Lettres parisiennes/Année 1837/23

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1837

LETTRE VINGT-TROISIÈME.

Les fêtes de famille et les prix de collége. — L’ermite de Tivoli. —
Les modes du Constitutionnel.
19 août 1837.

La semaine s’est passée en fêtes de famille. Nous ne croyons pas exagérer en disant qu’il s’est distribué plus de vingt mille bouquets à Paris, le jour de l’Assomption. Que de myrtes nous avons vu porter religieusement, enveloppés de leur papier blanc ! Où allaient-ils ? chez une mère, chez une tante, chez une sœur, chez une cousine ! Qui n’a pas une Marie à fêter dans ses parentes, ou dans ses amies ! Il faut être orphelin, veuf, abandonné de la terre et du ciel pour n’avoir pas un bouquet à envoyer le jour de l’Assomption à quelque femme. À Paris, toutes les femmes s’appellent Marie, jeunes ou vieilles ; toutes les petites filles s’appellent Marie : ce nom charmant, qu’on devrait peut-être ne pas oser porter, est chez nous non-seulement une religion, c’est une prétention, et c’est pourquoi il est devenu si commun. Autrefois, la mode était de donner à ses enfants des noms de roman, des noms extraordinaires ; on les appelait Coralie, Paméla, Palmyre, Clarisse, Zénobie, Clara, Clorinde, Aglaure, Aglaé, Amanda, Malvina ; on cherchait un nom qui ne fût pas celui de tout le monde ; on voulait surtout que le nom d’une jeune personne ne fût pas celui de sa femme de chambre. Mais, aujourd’hui, cette mode a passé, nous ne la regrettons pas ; cependant, nous attaquons l’exagération contraire ; et cette grande prétention à la simplicité, qui entraîne toutes les mères à donner le même nom à leur fille, nous semble avoir aussi son côté ridicule ; cet hiver, dans un bal d’enfants, nous avons compté vingt-deux Marie : on n’entendait que ce cri : « Marie, Marie, viens ici ! Marie, Marie ! » et chaque fois vingt-deux petites filles d’accourir ! L’abus des meilleures choses a un côté si déplaisant, que nous avions fini par prendre en horreur ce nom si joli. Oui, en cet instant nous aurions accueilli avec reconnaissance le nom de Calpurnie, de Fatime, d’Isménie, ou de Frédégonde ; il nous aurait semblé moins prétentieux que ce doux nom de Marie, qui, à force d’être une mode, n’était plus une distinction.

Après des fêtes de famille sont venues les fêtes de collège ; la distribution des prix a été une des solennités les plus intéressantes de l’année. C’est un beau jour pour les parents, même quand ces parents sont rois. Une mère a dit un mot charmant en apprenant que son fils avait le premier prix d’histoire : « Dans sa position, a-t-elle dit, c’est le prix que j’aime le mieux. » Cette mère est la reine des Français. M. le duc d’Aumale doit être fier de son succès, car, au dire de tous, il était bien mérité. Demandez plutôt à ses professeurs, et à ses camarades surtout. On nous a conté que M. le duc de Montpensier était en train de pêcher à la ligne à Neuilly, lorsqu’on est venu lui apprendre qu’il avait un prix d’histoire naturelle ; sa joie et son émotion ont été si grandes à cette nouvelle, que la ligne est tombée de ses mains, et le poisson qui allait être sa victime s’est sauvé. Cela prouve que la gloire des grands est parfois favorable aux petits… aux petits poissons ; c’est toujours cela..

C’est une heureuse idée que le roi a eue de donner à ses fils le droit d’éprouver une des plus belles émotions de l’enfance, et pour lui-même c’est un doux plaisir de quitter un jour les ennuis du trône pour venir en père de famille voir couronner ses enfants, comme un bon bourgeois. Le seul privilège qu’il se soit réservé, est celui d’amener tous les siens à cette cérémonie, faveur refusée aux autres parents ; car chaque élève couronné n’a la permission d’amener qu’une seule personne, son père ou sa mère : c’est rigoureux, mais il y a tant de monde ! Le duc d’Aumale et le duc de Montpensier avaient donc de plus que les autres le bonheur d’avoir pour témoins de leurs succès tous leurs parents, tantes, sœurs et frères ; on ne les reconnaissait princes du sang entre tous les élèves qu’à ce surplus de famille interdit à tous les autres. Eh ! mon Dieu, c’était peut-être aussi le seul privilège de leur rang qu’on leur enviât !

