Lettres persanes/Lettre 112
LETTRE CXII.
e règne du feu roi a été si long, que la fin en avoit fait oublier le commencement. C’est aujourd’hui la mode de ne s’occuper que des événements arrivés dans sa minorité ; et on ne lit plus que les mémoires de ces temps-là.
Voici le discours qu’un des généraux de la ville de Paris prononça dans un conseil de guerre, et j’avoue que je n’y comprends pas grand-chose.
« Messieurs, quoique nos troupes aient été repoussées avec perte, je crois qu’il nous sera facile de réparer cet échec. J’ai six couplets de chanson tout prêts à mettre au jour, qui, je m’assure, remettront toutes choses dans l’équilibre. J’ai fait choix de quelques voix très-nettes, qui, sortant de la cavité de certaines poitrines très fortes, émouvront merveilleusement le peuple. Ils sont sur un air qui a fait, jusqu’à présent, un effet tout particulier.
« Si cela ne suffit pas, nous ferons paraître une estampe qui fera voir Mazarin pendu.
« Par bonheur pour nous, il ne parle pas bien françois ; et il l’écorche tellement qu’il n’est pas possible que ses affaires ne déclinent. Nous ne manquons pas de faire bien remarquer au peuple le ton ridicule dont il prononce. Nous relevâmes, il y a quelques jours[1], une faute de grammaire si grossière, qu’on en fit des farces par tous les carrefours.
« J’espère qu’avant qu’il soit huit jours le peuple fera du nom de Mazarin un mot générique pour exprimer toutes les bêtes de somme, et celles qui servent à tirer.
« Depuis notre défaite, notre musique l’a si furieusement vexé sur le péché originel, que, pour ne pas voir ses partisans réduits à la moitié, il a été obligé de renvoyer tous ses pages.
« Ranimez-vous donc ; reprenez courage, et soyez sûrs que nous lui ferons repasser les monts à coups de sifflets. »
- ↑
(Note de l’auteur, extraite de l’édition 1721 2°, Cologne, Pierre Marteau.)
Le cardinal Mazarin, voulant prononcer l’arrêt d’Union, dit devant les députés du parlement : l’Arrêt d’Ognon, de quoi le peuple fit force plaisanteries.