Lettres parisiennes/Année 1838/02

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1838

LETTRE DEUXIÈME.

Un mois de silence. — La Comédie de la mort. — Le monde politique.
17 février 1838.

Un mois de silence, c’est beaucoup, cela demande une explication. Nous nous étions tout simplement révolté ; nous ne voulions plus faire le Courrier de Paris, en vérité ; nous ne voulions plus être journaliste, sous prétexte que nous sommes poëte. Et voici comment la poésie nous est venue. Un jour que nous étions malade, et non pas indisposé, comme on l’a dit, car nous n’osons plus nous servir de ce mot depuis que nous avons lu dans la Presse qu’on avait administré les derniers sacrements à une personne grièvement indisposée, ce mot est beaucoup trop significatif, malade est moins fort ; un jour de fièvre, enfin, ne pouvant ni sortir, ni parler, nous avons voulu lire ; nous demandons un livre amusant pour nous distraire, on nous apporte un gros recueil de poésies intitulé la Comédie de la mort. Le titre n’avait rien de réjouissant, mais le nom de l’auteur était assez plaisant. La Comédie de la mort, par Théophile Gautier ! Quoi ! Théophile Gautier poëte ! le prince des moqueurs, ce maître en ironie, ce grand sabreur de renommées, est aussi un rêveur de cascades, un habitant mélancolique du flottant royaume des nuages ! lui, le brillant feuilletoniste de la Presse ! lui, le lundi dont nous sommes le samedi !… Jugeons un peu ses œuvres, puisqu’il s’offre à la critique à son tour ; vengeons nos vieux amis qu’il ne ménage guère, apprécions enfin ces vers de feuilleton. Ce disant, nous avons pris ce lourd volume, nous promettant bien de le traiter légèrement. Mais par malheur nous sommes juste, et malgré notre bonne envie d’être taquin, nous avons été contraint d’admirer de beaux et magnifiques vers dont nous aurions bien pourtant voulu rire, et maintenant que nous avons vu notre jugement confirmé par les grandes autorités littéraires de notre époque, nous avouons franchement que la lecture de ce livre nous a rendu poëte à notre tour. Quand nous avons découvert que l’on pouvait passer si heureusement du feuilleton à l’élégie, du compte rendu à l’ode et de la critique à l’enthousiasme, nous avons pensé que nous-même nous pouvions arriver à une semblable métamorphose ; nous avons dit : « Tous les feuilletonistes de la Presse sont poëtes, Dumas, Méry, Théophile Gautier ; il faut absolument que nous fassions des vers aussi. » Et nous nous sommes mis à l’ouvrage ; et quand on est venu il y a quinze jours chercher notre feuilleton, nous avons répondu avec dédain : « Il n’y a point de Courrier de Paris ! nous faisons des vers, nous vous donnerons notre poëme quand il sera fait ; » car nous avions alors toute l’insolence de l’inspiration. Depuis, nos amis sont venus nous trouver, ils nous ont dit : « Vous avez tort ; vous avez réussi dans un genre, peut-être allez-vous échouer dans un autre. Vos feuilletons sont imités par tous les journaux, il y a des vicomtes de Cerisy, d’Allevard, dans toutes les revues, c’est une preuve de succès ; croyez-nous, reprenez le Courrier de Paris. » Et nous avons cédé à leurs prières. Hélas ! il faut bien dire aussi pourquoi, c’est que l’inspiration avait passé ; mais elle reviendra encore, nous l’espérons ; nous achèverons notre poëme et nous vous confierons quelques-uns de nos vers ; nous qui jusqu’alors n’avions eu aucune prétention littéraire, nous livrerons nos œuvres à la critique. On pourra se venger enfin de toutes nos malices ; nous sommes vulnérable, maintenant que nous avons acquis une vanité.