Nous avons assisté hier à la distribution des prix du collége Rollin. Cette cérémonie a été on ne saurait plus touchante : un souvenir douloureux y présidait ; mais, malgré sa tristesse et les justes regrets que lui inspire la perte d’une femme si aimable et si honorée, M. Defauconpret a dû être heureux de l’hommage éclatant qui lui a été rendu par ses jeunes élèves. Quand son fils, qui n’est encore qu’un enfant, a été nommé, quand il est venu recevoir des mains de son père le prix qu’il avait obtenu, les applaudissements, les trépignements, les bravos, les cris de joie, de triomphe, ont éclaté d’une manière si prompte, si spontanée, si violente, avec un ensemble si sincère, qu’il nous a été impossible de résister nous-même à notre émotion. Il y avait tant de sympathie dans cette explosion unanime ! ce bruyant hommage d’écoliers dénonçait tant de soins, racontait tant de bonheur ! Des élèves ennuyés de leurs études, ou trop sévèrement traités, n’auraient pas cet élan de reconnaissance ; il n’y a qu’un nom aimé et mille fois béni qui puisse exciter de si vifs transports et inspirer à tous les élèves d’un collège une manière aussi énergique de dire à l’homme qui a le droit de les punir, qui les force au travail, au silence, à la raison, aux choses les plus ennuyeuses du monde : « Merci ! » Au bruit de ces applaudissements qui ont duré près d’un quart d’heure, toutes les mères pleuraient ; c’est qu’elles pensaient à ce pauvre enfant qui n’avait point de mère pour l’embrasser, et puis c’était leur manière à elles de dire : « Merci. »

D’ailleurs les mères pleurent beaucoup dans ces sortes de cérémonies : à chaque prix une mère fond en larmes ; c’est un effet physique auquel il est impossible de résister ; et plus le fils est bon écolier, et plus l’heureuse mère pleure. Si, en retournant la tête, vous apercevez une femme baignée de larmes et dans un état violent de désespoir, vous pouvez être certain que c’est la mère du jeune homme qui vient d’être couronné trois fois. Cela va toujours par gradation en augmentant : prix de discours français, elle s’essuie les yeux ; prix de version latine, elle cache son visage dans son mouchoir ; version grecque, elle fond en larmes ; cosmographie, elle sanglote. Heureusement on passe à une autre classe : elle revient à elle, et les larmes commencent chez une autre mère. Ce sont de douces larmes que celles-là ! Telle est la vie des femmes. Les larmes dont elles sont fières et qu’elles osent verser, sont la récompense des larmes qu’il leur faut cacher.

Les élèves que nous avons vus le plus souvent venir embrasser les professeurs, dans la journée d’hier, sont : le fameux Lévesque, la gloire du collège Rollin ; Jules Nicolet, qui avait obtenu la veille le premier prix de discours français au grand concours ; Louis-Gaétan de Missiessy, dont le nom revenait à chaque instant comme un refrain ; Puiseux, Queck, Lamouroux, Durand, Fournier et O’Donnell ; parmi les plus jeunes, nous avons remarqué Macdonald et Beaufremont : ces noms-là, nous les avons retenus facilement. Or, à chaque prix, le vainqueur embrasse trois personnes : le président, le directeur et un professeur ; l’élève Lévesque a remporté huit prix : donc il a reçu vingt-quatre baisers de professeurs, huit couronnes et à peu près une trentaine de volumes. Quelle journée ! et cette journée-là c’était un lendemain !

Le soir, les parents, glorieux, ont mené les vainqueurs à Tivoli ; le tournoi, que les enfants ne connaissaient pas, les a fort divertis, et les courses indiennes, nouveautés de la semaine, ont plu aux parents qui connaissaient depuis longtemps le tournoi. Ce qui nous a plu à nous, c’est l’adresse suivante qu’on nous a donnée :

TOPPIN
ERMITE DE TIVOLI
Nota. — Son épouse est ouvrière en linge, rue de Bussy, no 6,
en face la rue des Mauvais-Garçons.

Il est évident que c’est un très-mauvais ménage. Comment un ermite et une ouvrière peuvent-ils bien vivre ensemble ? Si l’épouse a des pratiques, adieu la solitude : notre ermite n’aura pas un moment à lui ; si, au contraire, l’ermite vit dans une complète retraite, son épouse n’a plus d’ouvrage, et adieu le commerce ! Ce ménage nous inquiète ; mais aussi quelle idée d’aller épouser un ermite quand on est ouvrière en linge !

