que deux chocs consécutifs n’aient jamais lieu au même point. Soient donc et les ellipses décrites par les planètes et dans l’intervalle de deux chocs consécutifs. Ces deux ellipses devront se couper en deux points et, comme elles ont un foyer commun, elles sont dans un même plan, à moins que les deux points d’intersection et le foyer ne soient en ligne droite.

Supposons-nous placés dans ce cas d’exception ; soient et les deux points d’intersection des ellipses et que je ne suppose pas dans le même plan ; ces deux points sont en ligne droite avec le foyer soient et les ellipses décrites par les deux planètes après le choc. Elles passeront par le point où le choc vient de se produire, et elles ne seront pas en général dans un même plan ; leurs plans se couperont suivant la droite de sorte que leur second point d’intersection (qui doit exister si deux chocs consécutifs n’ont jamais lieu au même point) se trouvera sur cette droite J’ajoute que les deux ellipses et auront même paramètre. En effet, les points et étant en ligne droite, l’inverse du paramètre de l’ellipse ou de l’ellipse sera

Cela posé, voici comment il conviendra d’opérer. Supposons quatre chocs pour fixer les idées ; soient les points où ont lieu ces quatre chocs.

Nous pouvons nous donner arbitrairement ces quatre points, pourvu, bien entendu, qu’ils soient sur une même droite passant par

Nous devons construire deux ellipses et se coupant en et deux ellipses et se coupant en et deux autres et se coupant en et deux autres enfin, et se coupant en et

L’orbite de se compose d’arcs appartenant aux quatre ellipses et celle de d’arcs appartenant aux quatre ellipses

Nous nous donnerons arbitrairement la constante des forces vives et celles des aires ; ces constantes devront être les mêmes pour l’intervalle entre les deux premiers chocs (orbites et ) pour l’intervalle suivant et pour tous les autres intervalles ; c’est d’après le numéro précédent la seule condition que nous ayons à remplir.

Pour construire et voici comment nous procéderons : envisageons le mouvement des trois corps ; comme nous supposons ce mouvement est képlérien et le corps central peut être regardé comme fixe en Nous connaissons la force vive totale du système. Les deux planètes et doivent partir simultanément du point pour arriver simultanément au point Quand et vont de à la longitude vraie de augmente de et celle de augmente de Nous pouvons encore nous donner arbitrairement les deux entiers et Le problème est alors entièrement déterminé ; il importe de remarquer que l’inclinaison des orbites n’y intervient pas : on peut, pour le résoudre, supposer le mouvement plan. Le problème peut toujours être résolu ; il suffit, en effet, d’appliquer le principe de Maupertuis et l’action maupertuisienne, essentiellement positive, a toujours un minimum.

Il reste à déterminer les plans des deux ellipses. Nous connaissons les constantes des aires ; nous connaissons donc le plan invariable qui passe par la droite la vitesse aréolaire du système est représentée par un vecteur perpendiculaire au plan invariable et qui nous est connu en grandeur et en direction ; il est la somme géométrique des vitesses aréolaires des deux planètes, représentées par deux vecteurs qui nous sont connus en grandeur puisqu’ils sont respectivement égaux à et et étant les masses des deux planètes et le paramètre commun des deux ellipses et Nous pouvons donc construire les directions de ces deux vecteurs composants qui sont perpendiculaires respectivement au plan de et à celui de

On déterminerait de même et et

389.Supposons maintenant que tous les chocs successifs aient lieu en un même point La période sera divisée en autant d’intervalles qu’il y aura de chocs ; envisageons l’un de ces intervalles pendant lequel les deux planètes décrivent les deux ellipses et Nous nous donnons, comme dans le numéro précédent, les constantes des forces vives et des aires qui doivent être les mêmes pour tous les intervalles et il s’agit de construire et

Supposons que, pendant l’intervalle envisagé, la planète ait fait , et que la planète ait fait révolutions complètes ; nous pourrons nous donner arbitrairement les deux entiers et Connaissant ces deux entiers nous connaîtrons le rapport des grands axes, et comme nous connaissons, d’autre part, la constante des forces vives, nous connaîtrons les grands axes eux-mêmes.

Nous connaissons, d’autre part, les constantes des aires et, par conséquent, le vecteur qui représente la vitesse aréolaire du système. Ce vecteur peut être décomposé d’une infinité de manières en deux vecteurs composants représentant les vitesses aréolaires de et Nous nous donnerons arbitrairement cette décomposition. Connaissant ces deux vecteurs composants nous connaîtrons les plans des deux ellipses et leurs paramètres. Il reste à connaître l’orientation de chacune des ellipses dans son plan ; nous la déterminerons de façon à faire passer l’ellipse par le point

En résumé nous avons pu choisir arbitrairement :

1o Le point et le nombre des intervalles ;

2o Pour tous les intervalles, la constante des forces vives et celle des aires ;

3o Pour chaque intervalle, les entiers et et la décomposition du vecteur aréolaire.