Mais nos vers ne sont point achevés et ceux de M. Théophile Gautier sont imprimés ; c’est de lui qu’il nous faut parler. La Comédie de la mort est un petit poëme d’une centaine de pages, qui donne son nom à tout le recueil de poésies et qui vient attrister une foule de ravissantes élégies pleines de grâce et de fraîcheur ; l’idée de ce poême est grande et belle. Le poëte, comme le Dante, descend, non pas aux enfers, ce mot a vieilli, il descend dans le pays des âmes ; il s’en va chez les morts chercher la vérité, le mot de la vie ; il va demander le secret de ce monde à ceux qui ne l’habitent plus. Une femme l’accompagne dans sa course funèbre, c’est la Mort ; mais la Mort n’est pas, pour le poëte moderne, ce vieux squelette décharné qui se promène depuis tant de siècles tenant une faux à la main, et qui ne se repose que sur un jeu d’oie ; la Mort est pour lui une belle jeune fille qu’il décrit ainsi :

Un souffle fait plier sa taille délicate ;
Ses bras, plus transparents que le jaspe et l’agate,
Pendent languissamment ;
Sa main laisse échapper une fleur qui se fane,
Et, ployée à son dos, son aile diaphane
Reste sans mouvement.

Elle est amère et douce, elle est méchante et bonne,
Sur chaque front illustre elle met la couronne
Sans peur ni passion.
Amère aux gens heureux et douce aux misérables,
C’est la seule qui donne aux grands inconsolables
Leur consolation.

La Mort conduit le poëte vers Faust ; il interroge l’homme de la science ; peut-être la science a-t-elle le secret de la vie ?… Faust répond, comme le Cassandre de Schiller : La science est la mort. Puis il s’écrie, en maudissant ses inutiles veilles, ses vains travaux :

Un seul baiser, ô douce et blanche Marguerite !
Pris sur ta bouche en fleur, si fraîche et si petite,
Vaut mieux que tout cela.
Ne cherchez pas un mot qui n’est pas dans le livre ;
Pour savoir comme on vit, n’oubliez pas de vivre,
Aimez, car tout est là.

Et le poëte, alors, voyant que le secret qu’il poursuit n’est pas dans la science, court interroger don Juan, l’homme qui a donné sa vie à l’amour ! Mais don Juan répond :

J’ai brûlé plus d’un cœur dont j’ai foulé la cendre,
Mais je restai toujours, comme la salamandre,
Froid au milieu du feu.
J’avais un idéal frais comme la rosée,
Une vision d’or, une opale irisée
Par le regard de Dieu !

Au carrefour douteux, Y grec de Pythagore,
J’ai pris la branche gauche, et je chemine encore,
Sans arriver jamais.
Trompeuse volupté, c’est toi que j’ai suivie,
Et peut-être, ô vertu, énigme de la vie,
C’est toi qui la savais.

Don Juan envie le sort de Faust ; lui seul a compris le destin de l’homme, dit-il : la science c’est la vie.

N’écoutez pas l’amour, car c’est un mauvais maître ;
Aimer c’est ignorer, et vivre c’est connaître.

Et le poëte découragé, voyant que le secret du monde n’est ni dans la science ni dans l’amour, va le demander à la gloire, et Bonaparte lui répond des vers admirables, que nous ne pouvons citer aujourd’hui et qu’il vous faudra bien lire, même malgré vous, car M. Théophile Gautier s’est classé déjà, par la publication de ce recueil, dans le petit nombre des grands talents poétiques que tout homme de goût doit connaître.

Depuis un mois l’on danse, on danse, on ne s’arrête pas. Le bal de M. le président de la Chambre des députés était fort nombreux hier, malgré la neige qui tombait comme la grêle, et qui aurait du effaroucher plus d’un invité charitable. Oh ! comme les chevaux et les cochers ont dû souffrir ! Après une soirée si froide et si humide, que de jeunes filles seront malades ! que de mères enrhumées ! que d’orateurs seront sans voix ! Comment se fait-il que l’hiver soit la saison des plaisirs ? On trouve chez M. Dupin, président de la Chambre des députés, les pairs et tous les députés ; chez M. Dupin, procureur général, tous les avocats et toute la magistrature ; chez M. Dupin, membre de l’Académie française, les illustrations littéraires qui inspirent le plus la curiosité. Tout cela ne fait pas de fort jolis danseurs, nous en convenons ; mais cette réunion d’orateurs, de poëtes, de magistrats, compose la collection la plus intéressante qu’il soit possible d’observer à Paris. Certes, le bal de M. H…, qui avait lieu le soir même, était plus joli et paraissait plus élégant ; des quadrilles de dandys et de merveilleuses font dans un bal un plus charmant effet que des groupes d’avocats et de députés. Cela est vrai, mais, pour nous qui sommes assez blasé sur les fêtes monotones de la fashion, nous trouvons un grand intérêt dans ces assemblées nationales ; sans doute, elles séduisent moins les regards, mais elles parlent plus à la pensée. M. le duc d’Orléans assistait à cette fête, et quelques personnes ont remarqué, en souriant, que plusieurs députés de l’opposition lui faisaient les plus charmantes agaceries.