Cet ermite nous rappelle une bonne plaisanterie dont il a été complice. Il y a quelques années, un homme malin et spirituel étant à Tivoli, en brillante compagnie, eut l’idée d’emprunter au devin son habit, sa perruque et sa longue barbe, et bien caché sous ce déguisement, il attendit sérieusement qu’on vînt le consulter ; un compère amena près de lui toutes les jolies femmes de sa connaissance qui étaient à Tivoli ; et le faux ermite s’amusa à leur prédire avec une méchanceté impardonnable… tout ce qu’elles désiraient.

En fait de nouvelles littéraires, en voici une importante : George Sand, dit-on, fait un drame ; qu’il se trouve dans ce drame une scène aussi belle que celle du jugement de Mauprat, et nous répondons du succès.

Le monde littéraire est décidément en faveur : Alexandre Duval est nommé officier, et Méry chevalier de la Légion d’honneur.

Brascassat vient aussi de recevoir la croix. Ces messieurs ne seront pas du moins obligés d’envoyer aux journaux la petite note de ce qu’ils ont fait pour mériter cette distinction ; c’est un grand avantage pour eux et pour le ministère aussi.

On nous contait que mademoiselle Élise Moreau n’avait point assisté, il y a huit jours, à la séance de l’Académie française, parce qu’elle ignorait qu’on dût y parler d’elle et qu’on y dût lire ses vers. Comme on lui exprimait le regret qu’elle n’y fût pas venue : « Quel dommage, dit-elle à son tour, j’avais une si jolie robe ! » Une pédante aurait regretté le bruit harmonieux des applaudissements ; elle, n’a vu dans ce triomphe qu’une belle occasion de robe neuve perdue. Elle a raison, une femme doit être coquette avant d’être inspirée. La coquetterie, c’est la véritable poésie des femmes ; l’autre est un luxe, et comme tous les luxes, il devient ridicule quand il est le seul.

Nous avons cité une flatterie sublime d’un soldat de l’empereur ; voici maintenant une flatterie d’un autre genre qui prouve la différence qu’il y a entre un héros et un roi, entre le culte que l’on rend à un demi-dieu et l’amour que l’on voue à ses princes. C’était pendant le siège de Gibraltar :

« Une bombe vint tomber à peu de distance du lieu où se tenait le comte d’Artois, l’explosion était imminente…

» Une voix tout à coup se fait entendre :

» — Monseigneur !!!

» Et celui qui avait poussé cette rapide et forte exclamation se précipita sur le prince qu’il couvrit tout entier de son corps.

» La bombe avait éclaté. Quelques-uns en virent voler les éclats, et n’eût été Jean Leclerc, l’un d’eux allait droit à l’adresse du comte. Jean Leclerc reçut une large blessure au bras gauche.

« — Je gage, mon ami, lui dit le prince, que c’est la première fois que vous avez eu peur… Et il aidait au pansement du brave.

» — Ma foi, monseigneur, c’est vrai, répondit celui-ci, mais il fallait bien que quelqu’un eût peur pour vous. »

Vous le voyez, en sauvant la vie à son prince, un soldat même est encore un peu courtisan.

Les modes n’ont rien de nouveau, à moins cependant que l’on ne s’abandonne aux modes du Constitutionnel, qui nous ont paru pleines d’imagination. Autant la vieille presse est timide et rabâcheuse en politique, autant elle est audacieuse et entreprenante en fait d’élégance. Les couleurs vives sont ce qui la séduit : jugez-en.

« Ensemble de toilette. Toilette de ville (ce qui fait supposer une toilette de théâtre) : Redingote en taffetas écossais, gros bleu et orange ; bijoux de cornaline ; gants abricot. » C’est la saison, il n’y a rien à dire. Probablement dans les bureaux du Constitutionnel on a beaucoup porté des gants cerise le mois dernier, et l’on prépare déjà les gants vert-pomme pour l’automne.

Mais ceci est plus étonnant. « Toilette du soir : Robe d’organdi brodée en soie bleue, jupe formant la traîne par derrière ; corsage en cœur ; point de bijoux ; une branche de ne m’oubliez pas dans les cheveux, tombant tout à fait sur l’oreille ; gants blancs garnis d’angleterre et de ne m’oubliez pas !!! souliers blancs brodés en chenille bleue. »

Sont déposés entre les mains de notre notaire cent mille francs de récompense pour celui qui trouvera à Paris et rapportera une femme, jeune ou vieille, belle ou laide, affublée de la sorte.