Pour que le problème soit possible, ces arbitraires doivent cependant satisfaire à certaines inégalités que je n’écrirai pas.

390.Laissons de côté ces cas exceptionnels, où tous les chocs ont lieu sur une même droite ou en un même point, et passons au cas du mouvement plan. Soient les points où se font les chocs successifs ; nous nous donnerons arbitrairement la constante des forces vives et celle des aires qui devront être les mêmes pour tous les intervalles.

Considérons l’un des intervalles, par exemple celui où les deux planètes vont de en Nous nous donnerons arbitrairement les grandeurs des deux rayons vecteurs et mais non pas l’angle de ces deux rayons vecteurs, ni la durée de l’intervalle.

Nous savons que dans cet intervalle, la différence de longitude des deux planètes a augmenté de Nous nous donnerons arbitrairement l’entier

Connaissant cet entier, les deux longueurs et les deux constantes des forces vives et des aires, nous avons tout ce qu’il faut pour déterminer les orbites et Cela revient à appliquer le principe de Maupertuis, mais en définissant l’action hamiltonienne comme au no 339 et en en déduisant l’action maupertuisienne par le procédé des nos 336 et 337. Malheureusement cette action maupertuisienne n’étant pas toujours positive, on n’est pas certain qu’elle ait toujours un minimum.

En résumé nous pouvons choisir arbitrairement :

1o Le nombre des intervalles et les longueurs

2o Les constantes des aires et des forces vives ;

3o Pour chaque intervalle, l’entier

Les orbites à chocs ainsi obtenues sont toutes planes ; parmi les orbites périodiques de deuxième espèce qui se réduisent à ces orbites à chocs pour il y en a certainement qui sont planes ; il est possible également qu’il y en ait qui ne soient pas planes pour et ne le deviennent qu’à la limite.

391.Voyons maintenant comment on peut démontrer l’existence des solutions périodiques de deuxième espèce qui se réduisent à la limite aux orbites à chocs que nous venons de construire.

Considérons l’une des orbites à chocs et soit un instant antérieur au premier choc et un instant compris entre le premier et le second choc. Soit de même un instant compris entre le second et le troisième choc. Je suppose pour fixer les idées qu’il y ait trois chocs et j’appelle la période de telle façon qu’à l’instant les trois corps se trouvent dans la même situation relative qu’à l’instant

Je prends pour variables les grands axes, les inclinaisons et les excentricités, et les différences des longitudes moyennes, des longitudes des périhélies et des nœuds ; soit en tout onze variables, de telle façon que l’orbite soit regardée comme périodique si les trois corps se retrouvent dans la même situation relative à la fin de la période.

Soient les valeurs de ces variables à l’instant pour l’orbite à chocs envisagée et par conséquent pour soient les valeurs de ces variables à l’instant pour cette même orbite à chocs, leurs valeurs à l’instant et leurs valeurs à l’instant On aura

étant un entier qui devra être nul en ce qui concerne les grands axes, les excentricités et les inclinaisons.

Considérons maintenant une orbite peu différente de l’orbite à chocs, et donnons à une valeur très petite quoique différente de zéro. Dans cette nouvelle orbite, nos variables prendront les valeurs à l’instant à l’instant à l’instant et enfin à l’instant

La condition pour que la solution soit périodique de période c’est

Pour qu’en supposant un choc se produise entre l’instant et l’instant les variables doivent satisfaire à deux conditions.

Soient

ces deux conditions.

Posons

on voit que les sont des fonctions holomorphes des et de en appliquant les principes du Chapitre II on démontrerait qu’il en est de même des

Pour qu’il y ait un choc entre les instants et (en supposant ) il faut deux conditions que j’écris

(1)

Remplaçant dans les relations (1) les par leurs valeurs en fonction des et de et faisant ensuite je trouve

Posons alors

je verrais que les et les sont des fonctions holomorphes des et de il en est de même des et par conséquent des

Enfin, pour qu’il y ait un choc entre les instants et il faut deux conditions que j’écris

En y remplaçant les par leurs valeurs en fonction des et de et faisant ensuite elles deviennent

Je pose

et je vois encore que les les les sont fonctions holomorphes des et de de même les sont fonctions holomorphes des de et de

Les relations sont donc des égalités dont les deux membres sont holomorphes par rapport aux à et à La discussion de ces équations se ferait comme au Chapitre III. Elle démontrerait l’existence des solutions de deuxième espèce.

Je ne crois pas devoir insister davantage, car ces solutions s’écartent trop des orbites réellement parcourues par les corps célestes.

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