Du reste, le monde politique semblait jouir du plus parfait repos. Les bouillants professeurs dont l’ardeur belliqueuse a failli naguère bouleverser le monde causaient tranquillement assis sur de pacifiques banquettes en prenant des glaces et du punch. Plus de guerre pour eux, ils ont déposé leurs armes. Dieu soit loué, ils ne rêvent plus la gloire des camps. Pallas s’est ressouvenue de Minerve. La Sorbonne en fureur est rentrée dans son lit, et l’Europe enfin rassurée n’a plus à redouter les excès d’une soldatesque ou plutôt d’une pédantesque effrénée !

M. Thiers était calme et digne, il n’allait plus çà et là donner des poignées de main à tout le monde, il ne s’agitait plus comme un électeur influent, il avait l’attitude qui lui convient, celle d’un homme d’État qui a pour lui l’avenir. M. Odilon Barrot ne se posait plus en farouche républicain, il se promenait avec de fort jolies femmes et paraissait ne vouloir s’occuper que d’elles. M. Berryer semblait en cela partager tout à fait ses opinions et se rapprocher de lui, malgré toutes les nuances de parti ; enfin, voilà le monde politique tel que nous l’avons observé, et nous ne voyons dans cet ensemble rien qui soit effrayant.

Parmi les beautés de la fête, il y avait une fort belle femme dont chacun demandait le nom ; puis aussitôt que ce grand nom était prononcé, on s’agitait, on s’avançait, on voulait voir celui qui avait rendu ce nom si célèbre, et l’on parlait d’Hernani, et l’on se demandait quel jour Marion Delorme serait jouée. Ce sera, dit-on, la semaine prochaine. En attendant, Hernani aide la Comédie française à payer les frais du procès qu’elle a perdu pour n’avoir pas voulu le jouer ; c’est généreux. Ce drame est comme un jeune chêne que des broussailles avaient failli étouffer dans sa racine ; aujourd’hui, vainqueur du temps, il a grandi, et toute la contrée vient l’admirer. Mais chaque événement heureux a son côté pénible ; quelle fatale influence ce grand succès d’une œuvre si contestée ne va-t-il pas avoir sur nos plaisirs ? Savez-vous ce qui nous menace ? savez-vous ce que tous les auteurs méconnus, c’est-à-dire sifflés, veulent exiger aujourd’hui ?… Ils demandent qu’on les rejuge ! Oui, oui, n’est-ce pas affreux, tous les morts littéraires demandent à ressusciter ! « J’ai été méconnu il y a dix ans ; bon, dit un auteur tombé, c’est une raison pour que j’aie du succès aujourd’hui Voyez Hernani, la grande scène était très-mal prise autrefois, maintenant elle va aux nues (style de théâtre). » Si l’on n’y prend garde, ces ambitions rétrospectives nous mèneront fort loin ; nous en sommes sérieusement alarmé ; si chacun se met à voir dans ses revers passés des gages de succès futurs, toute chose sera remise en question : les vieilles lois rejetées seront représentées ; les amours dédaignés se rallumeront. « J’ai échoué auprès de madame une telle il y a dix ans, pensera un adorateur maltraité ; tant mieux, car je vais lui plaire aujourd’hui. » Et il repartira pour séduire. Eh mon Dieu ! peut-être réussira-t-il ; peut-être dira-t-il, comme Victor Hugo, « qu’il a trouvé le public bien changé ! »