Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 66

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Chappitre LXVIe
Cy parle de la royne Gezabel


Après vous compteray l’exemple d’une male royne diverse et trop cruelle, et comment il lui prist. Ce fut la royne Gezabel, qui avoit moult de males taches. Premièrement elle haioit les povres et tout homme qui se peust chevir, dont elle ne peut amander ; elle haioit les hermites et les gens d’esglise et tous ceulx qui enseignoient la foy, et les faisoit rober et batre, sy que il les enconvenoit fouir du royaulme. Elle n’avoit merci de nul, et pour ce estoit maudite et haye de Dieu et du pueple. Ung bon homme estoit qui avoit nom Naboth, qui avoit une pièce de vingne moult bonne, et le roy la vouloit moult bien avoir par achat ou autrement. Mais le bon homme ne s’i vouloit consentir de bon cuer. Si dist le roy Acas à celle dame sa femme que il estoit bien marry et que il ne povoit avoir celle vingne, et celle lui dit qu’elle la lui feroit bien avoir, et si fist-elle, car par trayson elle fist murdrir le bon homme, et fist venir faulx temoings qui recordèrent que le bon homme lui avoit la vingne donnée, dont il en despleut à Dieu, et envoia le roy Jozu pour le guerroyer, tant que cellui roy prist le roy Acas et bien lx. enffans, que grans que petiz, que il avoit à nourir chiez ses hommes, et leur fist à tous les testes coupper. Ce fust la punicion et la vengence de Dieu. Et quant est de la male royne Gezabel, elle se mist en un portail par où le roy Jozu passoit, et se cointit de draps d’or et de hermines à grans pierres precieuses, toute desguisée en autre manière que les autres femmes n’estoient, tant estoit desesperée et orgueilleuse, et, dès qu’elle vit le roy, elle le commença à maudire et à li dire toutes les villenies qu’elle povoit, et le roy la commença à regarder, et la cointise et la desguiseure de sa robe, et escouter la malice et l’orgueil de sa langue ; lors il commanda à ses gens que ilz y alassent et qu’ils la fassent cheoir la teste toute première devant tout le peuple, et ainsi comme il le commanda il fut fait, car ilz la prindrent et firent cheoir la teste première, tellement qu’elle fut morte laidement. Sy commanda le roy que par sa cruaulté et les grans maulx qu’elle avoit fais faire qu’elle n’eust point de sepulcre, et non eust-elle, ne de sepulture, ains fust mengée des chiens et devourée. Et ainsi cheist son grant orgueil et sa fierté, et par telle voye se venge Dieux maintes foiz de ceulx qui n’ont pitié des povres et du povre peuple et des serviteurs de sainte eglise, et qui par cruaulté et par convoitise font faire murtres et faulx tesmoingnages, comme fist celle faulce royne, qui ainsi le fist et qui soustint son seigneur en folie, dont mal lui prist. Sy est cy bon exemple comment l’en doit estre piteuse des povres et des serviteurs, et non entiser ne donner mal conseil à son seigneur, et aussi non de soy desguiser, mais tenir l’estat des bonnes dames de son pays, et aussi non tencer ne dire grosses paroles à plus grans et à plus fors de soy.